ce 16 d'avril 1739
J'aprends avec bien du chagrin que le meilleur protecteur que j'aye à Paris, celuy qui m'encourage davantage, et à qui je suis le plus redevable, va faire les affaires du roy très crétien dans la triste cour du Portugal et contreminer les Anglais aulieu de me protéger contre l'abbé des Fontaines.
Mon protecteur, mon ancien camarade de collège, Monsieur l'ambassadeur, je suis au désespoir que vous partiez. Ma lettre pour un homme dont je n'ay nul sujet de me louer, vous a donc paru bien, et vous me croyez si politique que vous me proposez tout d'un coup pour aller amuzer Le futur roy de Prusse. Si j'étois homme à prétendre à l'une de ces places là ce seroit sûrement auprès de ce prince que j'en briguerois une. Vous avez lu monsieur une de ses lettres. Vous avez été sensiblement touché d'un mérite s i rare. Connaissez Le donc encor plus à fonds, en voicy une autre que j'ay l'honeur de vous confier; vous verrez à quel point ce prince est homme. Mais malgré L'excez de ses bontez et de son mérite je ne quitterois pas un moment les personnes à qui je suis attaché pour l'aller trouver. J'aime bien mieux dire, Æmilie ma souveraine, que le roy mon maître. Si jamais il est roy, et que Mr Duchastelet puisse être envoyé auprès de luy avec un titre honorable, et convenable, à la bonne heure. En ce cas je verray le modèle des rois. Mais en attendant je resteray avec le modèle des femmes.
Je n'osois vous envoyer Le mémoire que j'ay composé depuis peu, parceque je craignois de vous commettre; mais il me paroit si mesuré, que je crois que je vous l'enverrois, fussiez vous mr Heraut. Enfin vous me L'ordonnez par votre lettre à mr Duchastelet et j'obéis. Daignez en juger, quidquid ligaveris et ego ligabo.
Maintenant monsieur prenez s'il vous plaît des arrangements pour que je puisse vous amuser un peu à Lisbonne. Je veux payer vos bontez de ma petite monoye. Je vous enverray des chapitres de Louis 14, des tragédies. Je suis à vous en vers et en prose et c'est à vous que je dois dire
C'est le commencement d'une ode, mais peutêtre n'aimez vous pas les odes.
Aimez du moins les sentimens de reconnaissance qui m'attachent à vous depuis si longtemps; et dites à ce chancelier qui devroit être le seul chancelier, qu'il doit bien m'aimer aussi un peu quoy qu'il n'écrive guères et qu'il n'aime pas tant les belles lettres que son aîné.
Madame Duch. vous fait les plus tendres compliments. Elle a brûlé les cartes géographiques qui luy ont prouvé que votre chemin n'est pas par Cirey.
Adieu monsieur, ne doutez pas de ma tendre et respectueuse reconnaissance.
V.
La lettre du 23 mars reçu si tard étoit mal dattée, et a été reçue dans son temps. Vous n'êtes pas de ceux dont les lettres sont recomandées au bureau étably par le président Rossignol.