1734-01-30, de Jean Baptiste Rousseau à Claude Brossette.

Il y avoit peu de jours Monsieur que votre lettre du mois d'octobre dernier m'avoit été rendue, lorsque mr Barillot, votre libraire, vint me voir en passant par ici pour retourner en France, et j'appris de lui que sur l'examen ordonné par les magistrats de la ville d'Amsterdam des nouvelles notes sur Regnier, indépendamment du retranchement qui avait déjà été fait de ce qui vous regardoit personellement, le reste avoit été trouvé si détestable et si rempli de choses contraires à l'honnêteté et à la pudeur que le livre avoit été supprimé et ce qui en étoit déjà imprimé mis au pilon.
Je priai mr Barillot, qui partoit le lendemain pour Paris, d'où après un mois de séjour il devoit se rendre à Lion, de vous faire mes complimens et de vous dire que la guerre qui venait d’être déclarée me mettant dans la nécessité d'interompre tous les commerces que j'avois en France, je vous priois de m'excuser si je ne répondois point à votre dernière lettre, aïant déjà fait ou fait faire la même prière à tous ceux de mes amis avec qui j'entretenois quelque correspondance. Je vois par ce que vous me faites l'honneur de m’écrire du 21 de ce mois qu'il ne s'est point acquité de ma commission et c'est pour y suppléer par moi même que je passe ici par dessus la règle que je me suis prescrite et que j'ai résolu d'observer aussi longtems que la guerre durera. Vous êtes trop sage pour n'en pas pénétrer la raison et trop juste pour la désapprouver. Cette même raison m'empêche de vous satisfaire sur l’éclaircissement que vous me demandez touchant ma brouillerie avec Voltaire. Ce récit m'engageoit dans une discussion qui passeroit la mesure d'une lettre, et si vous en êtes curieux, mr l'abbé Nadal que vous pouvez connoître et à qui j'en ai fait le détail vous le pourra communiquer sans trahir une confidence, car je n’écris rien que ce que je veux que tout le monde sache, mais je vous avoüerai de plus que quoiqu'il vous plaise de mettre cet insensé rimeur et moi sur le même trône, mon attention a quelque peine à descendre si bas et qu'on ne me fait pas plaisir de la réveiller sur des objets si méprisables . . . .

Rousseau