1726-02-06, de Mathieu Marais à Jean Bouhier.

. . . Voltaire a eu des coups de bâton.
Voici le fait. Le chevalier de Rohan le trouve à l'opéra & luy dit: Mons de Voltaire, Mons Arouet, comment vous appelez vous? L'autre luy dit je ne sçay quoy, sur le nom de Chabot. Cela en resta là. Deux jours après, à la Comédie au chauffoir, le chevalier recommence, le poète luy dit qu'il luy avoit fait sa réponse à l'opéra. Le chev. leva sa canne, ne le frapa pas et dit qu'on ne devoit luy répondre qu’à coups de bâton. mdlle Couvreur tombe évanoüie, on la secourt, la querelle cesse. Le chevalier fait dire à Voltaire, à 3 ou 4 jours de là, que le duc de Sully l'attendoit à disner. Voltaire y va, ne croyant point que le message vînt du chevalier. Il disne bien, un laquais vient luy dire qu'on le demande, il descend, va à la porte & trouve trois Messieurs garnis de cannes qui luy régalèrent les épaules & les bras gaillardement. On dit que le chev. voyoit ce frottement d'une boutique vis à vis. Mon poète crie comme un diable, met l’épée à la main, remonte chez le duc de Sully qui trouva le fait violent et incivil, va à l'opéra conter sa chance à Made de Prie qui y étoit & de là on court à Versailles où on attend la décision de cette affaire, qui ne ressemble pas mal à un assassinat. Mais les épigrammes assassines pourront faire excuser le fait.