Berlin 19 décemb. 1740
Votre charmante lettre, mon respectable ami, m'a trouvé remis de mon accident et m'a réjoui au possible, mais quoique vos vœux conduisent à l'immortalité ceux qui en font le sujet, je ne me sens pourtant point infiniment tenté de transmettre ceux-ci à la postérité.
A présent grâce aux bons soins de mon Esculape, votre ami se porte à merveille. Je me sens de la vigueur autant qu'un jeune homme de 24 ans.
Je ne prétends point faire passer mes vers pour bons mais j'exige de vous, mon cher et digne et respectable ami, de prendre les assurances de ma tendre amitié pour telles et pour les plus sincères que jamais vous puissiez recevoir d'aucun de vos amis. Personne au monde ne vous aime avec plus de vivacité et il n'est rien que je n'entreprenne pour vous donner des marques certaines de mon amitié tendre et constante avec laquelle je vous suis attaché pour le reste de mes jours. Le roi est entré hier en Silesie. On m'a laissé ici jusqu'à nouvel ordre, et bien que j'aie perdu à ne point accompagner mon maître, n'étant pas en état le jour de son départ de m'exposer aux fatigues du voyage, j'ai pourtant gagné infiniment par la connaissance que j'ai faite de m. le marquis de Beauveau.
Vous avez raison, mon respectable ami, m. le marquis de Beauveau est digne de votre estime. Il joint au caractère de parfaitement honnête homme, à l'esprit cultivé, à des manières polies et engageantes, le mérite d'être de vos amis. Cette dernière qualité redouble les sentiments d'amitié qu'on ne saurait lui refuser. Le comte de Montazet est encore un de ces aimables hommes qu'il faut chérir absolument, aussi bien que le marquis de Lujac et le comte de Beaujeu. Ils emportent mes sensibles regrets comme ceux de tout Berlin. Quel serait mon bonheur si sous les auspices de notre adorable marquise, avec vous, mon cher, mon respectable ami, je pouvais voir couler mes jours. Mais les destins en ont disposé différemment. Mais quelque soit leur caprice il ne saurait jamais prendre sur le tendre attachement avec lequel je me sens
mon digne, cher et respectable ami
tout à vous et votre très humble et très dévoué ami et serviteur
Keyserlingks