1739-01-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claude Adrien Helvétius.

Mon cher amy tandis que vous faites tant d'honneur aux belles lettres, il faut aussi que vous leur fassiez du bien.
Permettez moy de recomander à vos bontez un jeune homme d'une bonne famille, d'une grande espérance, très bien né, capable d'attachement et de la plus tendre reconnaissance qui est plein d'ardeur pour la poésie et pour les sciences, et à qui il ne manque peutêtre que de vous connaitre pour être heureux. Il est fils d'un homme que des affaires où d'autres s'enrichissent, ont ruiné; il se nomme Darnaud. Baucoup de mérite et de malheur font sa recomandation auprès d'un cœur comme le vôtre. Si vous pouviez luy procurer quelque petite place soit par vous, soit par mr de la Popliniere, vous le mettriez en état de cultiver ses talents; et vous rempliriez votre vocation qui est de faire du bien. Vous m'en faites à moy, car vous avez réchauffé un amy tiède. Jamais votre illustre père n'a fait de si belle cure.

Je luy ai envoyé un autre mémoire, où je sacrifie enfin le littéraire, au personel, mais mr Dargental pense que c'est une nécessité. Vous le pensez aussi et je me rends. Ma présence seroit nécessaire à Paris; mais je ne peux quitter mes amis pour mes propres affaires. Madame du Chastelet vous fait bien des compliments, on ne peut avoir plus d'estime et d'amitié qu'elle en a pour vous. Nous attendons de vous des choses qui feront l'agrément de notre retraite, et qui nous consoleront si cela se peut, de votre absense.

Je vous embrasse avec les transports les plus vifs d'amitié, d'estime et de reconnaissance.

V.