[c. 20 September 1724]
Depuis que je ne vous ai écrit, j'ai gardé le lit presque toujours.
Je suis dans un état mille fois pire qu'après ma petite vérole. J'avois besoin assurément d'être consolé par les assurances touchantes que vous me donnez de votre amitié dans vos deux dernières lettres. Puis que vous avez le courage de m'aimer dans l'état où je suis je vous jure de ne passez qu'avec vous le reste de ma vie. Si j'ai de la santé, ne craignez point que j'en use comme les gens qui aiant fait fortune oublient ceux qui les ont assisté dans la pauvreté. Mes amis ne m'ont point abandonné. J'ai eü toujours un peu de compagnie, mais quelle différence de voir des gens qui quoiqu'amis ne sont pourtant que des étrangers, ou d'être auprès de vous et de Tiriot que je regarde comme ma famille! Il n'y a que vous pour qui j'aie de la confiance et dont je sois sûr d'être véritablement aimé. Mes soufrances ont augmenté par la douleur que j'ai eü d'aprendre la maladie de Tiriot. Aprésent qu'il est rétabli revenez avec lui au plus vite je vous en conjure. Vous me trouverez avec une galle horrible qui me couvre tout le corps. Jugez de l'envie que j'ai de vous voir puisque j'ose vous en prier dans le bel état où me voilà. Où en serai-je si je n'avois voulu avoir auprès de vous que le mérite d'une pau douce. Je suis bien réduit à ne faire plus de cas que des belles qualitez de l'âme. Heureusement je vous conois assez de vertu et d'amitié pour soufrir encor un pauvre lépreux comme moy. Nous ne nous embrasserons point à votre retour mais nos cœurs se parleront. Il me semble que j'ai de quoi vous parler pendant tout l'hiver. Si vous aimez les vers je vous montrerai cet essai d'un nouvau chant dont mr Dargenson vous a parlé. Vous verrez encor une nouvelle Marianne. Je croi que c'est cette misérable qui m'a tuée, et que je suis frappé de la lèpre pour avoir trop maltraitté les Juifs. Adieu ma chère et généreuse amie, c'est trop badiner pour un moribond mais le plaisir de m'entretenir avec vous suspend pour un moment tous mes maux. Revenez je vous en conjure, ce sera une belle action. C'est ce qui fait que je vous en prie instamment.