Phidias et Alcamène, le concours pour Athéna

Bibliographie

Images

Vigenère, Blaise de, Les Images ou tableaux de platte peinture de Philostrate Lemnien sophiste, mis en françois par Blaise de Vigenère, avec des argumens et annotations sur chacun d’iceux, Epître à Barnabé Brisson (publi: 1578), p. 20-22 (fran)

Aussi n’en cherche je pas les acclamations et faveurs, nom-plus que cest excellent musicien qui rompit ses fluttes pour avoir esté haultement loüé de toute la commune assemblee : de plaire aux sages et advisez qui dressent leur regard au loin ; plus à l’advenir qu’au present : et jugent des choses non comme elles peuvent paroistre de primeface ; ains selon que le temps les doibt faire veoir et gouster. A l’exemple des peintres qui besognent à frez, lesquels ne se soucient pas tant de l’effect que monstrent leurs coloremens lors qu’ils les couchent et employent que de celuy à quoy finablement il faut qu’ils deviennent quand ils se seront achevez d’essuyer du tout. Et à ce propos, puis qu’il m’en souvient, je vous veux racompter une histoire. Les Atheniens ayans voüé une statue à Minerve, en donnerent la charge à Phidias et Alcamenes, les deux plus souverains ouvriers de leur temps. Alcamenes qui y alloit à la bonne foy, ne se soucia que de traicter son ouvrage le plus delicatement qu’il luy fut possible ; ne s’advisant pas qu’il devoit estre hault-monté sur une grande colomne, et fort eloigné de la veüe. Là où Phidias qui estoit plus ruzé et practique que luy, plus vieil routtier, et entendu és reigles de perspective et geometrie, ne fit qu’esbaucher grossierement le visage de la Deesse, ensemble tout le surplus de son effigie, selon que l’esloignement de la veüe le devoit puis-apres r’accourcir, et remoderer à sa deüe proportion et mesure. Or quand il fut question de les monstrer au peuple, pour choisir à la pluralité des voix celle qui lui viendroit le plus à gré, Alcamenes descouvrant le premier la sienne, il n’y eut celuy qui ne l’admirast, et ne la trouvast singulierement belle : aussi estoit elle conduicte à sa totale et derniere perfection pour la veoir de prez. Et au rebours tout aussi tost que celle Phidias eut esté mise en evidence, qui luy avoit fait un front rabotteux ; les sourcils touffuz et espoix suspenduz en saillie ; les yeux farouches, hebetez, estourdiz, et confuz, se jettans hors de teste ; un nez je ne sçay comment fait ; escaché renfroigné, de grosses moüardes lippes recourquebillees, faisans une tres-laide grimace ; le menton s’allongeant en un groin tortu despiteux : bref tout le reste de mesme oultrageusement difforme et maulsade : chacun se prit à crier au meschant, impie, detestable Atheiste. Et là dessus à grands coups de pierre. Si que Pericles le premier homme de la ville, avec les autres plus authorisez citoyens qui estoient instruits de l’affaire, à toute peine le garentirent qu’on ne l’assommast sur la place. Mais finablement le tumulte appaisé, l’emotion rassise, et le silence imposé au peuple, on luy fit entendre les raisons de cela et monter quant et quant les statues sur la colomne. Là où celle d’Alcamenes ne monstroit aucune forme et apparence de visage humain, ressembloit de toute la teste à quelque lourde boulle mal arrondie et tornee ; mais l’autre de Phidias à cause de la perspective gardee proportionnément en cela, parut lors toute telle qu’on pouvoit desirer. Le mesme peut-on alleguer de certaines manieres d’escrire ; car tout ainsi qu’il y a des fruicts qui ne se peuvent meurir sur l’arbre, et des personnes obtenir vogue, credit, ne reputation ; les unes en leur pays, les autres durant leur vie : en semblable il y a des façons de parler, lequelles se monstrans un peu rudes et aigrettes de plaine arrivée et de prez, se r’adoucissent neantmoins et ameliorent avecque le temps, et au loing.

 

Tzétzès, στοριαι (Chiliades) (redac: :(1180)) (VIII, 193, v. 340-369), p. 312-313 (grecque)

ΠΕΡΙ ΑΛΚΑΜΕΝΟΥΣ

Ὁ Ἀλκαμένης χαλκουρογὸς ἦν γένει νησιώτης

καὶ τῷ Φειδίᾳ σύνχρονος καὶ τούτῳ ἀντερίσας

δι’ ὃν καὶ ἐκινδύνευσε μικροῦ θανεῖν Φειδίας.

ὁ Ἀλκαμένης εὐειδεῖς ἔπλαττεν ἀνδριάντας,

ἄτεχνος ὢν καὶ ὀπτρικῆς καὶ τῆς γεωμετρίας,

θαμίζων δὲ ταῖς ἀγοραῖς καὶ διατρίβων ταύταις,

καὶ θειαστὰς καὶ φιλητὰς καὶ θιασώτας εἶχεν.

