Il est vray mon cher Cideville que ma main est devenue bien paresseuse d'écrire mais assurément mon cœur ne l'est pas de vous aimer. Je suis devenu courtisan par hasard, mais je n'ay pas cessé de travailler à Lunéville. J'y ay presque achevé l'histoire de cette mauditte guerre qui vient enfin de finir par une paix que je trouve très glorieuse puisqu'elle assure la tranquilité publique. Fatigué, excédé de confronter et d'extraire des relations, je n'écrivois plus à mes amis. Mais soyez bien sûr qu'en compilant mes rapsodies historiques je pensois toujours à vous. Je me disois, Aprouvera t'il cet endroit, y trouvera t'il des véritez qui puissent être bien reçües, n'en ai-je pas dit trop ou trop peu? Je vous attends à Paris pour vous montrer tout cela. J'y seray au mois de janvier. Nous allons passer les fêtes de Noël à Cirey, après quoy je compte rester presque tout l'hiver à Paris. J'ignore encor si j'y verray Catilina. On dit qu'on l'a retiré. En ce cas il faudra bien redonner Semiramis, que j'ay retouchée avec assez de soin, et dont je me flatte que les décorations seront plus magnifiques sous l'empire du maréchal de Richelieu que sous le consulat du duc de Fleury. J'ay un peu de peine à transporter Athene dans Paris. Nos jeunes gens ne sont pas grecs, mais je les acoutumeray au grand tragique ou je ne pouray.
Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur.
à Loisey près de Bar 24 Xbre 1748