à Cirey ce 23e Xbre [1]737
L'attension que j'ay fait à la perte de mon adresse doit seulement v͞s prouuer, Monsieur, combien votre comerce m'est agréable.
Ie sens aujourd'huy combien votre amitié m'est vtile, et ie ne puis assés v͞s remercier des soins que v͞s aués pris p͞r me trouuer vn précepteur. Je suis persuadée que celui dont v͞s me parlés me conuient infiniment, reste à sauoir si ie lui conuiendray. Ie vais donc v͞s faire vn petit détail sur la façon dont il sera icy. Premièrem͞t La vie que n͞s y mesnons ne ressemble à aucune, et ne peut plaire qu'à vn vray philosophe. Mr de V. ni moi ne dinons point, mais il disnera auec son pupille, et auec mr du Chastelet quand il est icy. Chacun reste dans sa chambre jusqu'à neuf heures du soir, tout au plus vn petit moment de visite auant ou après le disner. Il se passe quelquefois plusieurs jours de suite sans qu'on me voie, ou plutost sans qu'on soupe auec moi, parce que mes heures étant fort dérangées, et dépendantes ou de la poste, ou de mes lectures, ou de mes promenades. Mon fils soupe sans mr du Chatelet ni moi auec son précepteur p͞r ne point déranger ses heures, et ne point altérer sa santé. Vne grande liberté, des liures, beaucoup de reconnoissance, et d'amitié de ma part s'il Elèue bien mon fils, vn assés jolie petite âme à cultiuer, voilà les principaux auantages qu'il trouuera icy. A l'égard de ses honoraires, ie ne donnois que cent escus à mr Linant et c'étoit beaucoup trop assurément p͞r la façon dont il s'est conduit, mais ie donneray 400lt à celui là. Si i'estois plus riche ie dirois dauantage mais ie suis forcée de mettre des bornes à l'enuie que i'aurois de lui faire vn sort plus digne de lui. Ie ne v͞s dis point qu'il couche dans la chambre de mon fils et qu'il a vn laquais chargé de le seruir, car cela va sans dire.
J'ajouteray que je suis charmée, come v͞s croyés bien, de la façon dont il pense, mais il faudra ne la pas faire entreuoir à mr du Chastellet, il sera même obligé à quelques égards, come de manger maigre dans les 1ers tems, il lui sera aisé ensuite de s'en dispenser en disant que le maigre l'incomode. Je v͞s prie aussi de me mander si c'est vn home qui put seruir de gouuerneur à mon fils quand il entrera dans le monde. Il me paroit par votre lettre qu'il porte l'habit séculier.
Ie v͞s demande pardon de tous ces détails, votre amitié les souffre, et la chose L'exige. Parlons des nièces de mr de V. Ce mariage que v͞s n'aprouuiés point est rompu, il dépendoit de la volonté de l'ainée. Mr de V. ne désire que son auantage, elle ne paroit pas le souhaiter, et cela suffit. Ie ne puis vs dire combien ses lettres me plaisent, et combien elles sont raisonables. J'auois offert à mr de V. de les faire venir toutes deux passer icy vn ou deux mois à la mort de leur père en attendant que leurs affaires se fussent arangées. Il ne me paroit désirer àprésent que l'ainée et ie comte que dans les beaux jours elle viendra passer icy quelque tems, dont ie seray assurément charmée. Elles se louënt fort de vos attentions, et elles me paraissent des filles très bien née, qui méritent les bontés de leur oncle, et le bien qu'il veut leur faire. Si v͞s pouuiés v͞s séparer de mr et m͞e de la Popliniere ie tâcherois de v͞s faire agréer cette occasion de n͞s voir, n͞s v͞s enuerions une chaise à deux, et v͞s viendriés auec cette grande nièce. L'action seroit digne de votre amitié p͞r mr de V. et de l'enuie que i'aurois de v͞s voir icy. Voyez si v͞s en estes capable.
J'espère que le p. royal n͞s enuera ses vers. Ie sais que m͞e de la Popliniere a autant de modestie que de talens, et ie v͞s suplie de L'assurer que personne n'a plus admiré son petit extrait, que moi, et ne rend plus de justice à son mérite.
Au reste ie v͞s ay peint notre vie en laid, mais quelque fois aussi n͞s sommes plus traitables, n͞s jouons la comédie, n͞s faisons des concerts, mais v͞s saués qu'il Vaut mieux peu promettre et beaucoup tenir, surtout à quelqu'un qui vient s'établir chés v͞s. Ie veux que votre home soit content de son sort, ainsi ie veux qu'il sache tout. Au reste il faut qu'il soit discret, v͞s connoissés la calomnie et combien vn home qui voudrait Enuenimer pouroit être dangereux, surtout viuant auec quelqu'un d'une bonté aussi facile que mr de V.; si v͞s et cette aimable nièce venés nous voir j'espère que v͞s ne v͞s répentirés ni l'un ni l'autre de votre voyage.
Montcrif n'a point L'air d'être philosophe, n͞s verrons s'il se tirera mieux de la morale que du sabat.
Ie v͞s prie de me mander ce que ml͞le de Moras a auoüé, et si mr de Courbon est pris, ou Samié. Ie connois les acteurs, cela me donne de la curiosité. On dit dans les nouuelles m͞e de Moras très mal.
Ie ne sais quel est ce Lysimaque ni son auteur, requiescant in pace.
Adieu monsieur, ie ne puis v͞s rendre assés de grâces. Mr de V. doit ie crois v͞s escrire par cette poste.