ὁ δὲ Φειδίας ὀπτρικὸς τελῶν καὶ γεωμέτρης,

ἀρίστως ἀκριβώσας τε τὴν ἀνδριαντουργίαν,

καὶ πάντα πλάττων πρόσφορα τόποις, καιροῖς, προσώποις,

φροντίζων κοσμιότητος ἐς πλέον δὲ τῶν ἄλλων,

κατὰ τὸν Τζέτζην καὶ αὐτὸς τὰς ἀγορὰς ἐμίσει,

καὶ φιλητὴν καὶ θειαστὴν εἶχε τὴν τέχνην μόνην.

ἐπεὶ δ’ ἐδέησέ ποτε δήμῳ τῶν Ἀθηναίων,

δύο τινὰ ἀγάλματα τῇ Ἀθηνᾷ ποιῆσαι,

ἐπὶ κιόνων ὑψηλῶν μέλλοντα σχεῖν τὴν βάσιν,

ἄμφω ἐδημιούργησαν τῷ δήμῳ κελευσθέντες.

τῶν ὦν ὁ Ἀλκαμένης μὲν τύπῳ θεᾶσ παρθένου

λεπτὸν ὁμοῦ εἰργάζετο καὶ γυναικεῖον τοῦτο.

ὁ δὲ Φειδίας ὀπτρικὸς τελῶν καὶ γεωμέτρης

καὶ συνιεὶς σμικρότατα φαίνεσθαι τὰ ἐν ὕψει,

ἐποίησε τὶ ἄγαλμα ἀνεῳγὸς τὰ χείλη,

τοὺς μυξωτῆρας τε αὐτοῦ ἔχον ἀνεσπασμένους,

καὶ τἄλλα πρὸς ἀνάλογον ὕψους τοῦ τῶν κιόνων.

ἔδοξε κρεῖττον τοῦ λοιποῦ τὸ Ἀλκαμένους εἶναι.

Φειδίας ἐκινδύνευε βληθῆναι δὲ τοῖς λίθοις.

ὡς δ’ ἤρθη τὰ ἀγάλματα καὶ κίοσιν ἐστάθη,

τὶ μὲν Φειδίου ἔδειξε τὸ εὐγενὲς τῆς τέχνης,

καὶ πᾶσι διὰ στόματος λοιπὸν ἦν ὁ Φειδίας·

τὸ δ’ Ἀλκαμένους γελαστὸν καὶ γέλως Ἀλκαμένης.

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Tzétzès, στοριαι (Chiliades) , (trad: "Ioannis Tzetzae Historiae")(fran)(traduction récente d'un autre auteur)

Alcamène le fondeur était de souche insulaire,

contemporain de Phidias et avec ce dernier rivalisant

à cause de qui Phidias échappa de peu à la mort.

Alcamène façonna des statues de bel aspect

quoiqu’étant sans connaissance de la catoptrique et de la géométrie,

mais parce qu’il fréquentait les places publiques et y passait sont temps,

il avait source d’inspiration, d’amour et d’enthousiasme.

Phidias, en revanche, catoptricien et géomètre accompli,

et de manière précellente versé dans l’art de la statuaire,

façonnait toute oeuvre en l’adaptant au lieu, au moment, au personnage,

et prenant garde pour l’ensemble de ses autres œuvres de leur conformation ;

et, selon Tzétzès, par ailleurs, il détestait les places publiques,

n’ayant pour amour et inspiration que la seule connaissance de son art.

Mais quand il fallut un jour, pour le peuple d'Athènes,

faire pour Athèna deux effigies d’une certaine importance,

destinées à avoir base sur deux colonnes élevées,

tous deux ils créèrent ayant été mandatés (pour ce faire) par le peuple.

Parmi eux, Alcamène, confectionna la sienne,

à la fois fine et féminine, à la manière d’une vierge divine.

Phidias, quant à lui, catoptricien et géomètre accompli,

comprenant que les choses paraissent toute petites vues si elles sont placées sur une hauteur,

fit une effigie aux lèvres entr’ouvertes,

et ayant les narines levées en l’air,

et tous ses autres traits semblablement, afin de correspondre, par leur proportion, à la hauteur des colonnes.

Mais il sembla alors que celle d’Alcamène fut meilleure.

Aussi Phidias risqua-t-il la lapidation.

Mais les effigies furent soulevées et placées sur les colonnes,

il fut démontré que celle de Phidias était la fille parfaite de l’art :

Phidias fut à l’avenir dans les bouches de tous

et la statue d’Alcamène risible, et objet de rire Alcamène.

