1738-12-31, de Nicolas Claude Thieriot à Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont.

Madame,

Je Reconnois votre zèle pour vos amis dans la lettre que je viens d'avoir l'honneur de Recevoir de vous, et quoique j'en sois extrêmement édifié, je n'avois pas Besoin de cette émulation pour m'intéresser, comme je le dois à mr de V. au sujet de l'indigne libelle qu'on vient de Répandre contre lui sous le titre de lettre d'un jeune avocat.

Lorsque le préservatif parut, j'en fus fort scandalisé, et mon amitié fut vivement emûë et allarmée de voir attribuer à mr de V. ce libelle . L'auteur de ce premier libelle y avoit inséré une lettre de mr de V. dans laquelle je suis cité comme témoin d'un fait arrivé à la Riviere Bourdet chés feu mr le président de Berniere en 1724. J'ai essuyé Beaucoup de questions sur la vérité de ce fait, et voici quelle a été ma Réponse, que je me souvenois simplement du fait, mais que pour les circonstances, elles m'étoient si peu restées dans la mémoire, que je ne pouvois en rendre aucun compte, et cela n'est pas extraordinaire après tant d'années.

De là l'auteur de la lettre d'un avocat a pris occasion d'avancer que j'avois dit que je ne sçavois ce que c'étoit, et d'en conclure que le fait étoit imaginaire. C'est ainsi qu'il a abusé d'une Réponse générale et très sincère.

Tout l'éclaircissement que je peux vous en donner, madame, c'est qu'il fut question dans ces temps là à la Riviere Bourdet d'un écrit contre mr de V. que l'abbé des Fontaines me fit voir, et que je fis suprimer. Quant a la datte et au titre de cet écrit (circonstance très importante au fait) je proteste en honneur que je ne m'en souviens pas, non plus que des autres. Telles sont toutes mes notions là dessus, et c'est en quoi consiste la Réponse que j'ai Rendûë, et que je Rends encor avec Bien plus d'empressement depuis ce dernier amas de calomnies et d'injures. Soyés persuadée, madame, que Rien ne peut altérer une estime et une amitié de vingt cinq années entre mr de V. et moi. La reconnaissance m'attache encore à lui, et je m'en ferai toujours honneur. Il m'a également trouvé dans tous les tems heureux ou malheureux de sa vie, constantia in amicitiâ virens. Vous pouriés en avoir vû une preuve dans une lettre à mr le baron de Breteüil que mr de V. lui adressa de Maisons après la petite vérole, et c'est avec bien du plaisir que j'ai l'honneur de déposer cette nouvelle preuve cy entre les mains de son illustre fille. Mes sentimens seront toûjours les mêmes. La constance est dans mon caractère, comme la probité, le désinteressement, le goust des arts sont dans ma philosophie, ce sont les titres de l'estime que m'accordent tous les honnêtes gens, et je suis plus flatté de les mériter, que d'en être loüé, comme l'a prétendu l'auteur de cet infâme écrit, écrit qui mérite la punition la plus sévère, et dont je suis d'autant plus indigné que je déteste en général tous libelles tels qu'ils puissent être comme plus nuisibles à la considération des lettres, que la saine critique n'est utile à leurs progrès.

Je suis en vous souhaitant une heureuse année avec Beaucoup de Respect &cc.