J'ay receu Monsieur avec bien de la sensibilité la marque d'amitié que vous avez bien voulu me donner.
Vous verrez par la préface d'Alzire que j'ay l'honneur de vous envoyer avec quelle passion je souhaite que les gens de lettres soient unis, et j'ose dire que si je pouvois me flatter de faire des vers aussy bien que vous, nous devrions donner l'exemple de cette amitié si rare parmi les personnes qui courent la même carrière. Vous êtes assurément le digne fils de notre grand Racine. Si votre poème de la relligion est comme le morceau que vous me fîtes l'honneur de me lire, il y a quelques années, soyez sûr que vous serez placé à côté de l'auteur d'Athalie, et que personne ne fera plus d'honneur à notre nation. La fortune de M. votre père commença par une Ode sur la paix, mais altri tempi altre cure. Vous faites votre fortune d'une autre manière, plus convenable peut être au temps présent. Il est vray que votre Ode a trouvé beaucoup de frondeurs. Vous avez assez de réputation pour avoir des ennemis. Je ne seray jamais de ce nombre. Je me mets depuis longtemps au rang de vos plus grands partisans sans quoyqu'assurément je ne pense pas comme vous sur les matières que vous traittez. Mais cette différence de sentiments ne sert qu’à m'affermir davantage dans l'estime avec laquelle je seray toute ma vie Monsieur votre très humble et très obéissant serviteur,

Voltaire