 

Tzétzès, στοριαι (Chiliades) (redac: :(1180)), « Sur Phidias et Alcamène » (numéro XI, 387) , p. 461 (grecque)

τπζ’ ΠΕΡΙ ΦΕΙΔΙΟΥ ΚΑΙ ΑΛΚΑΜΕΝΟΥΣ (ἣ προεγράφη)

Τὰ περὶ τοῦ Φειδίου τε καὶ τὰ τοῦ Ἀλκαμένους

στρέψας εὑρήσεις ὄπισθεν εἰς πλάτος γεγραμμένα

εἰς τὴν ἑκατοστὴν ἅμα ἐνενηκοστοτρίτῃ.

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------(fran)(traduction récente d'un autre auteur)

Sur Phidias et Alcamène : résumé.
Les événements entourant Phidias et Alcamène,
tu les trouveras en retournant en arrière, écrits en long et en large,
au numéro cent quatre-vingt-treize.

 

Espinosa y Malo, Felix de Lucio, El pincel, cuyas glorias descrivia Don Felix de Lucio Espinosa y Malo(publi: 1681), p. 3-4 (espagnol)

La cabeça del gran coloso de Minerva en Atenas, maltratada de un rayo, fue encomendada para su reparo a la diestra emulacion de los dos grandes escultores, Phidias, y Alcamenes. Muy acabada saliò la tarea del segundo, con perfeccion tan grande, que la suspension universal de los artifices, fue el mas singular elogio de la obra. Muy defautorizado quedò el trabajo de Phidias, por verle tan tosco, y tan informe ; pero colocado sobre el alto simulacro, fue pasmo de la simetria, lo que primero pareciò descuido del sincel. El luogo eminente donde và à pàrar este discurso, le hà de dar luzes, y suplir las proporciones que le faltan : y porque lo que yà se dedicò à un Numen, se mira con veneracion, como alhaja suya, sin examinar los preceptos del arte, en que se descuidò su professor, vivo en la confiança de que no repare en mi insuficiencia el respecto, que solo se detiene en el obsequio del dueño. Estatua es la que quisiera formar a la pintura, que bien merecen tener cuerpo los aplausos de tan insigne habilidad.

 

Junius, Franciscus, De pictura veterum(publi: 1637) (III, 1, 8), p. 147-148 (latin)

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  • [1] Mathematicarum disciplinarum cognitio pictoribus apprime necessaria est.

[1] Quod verum geometria et optica summum habent in picturis usum, multis docet Tzetzes, Chiliad. XI, Hist. 381 ; expressius tamen Chiliad. VIII, Hist. 193, ubi illustre hujus rei adducit exemplum. Athenienses, inquit, cum in animo haberent simulacrum aliquod nobile super excelsa columna Minervae consecrare, Phidiae et Alcameni negotium hoc dederunt ; quo deinde geminarum imaginum unam, quae judicio omnium elegantiae primas ferret, Deae dedicarent. Alcamenes geometriae et optices expers talem Deam fecit, ut nihil propre adspectantes elegantius fieri potuisse judicaverint : Phidias autem, circa plurium artium species praestantissimus, praecipue tamen in opticis et geometricis versatissimus, considerans pro ratione altitudinis totam quoque rerum faciem mutari, labia Deae aperta finxit, nares ejus convulsas, et caetera in hoc modum. In medium itaque prolato utroque simulacro, parum abfuit quin Phidiam universus populus lapidibus incesseret : donec tandem, imaginibus in destinatam altitudinem evectis, immane quantum discrimen omnes deprehenderint, unde Alacamenem insignis infamia, Phidiam vero debita laus et gratulatio sunt prosecuta. Harum quoque artium atque optices praecipuo subsidio perfecta est Amulii Minerva, spectantem adspectans quacunque adspiceretur, Pline XXXV, 10. In templo Syriae Deae simulacrum Junonis erat, quod, si ex aduerso stans intuearis, ad te adspicit : si inde transeas, visu te sequitur : si alius quispiam aliunde intuetur, eadem erga illum facit : vide Lucianum de Syria Dea.

 

Junius, Franciscus, The Painting of the Ancient(publi: 1638) (III, 1, 7), p. 232-234 (anglais)

That artificers have need of geometry and the opticks is proved by the following example. The Athenians intending to consecrate an excellent image of Minerva upon a high pillar, set Phidias and Alcamenes to work, meaning to chuse the better of the two. Alcamenes being nothing at all skilled in geometry and in the optickes, made the goddesse wonderful fair to the eye of them that saw her hard by. Phidias on the contrary, as being sufficiently instructed with all maner of arts, and especially with optick and geometricall knowledge, did consider that the whole shape of his image should change according to the height of the appointed place, and therefore made her lips wide open, her nose somewhat out of that order, and all the rest accordingly, by a certaine kinde of resupination. When these two images were afterwards brought to light and compared, Phidias was in great danger to have been stoned by the whole multitude, untill the statues were at length set on high. For Alcamenes his sweet and diligent strokes being drowned, and Phidias his disfigured and distorted hardnesse being vanished by the height of the place, made Alcamenes to be laughed at, and Phidias to bee much more esteemed. See Tzetzes Chiliad. XI, hist. 381. and Chil. VIII, hist. 193.

