A Bruxelles ce 29 décembre 1739
Bon jour et bon an tout simplement.
Je croyais, monsieur, que vous m'aviez tout à fait oubliée, et mon amitié en était blessée, car il me semble qu'elle a droit de vous suivre du pôle brûlant, jusqu'au pôle glacé. Je vois qu'il a fallu les bontés dont le prince royal de Prusse m'honore pour vous rappeler mon idée, et ce n'est pas une des moindres obligations que j'aie à cet aimable prince. Je n'ai pas douté qu'il ne fît sur votre esprit l'effet qu'il a droit de faire sur celui de tout être pensant. Il nous a mandé combien il avait été affligé de votre départ. Je vous avoue que, n'en déplaise à mr son père, je suis bien curieuse de voir un tel prince sur le trône, ce sera un beau phénomène. J'ai passé quatre mois à Paris, pendant que vous couriez les mers, et j'aurais bien voulu que quelque vague vous eût jeté dans ce temps là sur nos côtes; j'y ai acheté une maison peinte par Le Sueur et par le Brun; mais au lieu de la venir habiter, je plaide ici vraisemblablement pour plusieurs années. Je regrette Cirey presque autant que Paris. J'ai beaucoup vu pendant mon séjour dans cette grande ville mad. la duchesse d'Aiguillon qui est bien digne des hommages que vous lui avez rendus, et qui me paraît vous regretter infiniment; je l'ai retrouvée toute Anglaise; elle entend à présent cette langue beaucoup mieux que moi, et je crois presque aussi bien que vous. Pour mylord Hervey j'en rabats bien de tout ce que vous m'avez dit. Il me semble que sa négligence à répondre gâte toutes ses bonnes qualités. Il n'a répondu ni à une grande lettre que mr de Voltaire lui a écrite, il y a plus de deux ans, ni à l'envoi de mon mémoire; ce qui n'est, ni dans la politesse italienne, ni dans la française; mais vous, monsieur, vous ne m'en parlez pas de ce mémoire; c'est pourtant votre suffrage que j'ambitionne; peut être ne l'avez vous point lu. Vous savez combien je suis.