14 mars 1732
Je viens, monsieur, de saisir avec le dernier empressement, votre histoire de Charles XII qui m'est tombée entre les mains: mais je ne l'ai pas dévorée avant tant d'avidité qu'il ne me soit resté assez de liberté pour en admirer le tout et les parties.
Je suis enchanté de l’élégance et de la précision du style autant que du choix des événements. Votre plume ne s'est pas démentie; on vous y reconnaît d'un bout à l'autre; cela suffit pour l’éloge de ce morceau d'histoire. Mon amour propre s'est trouvé flatté de la haute estime que j'avais conçue pour vous dès le temps que je faisais à Paris la profession d'avocat: et depuis plus de quinze ans que des dispositions de famille m'ont relégué dans ma province, je n'en ai rien diminué: non plus que d'une certaine franchise que vous n'improuviez pas alors, quoiqu'elle vous parût quelquefois accompagnée d'un peu trop de sévérité. Si vous avez conservé pour moi les sentiments que j'ai toujours eus pour vous, je me persuade que vous recevrez dans le même esprit quelques remarques que j'ai faites en parcourant votre livre.
Page 24. Vous faites partir le czar Pierre le grand la seconde année de son règne en 1678 pour aller travailler dans les chantiers de l'amirauté d'Amsterdam . . . . Permettez moi, monsieur, de vous dire que vos mémoires vous ont déçu sur la seconde année du règne de ce prince. C'est bien la seconde effectivement, si vous comptez du jour qu'il fut associé au trône du czar Jean son frère aîné après la mort d'Alexis leur père commun: mais comment aurait il pu entreprendre un si long voyage et un travail si pénible à l’âge de six ans puisqu'il n'est né qu'en 1672? Il faut donc le remettre à 20 ans plus bas, c'est à dire en 1698 qu'il était seul monarque de Moscovie par la mort de son frère arrivée en 1696. Ce sera réellement la seconde année de son véritable règne; et la vérité de cette singulière époque se trouvera fixée dans votre histoire comme elle l'est par les mémoires du temps, qui nous l'ont fait connaître en 1698 sous le nom de Pieter Bas, ou de maître Pierre Michaeloff à Sardam.
Page 123. Je lis avec quelque surprise la lettre que vous faites écrire de Leipsick par le roi Auguste au roi Stanislas, qui prévient celle de ce prince et le félicite sur son avènement à la couronne de Pologne. Que la lettre soit écrite à Leipsick selon vous, ou de Dresde selon moi, il importe peu. Il suffit que la lettre ait été écrite, et que la date en soit du 8 avril 1707, mais il importe extrêmement de constater l'authenticité de la vôtre ou de celle dont voici la copie. La vôtre est mieux écrite, j'en conviens; mais celle-ci est plus dans la vérité de l'histoire. Ayez agréable de les confronter.