Amulius his Minerva seemeth also to have been made by the help of these arts, and chiefly of the optickes, for from what side soever a man looketh upon her, she doth likewise looke upon him. There was in the Syrian goddesse her temple an image of Juno, which looketh upon you, if you stand full against it: if you goe from thence, it followeth you with her eyes: and if any other man looketh upon it from another place, he findeth the same: see Lucian de Syriâ deâ. The head of Diana is set up on high at Chios: Bupalus and Anthermus have made her after such a manner, as to make them that enter into the temple thinke that shee frowneth, whereas they that goe out of the temple thinke that shee is now appeased. Plinie XXXVI, 5. That same Hercules, who in the temple of Antonia turneth his backe towards us, is thought to be of Apelles his hand: the picture (which is very difficult) doth rather shew his face, then promise it. Plinie XXXV, 10.

 

Lomazzo, Giovanni Paulo; Pader, Hilaire, Traicte de la proportion naturelle et artificielle des choses de Ian Pol Lomazzo, peintre milanois(publi: 1649), « De la proportion des ordres de l’Architecture en general » (numéro chapitre XXIII) , p. 55 (fran)

De mesme aux figures tant de relief que de Peinture posées en haut, si l’on n’y observe que leur proportion naturelle, estans destituées de celle de la perspective, on voit que les hommes semblent de nains petits, bossus, et estropiés. C’est pourquoy je tiens que les Anciens à ces grandissimes Statuës et Colosses, comme estoit celuy de Rhodes, ne faisoient pas l’ouvrage (pour le faire correspondre à l’œil sans l’offenser) selon la proportion simplement naturelle, d’autant que la teste estant si haut eslevée, auroit semblé aussi petite que le talon, mais que composant et moderant l’un et l’autre de ces deux proportions, ils augmentoient les membres à mesure, et selon qu’ils gaignoient le haut. Ce qui s’observe encore és Obelisques et Colomnes fort hautes, bref en toutes choses ; et la raison de faire cecy est un des secrets contenus au dessein, et dans l’art visuel ; de sorte qu’il ne peut estre entendu que par ceux qui sont Maistres de ces deux parties.

 

Lomazzo, Giovanni Paulo; Pader, Hilaire, Traicte de la proportion naturelle et artificielle des choses de Ian Pol Lomazzo, peintre milanois(publi: 1649), « Division de la peinture » (numéro chapitre II) , p. 10 (fran)

Où il est necessaire que si l’un et l’autre a dessein de devenir un nouveau Fidias, ou un Apellés, qu’il fasse tousjours sa Peinture ou Sculpture proportionnée selon le lieu où elle doit estre mise, et à l’œil duquel elle doit estre veuë : je veux dire, que si le tableau est haut, et le lieu pour le voir, bas, il doit faire la teste et les autres parties suprémes un peu plus grandes qu’elles ne sont au naturel : parce que l’œil qui la verra la jugera proportionnée. Par exemple, s’il veut faire le portrait ou la statuë d’un homme vif de dix faces planté droit sur ses pieds, et qu’il le doive poser à un lieu assez haut, de façon que le lieu pour le voir reste bas, il doit faire la teste de cette Peinture ou Sculpture une huictieme ou neufiesme, comme il sera besoin, plus grande que le naturel : comme si la face de l’homme vivant qu’il voudra representer, est de proportion denaire au respect du corps, il fera le portrait de telle façon qu’il ait une huictieme ou neufiesme partie de plus, ou ce qui sera necessaire, et ainsi paroistra proportionnée à l’œil ; parce que la regle generale est, qu’on foit autant joindre à cette partie, comme la distance du lieu luy en desrobe, par ainsi la figure vient par apres proportionnée à l’œil : comme on trouve que Praxitelle et Fidias ont observé aux statuës qui sont à Montecavallo à Rome, lesquelles Michel l’Ange ayant mesurées, il trouva que leurs testes sont d’autant plus grandes qu’elles perdent pour estre mises à un lieu ainsi relevé ; c’est pourquoy elles paroissent à l’œil tres-bien proportionnées. La mesme proportion observa l’artificieux et admirable ouvrier de la Colomne Trajane, en laquelle on voit les figures d’en haut, d’autant plus grandes qu’elles vienent à diminuer pour la hauteur du lieu ; c’est pourquoy elles paroissent toutes esgales en quantité. Et enfin c’est une regle que tous les grands hommes tant anciens que modernes ont observé.

