1736-09-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

J'avois ôté ce monstre subalterne d'abbé Desfontaines, de L'ode sur l'ingratitude, mais les transitions ne s'acomodoient pas de ce retranchement, et il vaut mieux gâter des Fontaines que mon ode, d'autant plus qu'il n'y a rien de gâté en relevant sa turpitude.
Je vous envoye donc L'ode. Chacun est content de son ouvrage, cependant je ne le suis pas de m'être abaissé à cette guerre honteuse. Je retourne à ma philosophie. Je ne veux plus connaître qu'elle, Le repos et l'amitié.

J'avois deviné juste, vous étiez malade, mon cœur me le disoit. Mais si vous ne l'êtes plus, écrivez moy donc. Mr Berger a pressé l'impression de la Henriade, mais je vais le prier d'aller bride en main, afin que les derniers chants se sentent au moins de vos remarques. Envoyez moy cette pièce de la ménagerie. Je ne sçai ce que c'est. On dit qu'il parait une réponse de la Chaussee aux trois impertinentes épîtres de Roussau, et qu'elle court sous mon nom. Il faut encor m'envoyer cela, car nous aimons les vers, tout philosophes que nous sommes à Cirey.

Or quesce que Pharamond? A t'on joué Alzire à Londres? Ecoulez mon amy. Gardez moy, vous et les vôtres le plus profond secret sur ce que vous avez lu chez moy, et qu'on veut représenter à toutte force.

J'ay grand peur que le petit la Mare, grand fureteur, grand étourdi, grand indiscret, et super hœc omnia ingratissimus n'ait vu le manuscrit sur ma table. En ce cas je le suprimerois tout à fait. Emilie vous fait mille compliments. Ne m'oubliez pas auprès de Pollion et de vos amis. Adieu mon amy que j'aimerai toujours. Que devient le père d'Aglaure? Adieu, écrivez moy sans soin, sans peine, sans efort comme on parle à son amy, comme vous parlez, comme vous écrivez. C'est un plaisir de grifoner nos lettres. Une autre façon d'écrire seroit insuportable. Je les trouve comme notre amitié, tendres, libres, et vraies.