[2 October 1733]
Quelle foible réponse mon aimable amy à votre charmante églogue, et que j'ay de remords de vous payer si tard, et si mal! N'acusez point ma paresse. Mon cœur surtout n'est point paresseux, mais vous savez que ma détestable santé me met quelquefois dans l'impuissance de penser et d'écrire. Cela met dans ma vie des vides efroiables. Il faut quelquefois que je demeure plusieurs jours privé de la consolation des belles lettres et de la douceur de notre commerce. Moy qui voudrois, vous le savez bien, passer ma vie entre les lettres et vous, faut il que je ne la passe presque qu'en regrets? L'abbé, Linant, ou plutôt Linant qui n'est plus l'abbé Linant vient d'arriver, toujours rempli de vous. Il luy faudra du temps pour reprendre l'habitude de la vie inquiète et tumultueuse de Paris après avoir joui d'une si douce tranquilité auprès de vous. Il est bien mal logé chez moy, mais ce n'est pas ma faute, c'est la sienne. Il a trouvé en arrivant un compagnon que je luy ay donné, et dont je croi qu'il sera content. C'est un jeune homme nommé le Fevre qui fait aussi des vers harmonieux, et qui est né comme Linant, poète et pauvre. Je voudrois bien que ma fortune fût assez honnête pour leur rendre la vie plus agréable, mais n'ayant point de richesses à leur faire partager, ils daignent partager ma pauvreté. Je ne suis pas comme la plupart de nos parisiens, j'aime mieux avoir des amis que du superflu, et je préfère un homme de lettres à un bon cuisinier et à deux chevaux de carresse. On en a toujours assez pour les autres quand on sait se borner pour soy. Rien n'est si aisé que d'avoir du superflu. Voilà une morale que mr le marquis ne goûtera pas, mais qui est sûrement de votre goût.
A l'heure que je vous parle mes deux amis sont à la comédie à une pièce nouvelle d'un nommé la Chaussee, intitulée la fausse antipatie. Ce titre a de l'air de Marivaux mais Marivaux ne fait pas de vers, et la Chaussée en fait de très bons, du moins dans le genre didactique. Ce n'est pas un bon préjugé pour le genre de la comédie.
J'assistay hier à la première représentation de l'opéra d'Aricie et d'Hipolite. Les paroles sont de l'abbé Pellegrin, et dignes de l'abbé Pellegrin. La musique est d'un nommé Ramau, homme qui a le malheur de savoir plus de musique que Lully. C'est un pédant en musique. Il est exact, et ennuyeux.
Linant revient de la comédie, il dit qu'elle a plu assez, qu'elle n'est pas absolument froide et qu'elle est bien écritte.
Adieu. Sur nos vieux jours nous irons ensemble aux premières représentations.