[c. 15 July 1734]
. . . V. des affaires de qui j'avais commencé à vous rendre compte et qui me donne tant de chagrin et tant d'inquiétude est plus à plaindre que jamais.
Ses affaires vont tous les jours de mal en pis. Le G. d. s. a paru apaisé, il avait même donné des paroles de paix à me d'Aiguillon, il avait demandé de lui des lettres de désaveu de ce malheureux livre, moyennant quoi il promettait de révoquer cette lettre signée Louis. Il a écrit et fait tout ce que l'on a voulu avec une docilité attendrissante, mais le départ de me d'Aiguillon qui était le plénipotentiaire de cette affaire, a fait évanouir toutes nos espérances. Le ministre paraît plus irrité que jamais, le parlement l'a brûlé, il y a dans l'arrêt une permission d'informer que le procureur général veut poursuivre contre toute vraisemblance. La cour ne veut point révoquer sa lettre de cachet. On lui fait un crime d'un voyage qu'il a fait au camp que son amitié seule pour m. de Richelieu lui a fait entreprendre sur les bruits qui passaient pour constant en Lorraine où il était alors qu'il était blessé dangereusement, d'autres disaient même mort. Mais il y a des temps où tout se tourne en aigre. On lui a prêté cent mauvais propos, le ministère a saisi ce prétexte avec plaisir, je suis bien convaincu qu'il a un dessein formé de le perdre, on parle d'un bannissement. Pour moi je ne sais plus qu'en croire. Je sais bien qu'à sa place je serais à Londres ou à la Haïe il y a déjà longtemps. Je vous avoue que tout cela m'a sensiblement affligée, je ne m'accoutume point à vivre sans lui et à l'idée de le perdre sans retour. Cela empoisonne toute la douceur de ma vie. Vous voyez que vos lettres et les marques de votre amitié me deviennent tous les jours plus nécessaires. M. de Maupertuis me voit souvent, il est extrêmement aimable, il me semble que vous le connaissez peu, mais sûrement si vous le connaissiez davantage vous en feriez cas. Il prétend qu'il m'apprendra la géométrie. Mon voyage a fort retardé le projet, je commence à le reprendre. Je lis l'anglais assez bien à présent, mais je n'ai pu encore parvenir à l'écrire couramment. Je lis le conte du tonneau, c'est un livre bien plaisant et bien singulier. Il y a à la comédie française une tragédie nouvelle nommée Didon, elle est d'un jeune homme de 22 ans et n'est pas sans mérite, mais elle ne mérite pas la moitié du bien qu'on en dit. Il y a aussi une petite pièce qu'on appelle la pupille qui est d'un mr Le Vayer, conseiller au parlement, et qui est charmante. On joue les Elemens et mdlle Le Maure a la voix plus belle que jamais. Il paraît un livre du président de Montesquiou sur les causes de la décadence de l'empire romain qui ne me paraît point digne de l'auteur des lettres persanes quoiqu'il y ait de l'esprit. Vous en jugerez car vous l'aurez apparemment. Vous voyez que je vous fais chère d'avare par la longueur de cette lettre, mais si vous me répondez un peu exactement je vous promets de vous écrire toutes les semaines et je me le promets bien à moi même car j'y trouve un plaisir extrême. La façon pleine d'amitié dont vous avez partagé ma douleur est une des choses du monde qui m'a fait le plaisir le plus sensible. Qui peut vous exprimer combien j'ai senti vivement le désir que vous avez eu de la venir partager? J'y sens qu'il n'y a point de malheur dont votre amitié ne console. On travaille à force à mon hermitage et je ne désespère pas de vous y recevoir un jour. On m'a peu parlé de vous ici. Je crois que vous n'êtes pas en peine de mes réponses en cas que l'on m'en parlât. Adieu, monsieur, je vous quitte avec peine et j'ai besoin que le papier se refuse à tout ce que mon amitié me dicte.