à Bordx 5 octobre 1734

J'ay receu, Monsieur, avec une Joye et une reconnoissance que je ne puis vous exprimer la nouvelle édition de Vos ouvrages.
Ils sont venus apropos pour me purifier. J'avois encore la tête pleine d'un grand et Vilain procès pour nôtre compaignie que je viens de terminér avec succès, et la Lecture délicieuse de Vôtre poësie m'a entièrement régénéré L'esprit. Sans flatterie, monsieur, je vous ay relû avec le même goût que je Vous lûs la première fois. Je me souviens du plaisir que vous me donnâtes alors, j'étois jeune, je n'avois encore eû Entre les mains que les œuvres de Lamotte, et la proze qui Voloit toutes les années le prix à la poësie, aux jeux floreaux et à l'académie françoise; j'étois peut-étre mécontent par instinct, mais enfin je L'étois, dès que je vous eus; vous me fites bien sentir que j'avois raison, et cela m'a toujours resté depuis.

Tout est mort à Paris, Monsieur, j'y ay dû applaudir avec fureur une petite pièce platte composée aux dépens de la Berenice. Boindin cet homme qui a toujours raizon à force de Vigueur crie encore dans les caffés que l'autheur d'Enée et de Didon nous promet un successeur de Racine.

Je ne voudrois vous rien dire du petit Voltaire, car je Vous avoueray naturellement que je suis fâché que vous en ayés parlé dans vos ouvrages, il ne peut atteindre jusqu'à vous, Monsieur, et Le public vous en a fait suffisamment Justice… Voltaire peut bâtir des temples tant qu'il voudra, je ne prendray jamais Le marteau pour les abatre, … cela étoit non seullement bien dit, mais trés Judicieusement pensé.

N'avés vous pas admiré une chose dans ses lettres angloises? c'est que parmi les plus grandes matières de la Religion, de la philosophie, de la politique et de La morale dont il parle, il n'y en a qu'une qui y soit traitée, et c'est précisément celle qu'il est Entièrement incapable d'entendre.

Conservés moy je Vous prie, l'honneur de Vôtre souvenir, et soyés persuadé que je seray toujours avec La plus parfaite estime Monsieur

Votre trés humble, et trés obéissant serviteur

Bel