Depuis que j'ai vu M. le G. P., mon cher Tiriot, je suis plus résolu que jamais de supprimer et de ne pas envoyer notre Epitre.
Sans compter les petits inconvénients où cela pourrait me jeter, j'ai fait depuis des réflexions qui m'ôtent entièrement la volonté de la rendre publique; ce n'est pas que l'amour-propre de l'auteur des Essais et la mauvaise foi de son apologiste ne méritent correction, mais c'est à faire à ceux qui sont du métier; je trouve qu'il est mal à de certaines gens de publier des ouvrages auxquels ils seraient fâchés de mettre leur nom au bas; je serais honteux à l'excès toutes les fois qu'il faudrait nier un ouvrage dont je serais auteur; j'aimerais mille fois mieux l'avouer, tout méchant qu'il est, que d'être exposé à mentir trente fois par jour; et comme en l'avouant je me ferais beaucoup d'ennemis et m'acquerrais peu de gloire, j'aime mieux tout net le supprimer. Mais trève de réflexions; la première fois que je vous verrai, nous en brûlerons les exemplaires; vous me ferez plaisir d'écrire à votre ami d'empêcher qu'il n'en passe ici; s'il n'y a pas moyen d'empêcher qu'on ne l'insère dans la Bibliothèque choisie, il en arrivera ce qui pourra.
1738, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.