1738-08-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Je reçois mon cher amy votre lettre du 1er aoust, celle du 3, la lettre de s. a. R., l'extrait du père Castel, les vers attribuez à Bernard.
Grand mercy de tout cela, et surtout de vos lettres.

Je vous ay mandé avant hier que j'écrivois au prince par la même voye par la quelle j'avois reçu son paquet.

Le père Castel a peu de méthode dans l'esprit, c'est le rebours de l'esprit de ce siècle. On ne peut guère faire un extrait plus confus, et moins instructif.

Les vers de Bernard ou de qui il vous plaira sont plus remplis de molesse et de grâces, que piquants de nouvauté. Je pourois répondre à ceux qui pensent comme luy,

Le bonheur de jouir, moins rare que charmant,
Est il donc L'ennemy du bonheur de connaitre?
Ne peut on raprocher le sage de L'amant?
N'esce que chez les sots que l'amour poura naitre?
Vos vers et votre esprit nous font assez connaître
Qu'on peut penser baucoup, et sentir tendrement.
L'amour est des humains le plus cher avantage,
C'est le premier des biens, c'est donc celuy du sage.
Que Venus sache aimer, je n'en suis pas surpris,
Trop de dieux ont goûté les faveurs de Cipris.
Mais au cœur de Pallas inspirer la tendresse,
Couronner la raison des mains de la molesse,
Enchaîner la vertu de guirlandes de fleurs,
C'est la première des douceurs
Et le comble de la sagesse.

Voylà des vers qui échapent à ma philosofie. On pouroit les réciter s'ils étoient limez, mais non les donner. Ne les donnez pas je vous en prie. Oh quanti e quanti né vedrete, when you will be at Cirey?

Ceux qui reprochent à m. Algaroti le ton affirmatif ne l'ont pas lu. On n'auroit à luy reprocher que de n'avoir pas assez afirmé, je veux dire d'avoir pas assez dit de choses, et d'avoir trop parlé. D'ailleurs si le livre est traduit comme il le mérite il doit réussir. A l'égard du mien, il est jusqu'à présent le premier en Europe, qui ait apelé parvulos ad regnum cœlorum, car regnum cœlorum, c'est Neuton. Les Français en général sont assez parvuli. Il n'y a point comme vous dites d'opinions nouvelles dans Neuton, il y a des expériences, et des calculs et avec le temps il faudra que tout le monde se soumette. Les Renauds et les Castels n'empêcheront pas à la longue le triomphe de la raison.

Voicy L'ode dont on m'a honoré, je vous l'envoye quoy qu'elle me loue, parce que je la crois bonne.

En voicy une autre du poète philosophe. Si vous la trouvez passable, régalez en l'abbe Provost, cela va comme de cire à son pour et contre, mais qu'il ne sache ny luy ny personne le nom de l'auteur. Cette ode sera pour le premier ordinaire.

Je vous prie de donner un exemplaireà mr Tronchin Dubreuil, et de le supplier instamment de ma part que jamais il ne soit permis à aucun libraire d'annoncer mes ouvrages dans la gazette de Hollande. Cela m'est d'une conséquence infinie, et pour vous faire voir la conséquence, je vous envoye copie de ma lettre aux libraires de Hollande. Je vous prie de la remettre à Mr Dargenson. Ayez une conversation avec luy, faites luy valoir ma tendre amitié, et tous les sentimens qui m'attachent à luy depuis tant d'années. Vous me rendrez un grand service. Le plus grand de tous vous savez quel il est, c'est de me voir.

Qu'esce qu'un billet d'Helvetius dont vous me parlez, et que vous avez oublié?

Adieu père Mersenne. Vous vous apercevrez bientôt des sentiments du P. R. pour vous. Voicy une lettre pr luy.