1736-11-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Bonaventure Moussinot.

J'ay envoyé à Troye mon cher abbé, j'ai payé les frais d'un procez que je n'avois pas fait, et j'ay eu mon balot de livres.

J'ay eu aussi celuy où étoit mon portrait. Je voudrois qu'il fût un peu plue empâté et plus vif de couleurs. Pouriez vous en faire exécuter quelque copis un peu plus animée?

On dit qu'il y a un homme à Paris qui fait les portraits en bague d'une manière parfaitte. J'ay vu un portrait de Louis 15 de sa façon très ressemblant. Vous trouverez impertinent que la même main paigne le roy et moy chétif, mais on le veut, et j'obéis. Ayez donc la bonté de déterrer cet homme. Envoyez de ma part savoir où il demeure, à mr le chevalier de Villefort, chez Mgr le comte de Clermont pds.

Mais pourquoy Chevalier ne pourait il pas travailler sous mes yeux? On dit du bien de luy, et il n'a pas encor assez de réputation pour être indocile.

Si Boucher vouloit venir travailler à Cirey, nous luy ferions faire cinq tablaux de la Henriade. Ensuitte quinze aunes de courre en tapisserie coûteroient environ sept mille francs, et 1500lt ou 2000lt pour le peintre. Le tout ne reviendrait peutêtre pas à 10000lt. Mais nous en raisonerons plus àfonds.

En attendant j'accepte le marché que vous me proposez de la succession de la Verchere. Je m'en raporte à vous, mais où mettrez vous les effets? Ecrivez moy sur cela vos idées, et suivez les.

Vous m'avez fait grand plaisir de m'emprunter un peu d'argent, tout ce que j'ay est à votre service. Si ce chev. de Mouhi vient vous voir dites luy que je suis prest à luy faire tous les plaisirs qui dépenderont de moy, mais ne luy donnez point des espérances trop positives, et ne vous engagez pas.

Envoyez moy je vous prie par le coche deux belles et très grandes boucles de souliers à diamants, d[es boucle]s de jarretières à diamants, deux [des grandes o]u quatre des petites estampes de mon petit visage.

Je vous demande en grâce de renvoyer à mr Berger son billet avec une petite excuse de ne l'avoir pas fait plustôt. Il demeure à l'hôtel Soissons.

Je vous embrasse tendrement mon cher abbé.

V.