 

Vossius, Gerardus Joannes, De quatuor artibus popularibus, de philologia et scientiis mathematicis, cui operi subjungitur chronologia mathematicorum, libri tres, cap. V, De Graphice(publi: 1650) (cap. V, §16), p. 69 (latin)

Ab optica capit haec duo ; umbram, et lumen. Quorum umbra facit recessum, sive ut aliqua longius distare videantur : lumen vero praestat, ut quid emineat, sive ut propius abesse videatur. Ad prius conducit ater color ; ad alterum candidus. De hoc invento superius Plinii verba adduximus. Atque abunde haec elucent ex Amulii Minerua ; de qua Plinius lib. XXXV cap. X : Apellis Hercule averso ; de qua idem lib. XXXVI. cap. V : item ex Bupalo, et Anthermo in Chio ; de quibus Lucianus in Dea Syria. Vide et Tzetzem Chil. XI, histor. CCCLXXXI ; ac praecipue lib. VIII cap. CXCI. Vbi haec illustrat Phidiae, et Alcamenis exemplo.

 

Blondel, François, Cours d’architecture enseigné dans l’Académie royale d’Architecture(publi: 1675:1683) (livre IV, chapitre V), p. 709-710 (fran)

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  • [1] Alcamene avec un merite mediocre, faisoit beaucoup de bruit, homme intrigant et qui avoit des amis qui le vantoient
  • [2] Phidias ne pensoit qu’à étudier et donner la perfection à ses ouvrages
  • [3] Ils font chacun une statüe de Minerve. Celle d’Alcamene admirée du peuple qui la voit de près
  • [4] Celle de Phidias faite pour estre vüe dans une grande hauteur, paroist horrible de près
  • [5] La statüe d’Alcamene posée en place, ne paroist plus qu’une masse sans forme
  • [6] Mais celle de Phidias y paroist dans la justesse de ses proportions
  • [7] Les effets de la perspective alterent les hauteurs, et les ordonnances qui sont l’une sur l’autre

Histoire de Phidias et d’Alcamène. Je voudrois pouvoir raconter aussi agreablement l’avanture de Phidias et d’Alcamene, qu’elle est décrite dans les Chyliades de Tzetzes poëte grec. Ces deux sculpteurs vivoient, dit-il, en même temps avec reputation à Athenes : [1] Alcamene estoit de ceux qui avec un merite mediocre, font beaucoup de bruit, employant la meilleure partie de son temps à faire la cour au peuple, et à chercher des amis intrigans pour se faire prôner ; Qui est, dit-il, un bon moyen pour se faire valoir par le babil et pour aquerir des richesses ; Quoy que ces gens-là voyent souvent mourir leur reputation pendant leur vie. [2] Phidias au contraire passait tous les moments de la sienne à l’étude de son art et à celle de l’optique et de la geométrie, qu’il jugeoit necessaire pour parvenir à sa perfection ; il ne faisoit la cour à personne, et s’estimoit heureux de l’approbation de peu de personnes connoissantes, que son merite avoit fait ses amis : qui est, dit Tzetzes, un moyen assuré pour estre pauvre pendant sa vie, et pour devenir riche de gloire et de reputation immortelle après sa mort.

Ces deux maîtres eurent ordre en mesme temps de travailler à deux statües, que le peuple d’Athenes vouloit faire élever sur deux hautes colonnes qu’il avoit fait dresser devant le temple de Minerve. [3]. Alcamene fit la sienne avec toute la delicatesse possible, finissant par des manieres fardées et lechées jusqu’aux moindres lineamens ; ce qui plût extremement au peuple, et augmenta infiniment la reputation de ce sculpteur. [4] Mais Phidias qui, par la connoissance qu’il avoit de l’optique, sçavoit l’effet que sa figure devoit faire quand elle seroit élevée au lieu où on vouloit la mettre, lui fit le visage d’une monstrueuse largeur, les yeux horriblement ouverts, les narines enflées, la bouche fenduë, ne donnant que des traits forts et profonds dans le marbre aux endroits où il vouloit faire paroistre les lineamens les plus delicats, sans rien finir ni rien adoucir, et donnant enfin à sa statuë une figure à faire peur : qui luy attira premierement la moquerie, et ensuite la colere du peuple qui fut tout prest de l’accabler de pierres, s’il n’avoit eu recours aux prières et à la promesse qu’il fit de la corriger et de la mettre en état que tout le monde en seroit satisfait. Il est vray qu’il tint sa figure quelque temps cachée feignant d’y retoucher, sans vouloir qu’elle fût veüe de personne ; il ne voulut pas même souffrir apres l’avoir mise sur la colonne, que le voile dont elle estoit couverte fût osté, que celle de son competiteur ne fût en place. Après quoy découvrant son ouvrage, le peuple d’Athenes ne put, en depit de l’envie, s’empescher d’admirer la capacité de Phidias, et de luy donner les loüanges et l’approbation qu’il meritoit : voyant avec indignation et mepris la statüe d’Alcamene, qui abusant de sa facilité lui avoit auparavant imposé avec tant d’effronterie. [5] En effet dit Tzetes, l’on ne connoissoit plus rien aux traits finis et fardés de la figure d’Alcamene, qui ne paroissoit plus que comme un tronc informe et sans art ; [6] au lieu que dans celle de Phidias, ces traits forts et profonds, et ces parties, dont les mesures veües de pres paroissoient si déréglées, formoient aux yeux des spectateurs des especes si justes, si delicates et si bien proportionnées dans leur éloignement, que l’on ne pouvoit se lasser de la regarder. D’où ce poëte prend ensuite occasion de s’étendre sur les loüanges de la geométrie et de l’optique, employant une de ses Chyliades toute entiere à faire voir, que ni la peinture, ni la sculpture, ni même l’architecture, ne sçauroient rien produire de parfait sans le secours de ces belles sciences.

