1739-02-12, de Nicolas René Pageau à Voltaire [François Marie Arouet].

J'ay reçu Monsieur la lettre que vous m'avés fait l'honeur de m'écrire au sujet d'un imprimé qui a couru icy intitulé la Voltairomanie ou lettre d'un jeune avocat en forme de mémoire. Pour satisfaire à ce que vous désirés de moy J'ay vu au palais la plus part de Messieurs les avocats, après avoir parlé à Monsieur Deniau, qui est à présent notre Bâtonier. Je puis Vous assurer Monsieur qu'il n'y a qu'un cri de blasme et d'indignation contre les invectives atroces répandues dans ce libelle dont Vous Vous plaignés avec tant de raison. Le sentiment commun est qu'il n'est pas possible qu'un ouvrage si méchant soit imputé à un avocat ny mesme à quelqu'un qui connoitroît les loix de cette profession, dont le premier devoir est la sagesse. Je vous proteste au nom de tous ceux à qui j'ay parlé (et c'est encore une fois la meilleure partie du Palais) que bien loin qu'aucun s'en avoüe l'auteur tous le condanent comme extrêmement scandaleux. Je vous ajouteray mesme que c'est avec une Vraye peine que la plus part Vous ont vû aussi injurieusement traitté que Vous l'estes dans cet écrit, car nous faisons gloire Monsieur d'honorer les grands génies et Vos ouvrages sont dans nos mains. Tout cela vous seroit attesté par Monsieur le Bâtonier au nom de l'ordre sans la difficulté de convoquer une assemblée générale. Si de pareilles brochures distribuées sous le nom Vague d'un avocat devenoient fréquentes nous serions exposés sans cesse, à nous mettre en mouvement pour les désavoüer. Vous concevés qu'après avoir donné une fois l'exemple d'une assemblée à ce sujet nous ne pourions refuser la mesme chose à tous ceux qui se trouveroient à l'avenir dans le cas où vous estes. Mais pour supléer à une attestation en forme je me suis chargé de vous rendre compte du sentiment général et je le fais de l'aveu de tous ceux à qui J'ay parlé. Je m'en acquitte avec d'autant plus de satisfaction que c'est ce que j'avois pensé en mon particulier à la vûe du libelle. Je suis avec toutte l'estime et la considération possible,

Monsieur Votre très humble et très obéissant serviteur

Pageau