1720-12-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.
Le dieu des bons vers m'a quitté
Pour aller dans ta solitude
Et pour comble d'inquiétude,
Hélas l'amour seul m'est resté.
Trop malheureuse passion
Par qui la chaleur et la flamme
De mon imagination
A passé toute dans mon âme.
Non le feu d'Alcide et le tien
N'ont jamais aproché du mien,
Ah trop inégale Clarice
Il faudra que j'en meure, ou bien
Que du moins je me rafraichisse.
Mais sans rien dire, je m'aprête
A me détacher de son char,
Je quitte ma maitresse, car
Elle m'a trop tourné la tête.

C'est chez vous que je veux me rafraichir, j'y ferai mon entrée avec des poulets, du ris, la brie, et ma valise. Attendez vous à me voir arriver au premier jour; je veux oublier le monde entier dans votre solitude et ce seroit pour moyun plaisir pur et sans mélange, s'il n'étoit empoisonné par le chagrin de vous voir soufrir. Préparez moy un bon lit, dans quelque petite chambre bien isolée. Je serai chez vous les premiers jours de la semaine, je m'y partagerai entre Henri quatre vous que j'aime. A dieu mon cher ami.