Lettre écrite par le roi Auguste au roi Stanislas I
Monsieur et frère,
La raison pourquoi nous n'avons pas répondu plus tôt à la lettre que nous avons eu l'honneur de recevoir de v. m. c'est que nous avons jugé qu'il n’était plus nécessaire d'entrer dans un commerce particulier de lettres. Cependant pour faire plaisir à s. m. suedoise, et afin qu'on ne nous impute pas que nous faisons difficulté de satisfaire à son désir, nous vous félicitons par celle-ci de votre avènement à la couronne, et nous souhaitons que vous trouviez dans votre patrie des sujets plus fidèles et plus obéissants que ceux que nous y avons laissés. Tout le monde nous fera justice de croire que pour tous nos bienfaits, et pour tous nos soins, nous n'avons été payé que d'ingratitude, et que la plus grande partie d'eux ne s'est appliqué qu’à former des partis pour avancer notre ruine. Nous souhaitons que vous ne soyez pas exposé à de pareils malheurs, vous remettant à la protection de dieu,monsieur et frère, votre frère et voisin,
Auguste roidonné à Dresde le 8 avril 1707
Vous voyez, monsieur, par les premières lignes de cette lettre, que le roi Stanislas avait prévenu le roi Auguste qui n'avait tenu compte de lui faire réponse; à quoi véritablement il fut forcé par le roi de Suède. Ce fait est intéressant, et il l'est encore devenu pour nous davantage depuis l'alliance que nous avons faite avec le roi Stanislas. Vous ne pouvez ignorer que lors du mariage de la princesse sa fille avec le roi notre maître, m. Hoyms, ambassadeur de Saxe, proposa à la reine de France un projet d'accommodement entre les deux rois de Pologne, dont le fondement était de lui remettre en main l'original de cette fameuse lettre. Il y avait déjà longtemps que j'en avais une copie que je négligeais; mais la résistance que la cour de Chambor apporta à souscrire à ce premier article du traité proposé, me la rendit d'autant plus précieuse que chacun s'empressait de la lire, pour juger de quelle conséquence elle pouvait être dans l'occurrence d'alors. Vous êtes à porté, monsieur, de faire juger ce différend; mais outre les raisons naturelles du plus vraisemblable qui militent en ma faveur, j'ai encore pour moi plusieurs de mes amis qui étaient assez initiés dans le ministère de la cour de Weissembourg, pour donner à ma copie une autorité qu'ils lui ont reconnue.
Page 200. Le sultant Akmet II était oncle d'Achmet III et non son père. Celui ci était frère de Mustapha auquel il succéda en 1703, et tous deux étaient fils de Mahomet IV frère aîné d'Achmet II. Cela est certain.
Page 225. Il paraît bien de la mauvaise humeur dans ceux qui vous ont fourni la généalogie de la czarine Catherine. On affecte d'ignorer jusqu’à son premier nom et celui de son père. On déguise la qualité de son premier mari pour la faire naître le fruit des prostitutions de la malheureuse Erb-Magden, et la jeter entre le bras d'un dragon suedois. Encore ceux qui ont en admiration la mémoire de cette héroîne doivent ils être redevables à ces chroniqueurs de ce qu'ils lui font l'honneur de la faire passer par le mariage. Je ne leur opposerai point m. de Rabutin, son témoignage et peut-être encore celui de m. son oncle seigneur de mon voisinage de qui j'ai eu l'avantage d’être connu pourrait leur être suspects. Mais rapportons nous en à m. de Villelongue. Attaché qu'il était au service du roi de Suede, il n'avait aucune raison d'illustrer la femme de l'ennemi de son maître. Au contraire même, je vous assure qu'il ne la flattait pas dans les portraits que je lui en ai entendu faire. Il vit encore a Vienne avec la princesse Ernestine de Hesse son épouse. Je suis ami particulier de toute sa maison, et j'ose assez m'en prévaloir pour pouvoir lui demander là dessus tous les éclaircissements que vous jugerez nécessaires.
M. Albenduel, gentilhomme suedois, père de la czarine, était un homme connu. On le dit officier. Quelques uns ne lui donnent que la qualité de tambour major. Qu'importe? Il est donc connu. Voilà le père de Marthe Mathuweissana confirmée ou rebaptisée sous le nom de Catherine Alexiewna: mais la malice de ses ennemis ne lui donne pour mari qu'un simple dragon, tandis que m. Thiensenhausen qui l'a épousée ou au moins fiancée était encore en 1713 lieutenant colonel de dragons au service du roi de Suede. Quel peut être le fruit de cette affectation et le mauvais plaisir des chroniqueurs dans un fait sur lequel un million de personnes sont en état de leur donner le démenti? et pourquoi ne pas suivre les mémoires de Pierre le grand par le b. Iwan Nestesurannoï? Ce Moscovite peut il être suspect? C'est de lui que j'ai emprunté ce que j'ai écrit de cette princesse dans un projet de l'histoire du roi Stanislas, que j'avais commencé pour feue made la duchesse d'Orleans, et que j'ai abandonné à sa mort faute de mémoires suffisants, et parce que je n’étais plus guidé par cette étoile polaire.
Je suis avec le plus haut estime &c.