1733-11-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jacques François Paul Aldonce de Sade.

J'interromps l'agonie pour vous dire que vous êtes une créature charmante Vous m'avez écrit une lettre qui me rendrait la santé si quelque chose pouvait me guérir.

On dit que vous allez être prêtre et grand vicaire. Voilà bien des sacrements à la fois dans une famille. C'est donc pour cela que vous me dites que vous allez renoncer à l'amour.

Ainsi donc vous vous figurez,
Alors que vous possederez
Le triste nom de grand vicaire,
Qu'aussitôt vous renoncerez
A l'amour, au grand art de plaire.
Ah! tout prêtre que vous serez,
Seigneur, seigneur, vous aimerez.
Fussiez vous évêque ou st père,
Vous aimerez et vous plairez.
Voilà votre vrai ministère;
Vous aimerez et vous plairez,
Et toujours vous réussirez
Et dans l'église et dans Cythère.

Vos vers et votre prose sont bien assurément d'un homme qui sait plaire. Je suis si malade que je ne vous en dirai pas davantage et d'ailleurs que pourrais je vous dire de mieux sinon que je vous aime de tout mon cœur? J'ai envoyé trois Henriades de la nouvelle édition à m. de C . . . .par m. de Malijac, une par monsieur de Sozzi qui demeure à Lyon, vis à vis Bellecourt. Je ne lui écris point, et à vous je ne vous écris guère car je n'en peux plus. Adieu. Conservez bien votre santé; il est affreux de l'avoir perdue et d'aimer le plaisir. Vale, vale. Ne parlez pas à madame du Châtelet de son anglais. C'est un secret qu'il faut qu'elle vous apprenne. Adieu, je vous serai attaché tout le temps de ma courte et chienne de vie.

Volt.