Je reçois adorable Talie, votre lettre du 25.
Vous avez bien raison de dire que si vous étiez à Cirey vous me feriez faire une tragédie en six semaines. Vous me feriez faire assurément tout ce que vous voudriez, mais tant que vous n'y serez pas, le téâtre a bien la mine d’être sacrifié à ces malheureuses mathématiques, à ces véritez arides qui sont sans agrément, et qui ne peuvent être embelies par vous.
Je suis toujours le très humble serviteur des goûts des personnes avec qui je vis. On aime icy la philosophie de Neuton, et je me suis mis à L'aimer. Je calcule, je combine, je cherche à comprendre ce que les autres ont découvert. Il y a bien loin de Là à une comédie, et à une tragédie. Ne comptez point sur moy cet hiver. Laissons passer les plus pressez. Ce sera l'hiver prochain que je me mettray sous votre coulevrine. Je rassembleray tout ce qui peut me rester de force pour mériter encor une fois vos soins. Je vous enverray un plan bien détaillé dans deux ou trois mois, un peu de prose, un peu de vers, de grandes marges surtout, que vous remplirez s'il vous plaît de ces remarques pour les quelles j'ay tant de foy. Hélas que ne vous ai-je plus tôt connue! Je vaudrois bien mieux que je ne vaux.
Vous moquez vous de réciter des rôles faits par nous autres! Une seule de vos lettres est bien mieux écrite que tout ce que nous vous faisons dire. La diférence est que nous nous donnons la torture pour avoir de l'esprit, et qu'il ne vous en coûte rien. Je le dis encor quand vous voudrez qu'une pièce réussisse, composez votre rôle vous même.
Vous aurez donc la bonté de m'envoyer Le manuscrit par mr de Pondevel qui le fera contresigner. Je vous auray une nouvelle obligation.
Que vous avez bien fait de refuser la pièce tout net, et de mentir pour le bien de la chose! Le mensonge est vertu icy comme vous savez bien.
Autre belle action de reculer la représentation à la cour. Il faut faire venir la cour chez vous. Adieu adorable Talie, adieu. Je vous demande toujours très humblement pardon de La Croupillac, mais quelque rôle que je vous eusse donné, il eût fallu toujours en être honteux. Adieu. Vous ne m'aimez que pour votre téâtre, et moy je vous aime pour vous comme de raison.
à Cirey ce 29 [October 1736]