A Leyde, 20 janvier [1737]
Si les Lettres juives me plaisent, mon cher Isaac! si j'en suis charmé! Ne vous l'ai je pas écrit trente fois?
Elles sont agréables et instructives, elles respirent l'humanité et la liberté. Je soutiens que c'est rendre un très grand service au public que de lui donner, deux fois par semaine, de si excellents préservatifs. J'aime passionnément les Lettres et l'auteur; je voudrais pouvoir contribuer à son bonheur; j'irai l'embrasser incessamment. Je suis bien fâché de l'avoir vu si peu, et je veux du mal à Newton qui s'est fait mon tyran, et qui m'empêche d'aller jouir de la conversation aimable de m. Boyer.
J'irai, j'irai sans doute. J'ai été obligé d'aller à Amsterdam pour l'impression de mes guenilles; j'y ai vu m. Prévost qui vous aime de tout son cœur: je le crois bien, et j'en fais autant. Je n'ai osé avilir votre main à faire un dessin de vignette; mais vous ennobliriez la vignette, et votre main ne serait point avilie.
Je vous enverrai l'épître du fils d'un bourgmestre sur la politesse hollandaise, et je vous prierai de lui donner une petite place dans vos juiveries.
Adieu, monsieur; je vous embrasse tendrement. J'espère encore une fois venir jouer quelque rôle dans vos pièces. Je présente mes respects à mademoiselle Le Couvreur d'Utrecht; vous faites tous deux une charmante synagogue, car synagogue signifie assemblage.
P. S. Ma foi, je suis enchanté que vous ayez reçu des nouvelles qui vous plaisent. Si j'avais un fils comme vous, et qu'il se fît turc, je me ferais turc et j'irais vivre avec lui et servir sa maîtresse. Malheur aux Nazaréens qui ne pensent pas ainsi!
Je vous envoie la politesse hollandaise: faites en usage le plus tôt que vous pourrez. Voilà le canevas; vous prendrez de vos couleurs, vous flatterez la nation chez qui vous êtes, et vous punirez l'ennemi de toutes les nations. Je vous embrasse tendrement.