1732-04-27, de Valentin Philippe Bertin de Rocheret à Voltaire [François Marie Arouet].

J'ai reçu, monsieur, et relu avec un extrême plaisir la seconde édition de votre élégante histoire de Charles XII.
Je vous en suis obligé et vous en remercie avec toute la sensibilité que mérite un présent si distingué. Peutêtre aurai je occasion dans peu de le faire plus particulièrement, puisqu'outre celle d'aller tous les ans à Paris pour me rassurer contre les dégoûts de la province, je me trouve dans l'obligation de m'y aller faire recevoir en la charge de lieutenant criminel qu'un de mes parents veut que j'ajoute aux miennes. Ce concours d'affaires fort éloigné de celles que nous traitons m'empêche de m’étendre sur les solides réflexions que vous m'inspirez. Je m'y rends d'autant plus volontiers que je les avais déjà faites en partie. Aussi n'insisterai je sur la honteuse origine que vous donnez à la czarine Catherine que par manière de controverse que les différentes opinions de mrs de Rabutin, de Villelongue et d'un frère que j'avais en Hongrie avaient déjà fait naître dans mes idées. Je m'en rapporte à votre discernement, et je conviens que les inclinations de cette étonnante princesse ne répodaient pas à une meilleure naissance. Cependant celle que je lui donne n'est pas assez élevée pour affaiblir de beaucoup, ni pour offusquer le coup d’œil que présente au lecteur l’étrange disproportion qui se trouve entre son berceau et son tombeau. Tu ipse videris. Ce frère dont je vous parle, aide de camp du comte de Bonneval, fut blessé à Belgrade de 5 blessures dont il est mort quelques années après; il les avait reçues en relevant de dessous son cheval tué, ce général avec lequel il a toujours été dans une espèce de correspondance: et c'est sur ses mémoires (si d'ailleurs le fait n’était certain) que je vous assurerais que le sultan Akmet III est sûrement fils aîné de Mahomet IV, et non d'Achmet II, dont il n’était que le neveu. L'erreur du voyage du czar Pierre en Hollande 1678 est de la même nature; il faut dire 1698 mais ce sont des erreurs de noms et de dates qu'un lecteur indulgent peut prendre pour des fautes d'impression, qu'il faut cependant corriger.

La remarque sur la lettre du roi Auguste au roi Stanislas est d'un autre genre. De votre part ou de la mienne, il y a une erreur de fait qui change absolument toute la perspective de ce trait d'histoire, qui est des plus intéressants dans cette occasion, et qui l'est encore devenu davantage par la tentative que fit m. Hoyms en 1725 pour en retirer l'original par le projet d'un traité qu'il présenta à la reine, et qui avorta par le refus du roi son père. Il n'est pas que vous connaissiez mrs de Caraman, de Lenta ou de Vauchoux, c'est de l'un ou de l'autre des trois que je tiens depuis plus de dix ans la copie que je vous ai envoyée. J'en avais une précédente. Elles étaient conformes. Je crois que je tombe dans des répétitions, et vous avoir déjà marqué tout ceci en bonne partie. Quand je serai un peu rendu à moi même je vous donnerai du nouveau: mais ce ne sera jamais quand je vous assurerai de la singulière estime avec laquelle je suis véritablement, m. &c.