1737-12-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

Je n'ai reçu qu'aujourd'hui votre lettre du 22, mon cher ami.
La route est plus longue, mais plus sûre. Nos cœurs peuvent se parler, et voilà ce que je voulais.

Premièrement je ne vous crois point instruit de la raison qui m'a obligé à me priver si longtemps du commerce de mes amis; mais je crois enfin pouvoir vous la dire. Savez vous bien qu'on avait accusé plusieurs personnes d'athésime? Savez vous bien que vous étiez du nombre? Je n'en dirai pas plus. Ah! mon ami, que nous sommes loin de mériter cette sotte et abominable accusation! Il est au moins de notre intérêt qu'il y ait un dieu, et qu'il punisse ces monstres de la société, ces scélérats qui se font un jeu de la plus damnable imposture.

A l'égard de la nouvelle calomnie dont vous me parlez, j'ai cru devoir en écrire à son altesse royale. Je vous instruis de cette démarche afin que vous vous y conformiez, et que vous m'éclairiez en cas que cette impertinence continue. Le roi de Prusse, avec de grands états, beaucoup d'argent comptant et une armée de géants, peut très bien se moquer d'un sot libelle; mais moi, chétif, qui ne suis roi ni rien, je tremble toujours de la calomnie, quelque absurde qu'elle soit; et je suis comme le lièvre qui craignait qu'on ne prît ses oreilles pour des cornes.

Tout cela m'attristerait bien; mais la vie douce dont je jouis me console; la sagesse, l'esprit, la bonté extrême dont le prince royal m'honore, me rassurent; et je ne crains rien avec votre amitié.