1736-03-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Gilles Thomas Asselin.

J'avais recommandé, monsieur, au petit de La Mare de ne pas manquer de vous présenter de ma part un Jules César, et de vous remercier encore, en mon nom, de l'honneur que votre collège a fait à ma tragédie.

Je vois, par le peu d'attention qu'il a eu à cette édition, qu'il est très capable d'avoir oublié son premier devoir; ainsi, à tout hasard, j'ai écrit pour qu'on vous présentât cet hommage que je vous dois.

Une des plus grandes fautes de La Mare dans cette édition a été d'omettre ce que je lui avais dicté expressément touchant l'assassinat de César par Brutus, son fils, et sur la manière dont on peut retrancher si l'on veut cet endroit.

Il me paraît d'ailleurs que dans la lettre de m. Algarotti, et dans celle qui est imprimée à la suite il a laissé des choses qu'il devait assurément corriger.

Quoi qu'il en soit, j'apprends que l'abbé Desfontaines continue de me déchirer; c'est un chien poursuivi par le public et qui se retourne tantôt pour lécher et tantôt pour mordre. L'ingratitude est chez lui aussi dominante que le mauvais goût. Ses mœurs et ses livres inspirent également le mépris et la haine. L'exécration générale dans laquelle est ce malheureux ne me laisse pas soupçonner que vous ayez avec lui aucun commerce.

Je pourrai bien vous donner un jour une pièce encore sans femmes. Je serai le poète d'Harcourt; mai je serai sûrement toujours votre ami. C'est un titre dont je me flatte pour ma vie.

Voltaire