Du palais de Kensigton ce ²³⁄₁₇ de Juin [4 July] 1736
Après vous avoir remercié de L'obligation que je vous ai come un membre du publique de votre Tragédie d'Alzire, il faut mon cher Monsr que je vous marque une Reconnoissance plus particulière de L'exemplaire que vous avez eu la Bonté de m'envoyer.
J'approuve extremment la préface; je trouve L'Epitre à madme de Chatelet (dont je suis amoureux par Bricole) incomparable; & la tragédie elle même le plus beau de tous vos Ouvrages; que selon moy est le plus grand Eloge qu'on en puisse faire.
Le sujêt est tout à fait nouveau sans la moindre absurdité; il y a beaucoup dans les caracters auquel on n'est pas accotumé & pourtant rien qui choque; il y a de la tandresse sans fadeur, de la Religion sans ridicule, & des bons caracters qui ne son pas hors de la nature; voilà des grandes Difficultées que selon moy vous avez très habillement surmontées & des grandes contradictions que vous avez ford heureusement conciliés.
Après vous à voire parlé de votre tragédie il faut que je vous dise deux mots de votre amy Monsr Algarotti, qui vous mandera cette Lettre de ma part; j'en suis véritable ment charmé. Il a, joint à un savoir qui n'est ordinairement (come dit votre Boileau) que le fruit tardif d'une Lente viellesse, toute la vivacité qui est naturelle à son âge avec un bon goût & une justesse D'esprit qui sont très rares à aucun âge.
Il sçait bien profider de tout le bon & le mauvais qu'il rencontre ici; il jouisse raisonablement de L'un & se moque très sagement et très àpropos de L'autre; sachant bien come dit Tibulle In tacito gaudere sinu, il est fort poli; & réussit dans ce Pais extrêmement; dont je me vante en bon Patriot car ce la fait plus d'honneur à nous qu'à lui.
J'enrage quelquefois de peur qu'il ne me trouve L'esprit horriblement embrouillé, car nous parlons souvent sur des choses dont il me faudroit du moins tout mon anglois, pour m'expliquer, & je n'ay au lieu de ce la qu'un vilain Ragout mêlé d'un peu de François & moins D'Italien pour me comuniquer, ce la est très fâcheux pour moy, car il me semble qu'il est toujours de nos paroles à l'égard de nos pensées, comme il est de notre confidance à l'égard de nos secrets, nous ne nous comuniquons presque jamais entiers, & dans la Langue qu'on possède le mieux, come vers ceux où on se confie le plus, il reste toujours en nous quelque chose de plus que nous ne donons; la seulle Différence dans ce deux cas me paroit, qu'on ne peux pas se dévellopper dans L'un & on ne veut pas dans L'autre.
Revenons à cet heur à vous — la Reine avoit lu aussi bien que moy, votre tragédie avant que vous me l'aviez envoyé; mais c'estoit dans une edition où l'Epitre à madme de Chattelet ne se trouva pas: je lui ai montré cette Epitre depuis, & elle m'en a paru très contante, quoiqu'elle y a trouvé à redire d'une façon que certainnement un autre ne fera pas, c'est à dire en niant qu'elle méritoit le compliment que vous lui faites là dedans.
Come elle m'a fait la grâce de souffrir auprès d'elle tous les jours dans ses heurs retirées aussi bien que pupliques, je puis vous assurer que toute grande Reine qu'elle est, elle n'est redevable ni à sa naissance ni à son rang pour les Qualités les moins comunes qu'elle posede; & que quoique qu'elle se trouve dans une situation où il n'est pas nécessaire de mériter les Louanges pour le recevoire, la nature & sa Disposition ne L'ont pas fait moins capable De L'un, que sa situation l'a mise à portée de L'autre.
Je suis bien aise d'entendre que vous ayez obtenue à la fin permission de retourner à Paris; mais prennez garde de ne point mériter, ou du moins de ne vous point attirer un troisième Exil; si je croiois qu'on voudroit vous reléguer dans notre Isle en cas de quelque nouveau crimes peut-eter je serois trop intéressé pour vous donner ce conceil, mais come notre avantage seroit aparament moins considéré dans votre sentance que votre suplice, j'ai peur qu'on ne vous envoiroit pas où vous seriez tant chéri.
Vous savez mon cher que malgré tout votre esprit verbal je vous ai toujours dit que vous êtes un peu fou dans la pratique; & vos folies ont ce la de particulier qu'elles sont charmantes pour les autres & dangereuses seullement pour vous même; réfléchissez dont combien D'amitié je devrois avoir pour vous quand je tâche de vous guérir d'un mal que j'avoue en même tems m'a tant diverti; ménagez un peu La Déliquatesse du cardinal sur les sujets que vous aimez tant à traiter; je vous dis come Cicerone à Atticus de Dolabella nolo asillum iratum habere; & ne pensez pas qu'un minister de L'église Romaine & de la France, puisse jamais souffrir que vous vous déchainiez perpétuellement & impunément contre les abus de la Religion créthienne, & les inconvéniens du pouvoire despotic. Songez quand vous estes à Paris, non est his Locus, que c'est du bon sens déplacé, & que plus vous brillierez & mieux vous prêcheriez sur ces deux texts, moins vous an serez goûté & plus vous an serez puni.
dit votre auteur favorit, réglez vous pour l'avenir sur sa maxime, & remerciez un amy éloigné qui vous en fait souvenir pour appuier d'une si grande authorité, le conceil flegmatique mais salutaire qu'il vous a donné.
Ecrivez moi souvent et envoyez moi votre adresse. Je m'intéresse beaucoup à tout ce qui vous regarde & je serois toute ma vie L'admirateur de vos ouvrage & le cenceur de votre conduite, &
votre sincére & obéissant serviteur.
Voici mon adresse To My Lord Hervey at st James palace London.