1730-12-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Paul Bignon.

Monsieur,

Le malheur que j'ay de vous être inconnu, ne peut m'empêcher de vous marquer mon respect. Tout homme de lettres vous doit ses hommages, vous êtes le Varron et le Mecene de notre siècle; quiconque aime les arts vous a des obligations, et vous est réellement redevable des bienfaits que vous avez répandus sur tant de personnes de mérite en France, et dans les pays étrangers.

Je paye un bien foible tribut monsieur, à un mérite comme le vôtre. J'ay l'honneur de vous envoyer cette nouvelle édition de la Henriade que je n'ay jamais osé vous présenter qu'après l'avoir longtemps corrigée. Si vous aviez jamais jetté un coup d’œil sur les premières éditions, vous trouveriez cellecy bien différente, et peutêtre moins indigne d'avoir place dans votre biblioi tèque. L'ouvrage seroit moins remply de fautes, si je m’étois trouvé à portée de consulter un homme comme vous. Mais tel qu'il est daignez le recevoravec l'indulgence que le père des lettres doit à ceux qui cherchent à mériter son estime.

Je me tiendray très honoré de pouvoir obtenir que cette édition soit placée dans la bibliotèque du roy. L’éloge du meilleur prince que la France ait jamais eü, a quelque droit à cet honneur. Le livre n'est pas cher et on le trouve chez Josse, libraire, rue st Jacques à la fleur de lis.

Je suis avec baucoup de respect

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire