A Paris ce 3 may 1719
. . . Autre grande querelle plus sérieuse. Connoissez vous mdlle Pypy que le sr de Volter a doné?
Les Mercures galants depuis quelques mois ont fait retentir son nom jusques aux deux bouts de l'univers. Vous devuinerez aisément que la bien aimée d'un grand poète doit devenir grande comédienne et le poète son breteur pour soutenir ses grâces, sa déclamation &c. Les représentations de cette pièce ont recommencé depuis 15 jours. Dans les deux premières le Rolle de Jocaste luy a esté très imprudemment départi. Le succès de l'hauteur n'a point passé à celle qu'il honnoroit de sa couche. Il a senti que cette besogne était trop forte pour un commencement. Il a fallu du tragique la faire passer au comique. Quelque accent nouvellement aportez des bords de la Loire malgré toutes les instructions du maître faisoient quelque fois rire ceux à qui elle se vouloit agréer. Il y a 3 ou 4 Jours Poisson prit cette Liberté comme les autres. De cela nostre petit ami en colère se lascha en propos. Poisson qui est breteur comme un chien l'atendit au sortir du spectacle et luy proposa l'escrime. Le poète plus hardy en parolle qu'au combat dit qu'un homme de sa considération ne se batoit pas contre un comédien. Poisson à haute et intelligible voix luy proposa des coups de bastons. Harouet fit sa plainte chez un commissaire et le lendemain se transporta à sa porte et envoya un Messager en haut luy dire que Hoguere l'attendoit chez mlle Desmars. Poisson se doutant du fait et envoya son valet voir ce qui se passoit dans la rüe. L'on luy dit qu'Arouet estoit près de la porte avec deux breteurs, La Compagnie parut trop nombreuse au commédien qui depuis fait informer. Harouet vint hier nous voir pour nous conter le fait à sa mode, il nous nia les deux Compagnons. Nous luy demandâmes pour quoy s'il se vouloit batre il ne s’étoit pas batu la Veille lorsque Poisson luy avoit dit de si vilaines parolles. Il nous dit qu'il n'en avoit pas plus d'envie que le lendemain, qu'il l'avoit voulut faire descendre pour luy casser la teste avec deux pistolets qu'il avoit dans sa poche. Que ne l'ayant pas fait et se trouvant insulté par ce commédien, qu'il nous prioit de demander justice à Mr de Machaut pour qu'il fust chassé de la Commédie et mis dans un cachot. Vous voyez que rien n'est plus raisonnable, il sera bien heureux s'il en est quitte pour avoir esté menacé de coups de bastons à la porte de la Commédie et que l'on ne luy fasse pas faire son procès comme un assassineur . . . .