à Paris 4 May [1762]
Oui, mon cher & illustre maitre, j'ai lu ou plutôt parcouru en bâillant l'impertinente diatribe de ce petit socinien honteux, qui mériteroit bien d'être catholique, & qui m'a fait l'honneur de m'associer avec vous pour être l'objet de sa platte satyre; il me seroit bien aisé de le couvrir de ridicules, mais c'est un honneur que je ne juge pas à propos de lui faire.
Peut être cependant trouveray-je occasion de lui donner quelque jour une légère marque de reconnoissance; ses variations plaisantes sur la révélation, dont il a d'abord fait valoir la nécessité, qu'il a bornée à de l'utilité dans une édition suivante, & qu'apparemment il assurera dans la troisième, être une chose tout à fait commode et comme on dit, bien gratieuse, ces sottises & d'autres donneroient beau jeu à la plaisanterie, mais l'auteur & le sujet sont trop plats, pour qu'on soit tenté d'en plaisanter.
Je pourrois bien en effet mériter un peu les reproches que vous me faites, d'avoir fait trop d'honneur à vos prédicans en les peignant comme des hommes raisonnables; ce sera, si vous voulez, une fable morale que je voulois faire servir d'instruction à nos Prêtres fanatiques; mais si vos Genevois sont offensés du bien que j'ai dit d'eux, ils n'ont qu'à parler, et je les tiendrai pour aussi sots qu'ils veulent l'être. Nos jésuites de Paris se défendent, à tort ou à droit, d'être des assassins, des voleurs, des fourbes, des sodomites, & encore cela en vaut il la peine; vos jésuites Presbyteriens se défendent de toutes leurs forces d'avoir le sens commun, ils sont bien plus avancez que les nôtres.
Est ce que les Genevois osent aller à vos comédies? on m'avoit pourtant assuré que la sérénissime ou obscurissime République avoit rendu un décret, portant que tout Cordonnier, Tailleur, Barbier, Gadouart, ou autre, qui seroit atteint et convaincu d'avoir assisté à cette œuvre du démon, ne pourroit jamais devenir magistrat; vous n'avez que votre Théâtre dans la tête, & vous ne vous souciez guère, à ce que je vois, que les Etats de ce monde soient bien gouvernés.
Quant à nous, malheureuse et drôle de nation, les Anglois nous font jouer la Tragédie au dehors, & les jesuites la comédie au dedans. L'Evacuation du collège de Clermont, nous occupe beaucoup plus que celle de la Martinique. Par ma foi, ceci est très sérieux, & les classes du Parlement n'y vont pas de main morte. Ce sont des fanatiques qui en égorgent d'autres, mais il faut les laisser faire; tous ces imbécilles qui croient servir la religion servent la raison sans s'en douter, ce sont des Exécuteurs de la haute Justice pour la Philosophie, dont ils prennent les ordres sans le savoir, & les jesuites pourroient dire à st Ignace, Mon père, pardonnez leur, car ils ne savent ce qu'ils font. Ce qui me paroît singulier, c'est que la destruction de ces phantômes, qu'on croyoit si redoutables, se fasse avec aussi peu de bruit; la prise du château d'Arensberg n'a pas plus coûté aux Hanovriens, que la prise des biens de Jesuites à nosseigneurs du parlement. On se contente à l'ordinaire d'en plaisanter; on dit que J. C. est un pauvre capitaine réformé, qui a perdu sa compagnie; Il n'y a pas jusqu'aux sulpiciens qui ne s'avisent aussi d'être plaisants. Le curé de st Sulpice, qui n'est pourtant pas un homme à bons mots, dit qu'il n'ose demander pour son petit séminaire la maison du noviciat des Jesuites, parce qu'il a peur des revenans; quant au Père de la Tour, il se croit pour le moins Caton & Socrate; il en arrivera, dit-il, tout ce qu'il plaira à dieu, je n'en serai pas moins l'être le plus vertueux qui existe. Cela me fait souvenir de l'abbé de Dangeau, qui disoit, dans le temps de nos malheurs à Hochstet & à Ramilles: il en arrivera ce qu'il poura, j'ai là dedans, en montrant son bureau, trois mille verbes bien conjugués.
Votre Parlement de Toulouse, qui ne se presse pas de chasser les Jesuites, comme il ne s'en pressa pas du temps de l'assassinat de Henri IV, et qui en attendant fait rouer des innocens, ressemble, s'il est permis de rire en matière si triste, à ce capitaine suisse qui faisoit enterrer les blessés pour morts, & qui disoit, bon, bon, si on voulait en croire tous ces gens là, ils ne seroient jamais morts. Cette atrocité est bien digne d'une compagnie de fanatiques, qui passent le matin aux congrégations des Jesuites, & l'après dinée au bordel, qui reçoivent l'absolution le matin, & la vérole le soir.
Ecrasez l'infâme, me répétez vous sans cesse; Eh mon dieu, laissez la se précipiter elle même, elle y court plus vîte que vous ne pensez. Savez vous ce que dit Astruc? ce ne sont point les Jansenistes qui tuent les Jesuites, c'est l'Encyclopédie, mordieu, c'est l'Encyclopédie. Il pourroit bien en être quelque chose, & ce maroufle d'Astruc est comme Pasquin, il parle quelquefois d'assez bon sens. Pour moi, qui vois tout en ce moment couleur de Rose, je vois d'icy les Jansenistes mourant l'année prochaine de leur belle mort, après avoir fait périr cette année cy les Jesuites de mort violente, la tolérance s'établir, les protestants rappellés, les Prêtres mariés, la confession abolie, et l'infâmeécrasée sans qu'on s'en apperçoive.
A propos, vous ne me parlez plus de votre ancien disciple, qui doit offrir une si belle chandelle à dieu, & dire un si beau de profundis pour la czarine; que dites vous de sa position actuelle? Je ne doute point qu'il n'ait déjà fait des vers pour le Czar. Assurément la chose en vaut bien la peine; quant à moi, le papier m'avertit de finir ma prose, en vous embrassant mille fois. Je compte que vous ne m'oubliez pas auprès de me Denis. Quand aurons nous le Corneille?