[7] Ces exemples font voir que l’élognement peut estre pris pour une des causes qui ont accoûtumé d’alterer les mesures des parties des bâtiments, et que nous avons eu raison de contrer, comme nous avons fait cy-devant, les effets de la perspective entre les choses qui peuvent avoir causé cette admirable varieté de hauteurs que nous avons remarquées entre les colonnes, et même entre les ordonnances que l’on met les unes sur les autres.

 

Hoogstraten, Samuel van, Inleyding tot de hooge schoole der schilderkonst(publi: 1678), « Van de Handeling of maniere van schilderen » (numéro VI, 10) , p. 235-236 (n)

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  • [1] Onderscheit waer een Schildery te staen heeft

Nu zoo moetmen ook zijn handeling voornamentlijk veranderen na de plaets, daer het werk te staen heeft: want het zal u wel dapper berouwen, wanneerge in’t schilderen van een stuk, dat hoog uit de hand zal hangen, en van verre moet gezien worden, veel tijts met kleinicheden verquist hebt. Neem dan vry borstels, die een hand vullen, en laet yder streek’er [1] een zijn, en de verwen op veel plaetsen byna
onvermengt leggen; want de hoogte en de dikheit der lucht zal veel dingen smeltende vertoonen, die by zich zelven steekende zijn Michel Agnolo bezach eens zeker beeldwerk, dat gemaekt wiert om ergens buiten te zetten: en alzoo den
Beeltsnyder zich zeer bemoeide om de vensters te stellen, om goedt licht te geven,
zoo zeyde hy: En doet geen moeite, want het beste is het licht op de mart. Te kennen
gevende dat de dingen, die in’t openbaer te staen hebben, allerley licht behooré te
kunnen verdraegen. Maer daer is onderscheit van wat wijtte een werk, schoon open
staende, gezien wort, ’t zy van naby of van verre; en hier op kunnen wy het exempel
van twee beelden, om strijt gemaekt niet voorby gaen: Toen eens de Atheniensen voor hadden ter eere van haere beschermgodinne Minerve, een schoon beeld op een hoogen pijler op te rechten, zoo verkoren zy Alcamenes en Phidias, beloovende den bestdoender van deeze twee heerlijk te beloonen. Zyom malkander te tarten, teegen vierich aen’t werk, en brachten eyndelijk yder zijn beeldt te voorschijn. Dat van Alcamenes was wonder lieflijk en aengenaem gehandelt, en beviel yder een, die’t zach. Maer dat van Phidias was met wijdt opgesperde oogen, een driebultige neus, gapende en van een gescheide lippen, en in d’oogen der aenschouwers zoo mismaekt en wanschapen, datmen de menichte naeuwelijx beletten kon van hem te steenigen. Maer hy met veel smeekens badt hen, zy wilden hun oordeel opschorten, ter tijdt toe men de beelden om hoog gestelt zou hebben: ’t welk gedaen zijnde veranderde de kans; want de bevallijkheden verdweenen uit het beeld van Alcamenes, toenmen’t van verre zach, en de wilde draeijen, en harde steeken, in’t beelt van Fidias, versmolten tot een geestige en sierlijke schoonheit; ’t welk hem en zijn konst in hooger eeren bracht. Door een dergelijke kunstgreep heeft Amulius te weege gebracht, dat zijn beeld van Minerve, tegens de gewoonte van ronde beelden, een yder, waer hy stond, scheen aen te zien, ja de Diane in Chios, zach de geene, die eerst in den Tempel quamen, met een stuers gezicht aen, en de geene, die den altaer voorby gegaen en geoffert hadden, met een gepaeit weezen.

