à Cirey par Vassy en Champagne ce 4 octobre 1735
Quel procédé esce, là? pourquoy donc ne m’écrivez vous point? avez vous s'il vous plait un plus ancien amy que moy? avez vous un aprobateur plus zélé de vos ouvrages?
Je vous avertis que ma colère contre vous est aussi grande que mon estime et mon amitié, et qu'ainsi je dois être terriblement fâché. En un mot je souhaitte passionnément que vous m’écriviez, que vous me parliez de vous, de belles lettres, d'ouvrages nouvaux. Je veux réparer le temps perdu, je veux m'entretenir avec vous. Premièrement je vous demande en grâce de me mander où je pourois trouver le livre pour lequel le pauvre Vanini fût brûlé. Ce n'est point son amphiteatrum. Je viens de lire cet ennuyeux amphiteatrum, c'est l'ouvrage d'un pauvre téologien ortodoxe. Il n'y a pas d'aparence que ce barbouilleur tomiste soit devenu tout d'un coup athée. Je soupçonne qu'il n'y a eu nul athéisme dans son fait, et qu'il pouroit bien avoir été cuit comme Goffredy et tant d'autres par l'ignorance des juges de ce temps là. C'est un petit point d'histoire que je veux éclaircir, et qui en vaut la peine à mon sens.
Il y a dans Paris un homme baucoup plus brûlable, c'est l'abbé Desfontaines. Ce malheureux qui veut violer tous les petits garçons et outrager tous les gens raisonables vient de payer d'un procédé bien noir les obligations qu'il m'a. Vous me demanderez peutêtre quelles obligations il peut m'avoir, rien que celle d'avoir été tiré de Bissêtre, et d'avoir échapé à la Greve. On vouloit à toutte force en faire un exemple. J'avois alors bien des amis (que je n'ay jamais employé pour moi). Enfin je luy sauvai l'honneur et la vie, et je n'ay jamais affaibli par le plus léger procédé les services que je luy ay rendus. Il me doit tout, et pour unique reconnaissance, il ne cesse de me déchirer. Savez vous qu'on a imprimé une tragédie de Cesar composée de baucoup de mes vers estropiez, et de quelques uns d'un régent de rhétorique, le tout donné sous mon nom? J’écris à l'abbé Desfontaines avec confiance, avec amitié à ce sujet, je le prie d'avertir en deux mots que l'ouvrage tel qu'il est n'est point de moy, que fait mon abbé Deschaufours? Il broche dans ses malsemaines, une satire honnêtement impertinente, dans la quelle il dit que Brutus étoit un quakre, ignorant que les quakers sont les plus bénins des hommes, et qu'il ne leur est pas seulement permis de porter l’épée. Il ajoute qu'il est contre les bonnes mœurs de représenter l'assassinat de Cesar, et après tout cela, il imprime ma lettre. Quels procédez il y a essuyer de nos prétendus baux esprits! que de bassesses! que de misères! Ils déshonorent un métier divin. Consolez moy par votre amitié, et par votre commerce. Vous avez le solide des anciens philosophes, et les grâces des modernes. Jugez de quels prix vos attentions seront pour moy. S'il y a quelque livre nouvau qui vale la peine d’être lu je vous prie de m'en dire deux mots. Si vous faites quelque chose, je vous prie de m'en parler baucoup.