1739-03-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à René Louis de Voyer de Paulmy, marquis d'Argenson.

Que direz vous de moy monsieur?
Vous me faites sentir vos bontez de la manière la plus bienfaisante; vous ne semblez me laisser de sentiments que ceux de la reconnaissance; et il faut avec cela que je vous importune encore. Non, ne me croyez pas assez hardi; mais voicy le fait. Un grand garçon bien-fait, aimant les vers, ayant de l'esprit, ne sachant que faire s'avise de se faire présenter je ne sçais comment à Cirey. Il m'entend parler de vous comme de mon ange gardien. Oh oh!, dit il, s'il vous fait du bien, il m'en fera donc; écrivez luy en ma faveur. Mais monsieur considérez que j'abuserais . . . . Eh bien abusez, dit il; je voudrois être à luy s'il va en ambassade, je ne demande rien, je le serviray à tout ce qu'il voudra. Je suis diligent, je suis bon garçon, je suis de fatigue, enfin donnez moy une lettre pour luy. Moy, qui suis faible, je luy donne la lettre. Dès qu'il la tient, il se croit trop heureux. Je verray mr Dargenson, et voylà mon grand garçon qui vole à Paris. J'ay donc Monsieur l'honneur de vous en avertir. Il se présentera à vous avec une belle mine, et une chétive recomandation. Pardonnez moy je vous en conjure cette importunité. Ce n'est pas ma faute. Je n'ay pu résister au plaisir de me vanter de vos bontez, et un passant a dit, J'en retiens part. S'il arrivoit en effet que ce jeune homme fût sage, serviable, instruit, et qu'allant en ambassade vous eussiez par hasard besoin de luy, informez vous en au noviciat des jesuites. Il a été deux ans novice, malgré luy. Son père, congréganiste de la congrégation des messieurs, vous connaissez cela, vouloit en faire un saint de la compagnie de Jesus, mais il vaut mieux vivre à votre suitte que dans cette compagnie.

Pour moy je vivray pour vous être à jamais attaché avec la plus respectueuse et la plus tendre reconnaissance.

V.