A Cirey ce 27 août [1738]
Nous étions très en peine de vous, monsieur, et votre lettre m'a fait un véritable plaisir.
Je suis ravie de vous savoir dans notre pays. Je ne puis me plaindre que vous alliez recevoir à Paris les applaudissemens que votre livre charmant mérite. On me mande qu'il y réussit comme nous vous l'avions prédit mr de Voltaire et moi. Il est bien aisé de dire la bonne aventure en pareille occasion. Je me flatte que vous viendrez après dans le coin du monde où l'on vous aime, et où l'on vous estime tant. Vous y trouverez bien des changements, mais les cœurs y seront à jamais les mêmes pour vous. Je suis ravie que vous ayez trouvé à Toulouse des personnes qui vous ayent parlé de moi. Mr l'abbé de Sade me doit de l'amitié, car c'est un des hommes du monde que j'aime le mieux. Je suis sûre que son esprit et son caractère vous auront plu, à moins que quatre ou cinq ans de prêtrailles ne l'ayent terriblement gâté. Si vous venez ici, nous vous jouerons aussi l'Enfant prodigue. Nous avons un théâtre à présent. J'espère que vous m'instruirez de vos marches. Mr de Froullay vous regrette sans cesse, il vous croyait à Cirey par sa dernière lettre. Vous trouverez à Paris une nouvelle épître qui, je crois, vous plaira encore plus que les autres, c'est la quatrième. Vous y trouverez aussi une nouvelle édition de la Philosophie dont un exemplaire galope à présent après vous; mais vous n'y trouverez point mr de Maupertuis; il est à st Malo, et je me flatte qu'il sera bientôt ici. Avez vous lu son livre? Il me paraît un chef d'œuvre; c'est un roman instructif. Nous avons eu le vôtre très tard, parce que Tiriot s'en était emparé. Il m'a fallu l'attestation de mr Froullay; il ne voulait pas croire qu'il fût pour moi: nous l'avons lu, et nous le relisons. Mr de Voltaire, qui est dans son lit avec de la fièvre, vous dit les choses les plus tendres. Nous vous demandons avec instance de vos nouvelles, et nous vous attendons avec l'impatience des gens qui connaissent les charmes de votre société.