1748-12-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Je ne suis plus qu'on prosateur bien minse,
Singe de Pline, orateur de province,
Louant tout haut mon Roy qui n'en sait rien
Et négligeant pour ennuyer un prince,
Un sage ami qui s'en aperçoit bien.
Vous cazanier, dans un séjour champêtre
Pour des Phillis vous me quittez peutêtre,
L'amour encor vous fait sentir ses coups.
Heureux qui peut tromper des infidèles!
C'est votre lot. Vous courtisez des belles,
Et moy des rois. J'ay bien plus tort que vous.

Il est vray mon cher Cideville que ma main est devenue bien paresseuse d'écrire mais assurément mon cœur ne l'est pas de vous aimer. Je suis devenu courtisan par hasard, mais je n'ay pas cessé de travailler à Lunéville. J'y ay presque achevé l'histoire de cette mauditte guerre qui vient enfin de finir par une paix que je trouve très glorieuse puisqu'elle assure la tranquilité publique. Fatigué, excédé de confronter et d'extraire des relations, je n'écrivois plus à mes amis. Mais soyez bien sûr qu'en compilant mes rapsodies historiques je pensois toujours à vous. Je me disois, Aprouvera t'il cet endroit, y trouvera t'il des véritez qui puissent être bien reçües, n'en ai-je pas dit trop ou trop peu? Je vous attends à Paris pour vous montrer tout cela. J'y seray au mois de janvier. Nous allons passer les fêtes de Noël à Cirey, après quoy je compte rester presque tout l'hiver à Paris. J'ignore encor si j'y verray Catilina. On dit qu'on l'a retiré. En ce cas il faudra bien redonner Semiramis, que j'ay retouchée avec assez de soin, et dont je me flatte que les décorations seront plus magnifiques sous l'empire du maréchal de Richelieu que sous le consulat du duc de Fleury. J'ay un peu de peine à transporter Athene dans Paris. Nos jeunes gens ne sont pas grecs, mais je les acoutumeray au grand tragique ou je ne pouray.

Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur.