1732-03-01, de Claude Brossette à Voltaire [François Marie Arouet].

S'il est vrai, Monsieur, que vous aimiéz à me faire part de vos ouvrages, il n'est pas moins vrai aussi, que personne ne les lit avec plus de satisfaction que moi, et je puis vous assurer, sans aucune flatterie, que je ne crois pas avoir lû en ma vie aucun livre plus intéressant, ni mieux écrit que L'histoire de Charles XII.
Votre manière de narrer est également rapide, claire, et concise; vos réflexions sont judicieuses, vives, et accompagnées d'une liberté, qui convient parfaitement à L'histoire, et qui fait un grand honneur à l'historien: elles naissent du sujet même et sont liées avec les faits, par le fil même de la narration. En un mot, si le César de la France a trouvé son Virgile dans vôtre Henriade, L'Alexandre de la Suede a trouvé son Quinte Curce dans votre dernier ouvrage. Je vous dois donc des remercïments bien sincères du présent, que vous m'en avez fait. A l'égard de Mr de Sorry, pour qui vous m'en avez adressé un exemplaire j'ai fait toutes les perquisitions imaginables pour découvrir cet homme là dans Lyon. J'en ai parlé à une infinité de gens; mais toutes mes recherches ont été inutiles; on est même étonné, qu'un homme qui est en habitude de vous écrire, puisse être inconnu dans une ville comme celle-ci. Cela étant, Monsieur, si vous voulez, que j'exécute vôtre commission, mandez moi la qualité et la demeure de Mr de Sorry. Quoique vous ne m'ayez point non plus donné votre adresse, je suis persuadé que ma lettre vous sera rendue, et ma confiance est fondée sur votre renommée. Je vais travailler à une nouvelle édition de mon Commentaire sur Boileau, avec des additions considérables, et vous jugez bien que vous ne serez pas oublié dans la distribution des exemplaires. C'est bien le moins que je doive vous donner cette marque de l'estime, et de la reconnoissance avec lesquelles j'ai l'honneur d'être &c.