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Hoogstraten, Samuel van, Inleyding tot de hooge schoole der schilderkonst, « Du tout de main, ou de la manière de peindre » (numéro VI, 10) , p. 368-369 (fran)(traduction récente d'un autre auteur)

Maintenant, il faut également changer surtout son tour de main suivant l’endroit où l’œuvre doit se trouver. En effet, vous nourrirez d’amers regrets quand vous aurez perdu beaucoup de temps en peignant de petits détails pour une œuvre qui sera accrochée en hauteur, hors de portée de la main, et vue de loin. Prenez alors des brosses qui tiennent dans la main. Séparez chaque touche. Posez des couleurs à de nombreux endroits, presque sans les mélanger : si de nombreuses choses paraissent criardes vues de près, la hauteur et l’épaisseur de l’air les fondront les unes dans les autres. Michel-Ange, qui avait vu une statue devant être faite pour se tenir quelque part à l’extérieur et son sculpteur tâcher d’installer des fenêtres dans son atelier afin d’y répandre une bonne lumière, lui dit ainsi : ne te donne pas cette peine. La meilleure lumière est celle de l’extérieur. Il lui fit ainsi comprendre que les choses qui doivent être placées dehors peuvent recevoir toutes les sortes de lumières. Mais il existe des différences suivant la distance à laquelle une œuvre doit être vue, même lors- qu’elle se trouve en plein air, qu’elle doive l’être de près ou de loin. Et nous ne pouvons passer à ce propos sur l’exemple de deux sculptures faites lors d’un concours. Lorsque les Athéniens voulurent, en l’honneur de leur déesse protectrice Minerve, ériger une belle sculpture sur une haute colonne, ils choisirent Alcamène et Phidias et promirent de récompenser le meilleur ouvrier d’entre deux. Pour se défier mutuellement, ils se mirent avec feu à leur œuvre, et chacun réalisa finalement sa sculpture. Celle d’Alcamène était traitée d’une façon merveilleusement aimable et agréable. Elle plut à chacun qui l’avait vue. Mais celle de Phidias avait les yeux largement ouverts, le nez triple- ment bosselé, les lèvres ouvertes et séparées l’une de l’autre. Elle était si difforme et affreuse aux yeux des spectateurs qu’il fut difficile de retenir nombre de personnes de la lapider. Mais après de nombreuses supplications, Phidias les pria de bien vouloir suspendre leur jugement jusqu’à ce que l’on eût placé en hauteur les deux sculptures. Lorsque cela fut fait, les choses ne se présentèrent pas de la même façon. Les grâces avaient disparu de la sculpture d’Alcamène, vue de loin, tandis que les contours sauvages et les traits durs de la sculpture de Phidias s’étaient fondus en une beauté spirituelle et gracieuse. Cela apporta au sculpteur et à son art de très grands honneurs. Par un tel artifice, Amulius a fait en sorte que sa sculpture de Minerve semblât, contrairement à la coutume des rondes-bosses, regarder chacun où il se trouvait. Et la Diane de Chios toisait même d’un regard sévère ceux qui entraient pour la première fois dans son temple, et elle regardait au contraire avec une apparence enjôleuse ceux qui allaient devant l’autel et faisait des offrandes.

Commentaires : Trad. Jan Blanc, 2006, VI, 10, « Du tout de main, ou de la manière de peindre », p. 368-369

 

Perrault, Charles, Parallèle des anciens et des modernes(publi: 1688:1696), t. I, p. 153-157 (fran)

LE CHEVALIER — Quelle est l’histoire des deux Minerves ?

LE PRÉSIDENT — Je vay vous la conter. Il y avoit à Athènes un sculpteur nommé Alcamene si estimé pour ses ouvrages, que Phidias qui vivoit dans le mesme tems, pensa en mourir de jalousie. Mais ce sculpteur tout habile qu’il estoit, ne sçavoit ni géométrie ni perspective, sciences que Phidias possédoit tres-parfaitement. Il arriva que les Atheniens eurent besoin de deux figures de Minerve qu’ils vouloient poser sur deux colonnes extremement hautes ; ils en chargerent Phidias et Alcamene comme les deux plus habiles sculpteurs de leur siecle. Alcamene fit une Minerve délicate et svelte, avec un visage doux et agreable, tel qu’une belle femme le doit avoir, et n’oublia rien pour bien terminer et bien polir son ouvrage. Phidias qui sçavoit que les objets eslevez rappetissent beaucoup à la veuë, fit une grande bouche et fort ouverte à sa figure et un nez fort gros et fort large, donnant à toutes les autres parties des proportions convenables par rapport à la hauteur de la colonne. Quand les deux figures furent apportées dans la place, Alcamene eut mille loüanges et Phidias pensa estre lapidé par les Atheniens pour avoir fait leur Deesse si laide et si épouvantable ; mais quand les figures furent eslevées toutes deux sur leurs colonnes on ne connut plus rien à la figure d’Alcamene, et celle de Phidias parut d’une beauté incomparable, ainsi le peuple changea bien de langage, il ne pouvoit trop loüer Phidias, qui acquit dez ce jour-là une reputation immortelle, et il n’y eut point de railleries qu’on ne fit d’Alcamene, qui fut regardé comme un homme qui se mesloit d’un métier qu’il ne savoit point.

