[1 May 1738]
Vous faites fort mal mon cher amy d'envoyer L'écrit en question à ce misérable journal très mal fait, presque inconnu, qui ne se débite que tous les trois mois, qui ne sera dans Paris que dans un an, et dont il vient tout au plus une vingtaine d'exemplaires.
Vous avez autres débouchez. On peut obtenir des permissions, on peut se servir des brochures hebdomadaires, vous devriez même consulter le R. père sur l'ouvrage, en luy faisant tenir une copie. Je suis sûr que la lecture luy fera impression. Il faudroit consulter de la même façon les matématiciens qui ont examiné les mêmes problèmes. J'abandonne le tout à votre prudhomie. Je reçois en même temps votre lettre du vingtcinq, et bien des nouvelles qui me chagrinent. Premièrement je suis assez fâché que Racine que je n'ay jamais offensé ait sollicité la permission d'imprimer une satire dévote de Roussau contre moy. Je suis encor plus affligé qu'on m'atribue des épîtres sur la liberté. Je ne veux point me trouver dans les caquets de Molina ny de Jansenius. On m'envoye un morceau d'une autre pièce de vers, où je trouve un portrait assez ressemblant à celuy du prêtre de Bissêtre. Mais en vérité il faut être bien peu fin pour ne pas voir que cela est de la main d'un académicien ou de quelqu'un qui aspire à l'être. Je n'ay ny cet honneur ny cette faiblesse et si j'ay à reprocher quelque chose à ce monstre d'abbé Desfontaines, ce n'est pas de s'être moqué de quelques ouvrages des quarante.
Je suis bien aise que vous ayez gagné un louis à gentil Bernard, je voudrais que vous en gagnassiez cent mile à Cresus Bernard. Je n'ay point vu L'épître sur la liberté. Je vais la faire venir avec les autres brochures du mois. C'est un amusement qui finit d'ordinaire par allumer mon feu.
Autre sujet d'affliction. On me mande que malgré toutes mes prières les libraires de Hollande débitent mes éléments de la philosofie de Neuton quoyqu'imparfaits. Or da mi consiglio. Les libraires hollandois avoient le manuscript depuis un an à quelques chapitres près. J'ay cru qu'étant en France je devois à Mr le chancelier le respect de luy faire présenter le manuscript entier. Il l'a lu, il l'a marginé de sa main. Il a trouvé surtout le dernier chapitre peu conforme aux opinions de ce pays cy. Dès que j'ay été instruit par mes yeux des sentiments de mr le chancelier j'ay cessé sur le champ d'envoyer en Hollande la suitte du manuscript. Le dernier chapitre surtout qui regarde les sentiments téologiques de mr Neuton n'est pas sorty de mes mains. Si donc il arrive que cet ouvrage tronqué paraisse en France par la précipitation des libraires, et si mr le chancelier m'en savoit mauvais gré, il seroit aisé par l'inspection seule du livre de le convaincre de ma soumission à ses volontez. Le manque des derniers chapitres est une démonstration que je me suis conformé à ses idées dès que je les ay pu entrevoir. Je dis entrevoir car il ne m'a jamais fait dire qu'il trouvast mauvais qu'on imprimast le livre en pays étranger.
En un mot, soit respect pour mr le chancelier soit aussi amour de mon repos, je ne veux point de querelle pour un livre. Je les brûlerois plustôt tous.
Voulez vous lire ce petit endroit de ma lettre à mr Dargenson? Est il àpropos que je luy en écrive? Conduisez moy.
Mr le bailli de Froulay, est venu icy, et a été je crois aussi content de Cirey que vous le serez. Les Dennis en sont assez satisfaits. Je mets ma nièce Serizi entre vos mains. Si elle est raisonable, elle en fera autant, et vous prendra pour son directeur.
Le neutonisme pour les dames, est pour Cirey. Nous avons la lettre d'avis. Il faut envoyer cela chez mr le marquis Du Chastelet. J'ay toujours Mérope sur le métier.
Vale, te amo.
V . . . .
Rendez moy le service mon cher amy de passer chez Hebert, rue st Honoré, et de luy marchander une tabatière en or émaillé et à fleurs, qu'il avoit fait faire pour me du Chastelet, et dont elle ou son mary, n'a pas voulu parcequ'elle est trop chère. Faites le prix et si cela ne passe pas 600lt dites luy qu'il l'envoye sur le champ à l'. Moussinot qui payera comptant.