1739-07-07, de René Louis de Voyer de Paulmy, marquis d'Argenson à Voltaire [François Marie Arouet].

Quelque chose me dit Monsieur qu'il y a actuellement une lettre de vous pour moy en chemin, outre celle que vous me promettez de made du Châtelet par la vostre du 21 Juin.

Je vis hier Deont, il me dit celle qu'il avoit reçeüe de vous. On a fait feüilleter les feüilles [de] L. Desfont., on n'a point trouvé qu'il parlât comme on vous a dit. J'ay même son tome 17 des observ. Je ne les acheté que quand le tome est complet pour les lire. La dernière feüille est du 6 Juin. Je vériffie la même chose. De cette affaire là, Deont a vû L. D. F. et il a relevé ce que je craignois, qui est la plainte de ce que la gaz. d'Holl. avoit trompetté son désaveü malgré l'optention du Juge qui y avoit apposé une conditionà la quelle nous nous sommes si justement refusé, tout ce que nous sommes de vos amis, mais comme nous avions le projet du désaveu de L. D. F. et que ce projet prouvoit que la pièce avoit existé nous nous sommes déclaré contents. Nous l'avons laissé échaper dans la gazette, le chat dort, pourquoy le réveiller? Nous avons tout pour nous, on vous a fait des excuses, la renommée l'a annoncé au monde, nous sommes contents si vous ne l'êtes pas, vos amis le sont pour vous et pour eux, cela vous suffit dans une affaire d'honneur. L. D. F. est flétri, a fait amande honorable, on le sçayt partout, il est content, il n'a point d'amis qui soient mécontents pour luy, laissons le donc en repos. Après avoir exposé à Deont le tort que la gazette fait à sa cause, Deont l'a appaisé sur cette plainte, il luy a dit comme le sçachant de moy quand je vous en Ecrivis que ce n'étoit pas par votre fait que la gazette avoit parlé. Cela tombera encore une fois dans le puis, ne l'en retiréz pas davantage au nom de dieu, n'exigez pas que ce désaveu se lise dans les observations. C'étoit si vous voulez le 1er projet mais ce projet étoit conditionel. La condition étant rejettée la clause n'est pas exigible.

Au reste Deont me paroist àprésent pleinement dans notre parti, il est pénétré de ce que nous pensons selon ce qu'il m'a dit avoit dit dans cette occasion à m. Heraut sur l'énorme différence de vous à votre Infâme partie adverse. M. Heraut vous aime assez. Ne vous attachez pas à ce qu'il pût vous écrire en réponse de votre lettre. Tout va bien dès que vous ne troublerez pas davantage le fond de l'eau.

Mais comme après tout cela L. D. F. pourroit encore insérer dans la suitte dans quelque autre feüille de ses observations ce que nous craignons et qu'on vous a mal dit qui y fût, ie semonce mon frère d'ordonner tout de nouveau à m. Maunoir, qui a succédé à L. Trublet pour censurer les observations, de n'y pas passer la moindre chose qui ayt rapport à vous et cela sera fait, ce n'est qu'un renouvellement d'ordres plus exprés qui a déjà été donné come vous sçavez.

Vos approbations sur mon travail en sont véritablement le salaire et vont immédiatement après l'Exécution du plan s'il étoit possible de le suivre. Je vous recommande toujours plus que jamais que mon m͞s ne soit ny lû ny coppié de personne, et lû que de vous et de made du Cht. S'il étoit assez bon pour être suivi pourquoy le donnerions nous à nos voisins plus que le secret de la poudre à canon, quoy qu'il vise à de meilleurs avantages? Notre vertu n'est pas assez avancée, et ne le sera de longtems assez pour n'être jaloux de rien et pour ce parfait cosmopolisme qui rechercheroit également le bonheur de tout le monde. C'est bien assez que nous nous désabusions de chercher notre grandeur dans la rüine de nos voisins. J'aime Sidney autant que votre homme à l'épitaphe, il est cependant bien long à lire par touttes les répétitions. Il démontre bien l'abus de la Royauté héréditaire, mais qu'il y substitüe donc une méthode meilleure que le scrutin de l'abbé de S. Pierre, pour conférer toujours les magistratures signori sans troubles et sans anarchie. Car de supposer que des Electeurs seront plus incorruptibles que des Roys et des ministres c'est une pétition de principes et un cercle vicieux.

Vous estes plein d'anecdottes charmants et que vous appliquez avec force et guayeté. Je suis bien content en vérité que mon système soit le vôstre comme je le voys. Je me souviens que nous disputâmes une fois chez la baronne sur la prééminence de s'appliquer aux beaux arts ou à la Politique, j'entends de la véritable politique qui iroit à faire bien nourrir et bien vêstir le païsan, et non celle qui va à tromper un ministère sur la petite clause d'un petit traitté pour une frivole garantie. Je vous soutins et je vous soutiendray plus que jamais que la pierre et la charpente du bastiment marchent devant la sculpture des appartemens. Avons nous épuisé touttes les perfections de solidité, pour aller aux agrémens? ne sommes nous pas comme ces princesses de Roman avec des pierreries sans chemise? et c'est l'affaire du jour plus que jamais. Votre Réponse à cette objn doit être que l'un n'enpêche pas l'autre, qu'on reprend le bastiment sous-œuvre tandis que les peintres et les doreurs travaillent tranquillement aux cabinets, et d'ailleurs si on remettoit le tems d'orner à celuy où toutte solidité seroit achevée, l'art d'orner seroit désapris et oublié. Le cardinal de Richelieu ressembloit à un Pilotte qui avoit assez de courage pour orner son vaisseau pendant la tempête, il suffisoit aux deux. Colbert y satisfit encore mieux, mais ses orages n'étoient que de l'Inquiétude et des