L’ABBÉ — Il peut y avoir quelque chose de vray dans cette histoire, mais il est impossible que toutes les circonstances en soient veritables. Thetzes[1] qui la rapporte en la maniere que vous venez de la conter, montre bien qu’il estoit un ignorant en perspective avec ce nez large qu’il fait donner à Minerve ; car un nez peut bien paroistre plus court étant vu de bas en haut et dans un lieu fort eslevé, mais non pas en paroistre moins large.

LE PRÉSIDENT — Pourquoy ne voulez-vous pas qu’il diminuë aussi bien en largeur qu’en longueur.

L’ABBÉ — Je ne le veux pas, par des raisons qui seroient trop longues à dire, et dont ceux qui comme vous sçavent la perspective, n’ont pas besoin. Je crois donc bien que Phidias qui estoit fort habile ne se donna pas la peine d’achever et de polir sa figure, parce que la grande distance n’adoucit que trop les objets, mais il n’en changea point les proportions ; il ne fit point la bouche de sa Minerve plus grande ni plus ouverte que si elle eust dû être vûë de dix pas, et il ne lui fit point le nez plus large qu’une belle Deesse le doit avoir ; car malgré l’esloignement et la bouche et le nez auroient paru avoir la proportion qu’il leur auroit donnée. Ceux qui ont raconté cette histoire ont cru faire merveille d’exagérer la laideur de la Minerve vûë de près, et la beauté de cette Minerve vûë de loin, pour faire valoir la grande habileté de Phidias.

LE CHEVALIER — J’ai ouy conter de semblables histoires à des gens fort habiles en architecture et en sculpture, mais je m’en suis tousjours défié, j’ai tousjours crû qu’ils ne rapportoient toutes ces merveilles que pour montrer qu’ils avoient lû les bons livres, et pour faire honneur à leur art, en étalant les mystères dont ils pretendent qu’il est capable, mais je n’ay jamais pensé qu’ils voulussent imiter ces exemples.

L’ABBÉ — Cela est ainsi n’en doutez point, Girardon a fait la Minerve qui est sur le fronton du Chasteau de Sceaux, je l’ai vûë dans son attelier, et je l’ai vûë en place, elle ne m’a point paru avoir la bouche plus ouverte ni le nez plus large dans l’atelier que sur le fronton.

Note de bas de page de l'auteur :
  • [1] Thetzes l. 8 hist. 192.
 

Perrault, Charles, Parallèle des anciens et des modernes(publi: 1688:1696), p. 190 (fran)

L’ABBÉ — Ils[Explication : les Anciens.] ignoroient une infinité de secrets de cette partie de la sculpture dans le temps mesme qu’ils ont fait la colonne trajane où il n’y a aucune perspective ni aucune degradation. Dans cette colonne les figures sont presque toutes sur la mesme ligne ; s’il en a quelques-unes sur le derriere, elles sont aussi grandes et aussi marquées que celles qui sont sur le devant ; en sorte qu’elles semblent estre montées sur des gradins pour se faire voir les unes au-dessus des autres.

LE CHEVALIER — Si la colonne trajane n’était pas un morceau d’une beauté singuliere, Monsieur Colbert dont je vous ai ouy louër plus d’une fois le goust exquis pour tous les beaux-arts, n’auroit pas envoyé à Rome mouler cette colonne et n’en auroit pas fait apporter en France tous les moules, et tous les bas-reliefs moulez chacun deux fois, ce qui n’a pû se faire sans une dépense considerable.

 

Lamy, Bernard, Traité de perspective, où sont contenus les fondements de la peinture(publi: 1701), « Des tableaux et des statuës qu’on fait pour les poser dans des lieux très-élevez » (numéro V) , p. 186-188 (fran)

Après ce que l’on a dit, il ne seroit pas necessaire d’avertir une seconde fois que dans les tableaux qui sont sur des fonds plats et unis, mais qui sont placez fort haut au-dessus de l’œil, les choses n’y doivent pas être representées dans leur proportion naturelle ; ce qui se doit entendre de la sculpture, aussi-bien que de la peinture. En ce cas si on veut que les choses paroissent ce qu’elles sont, il les faut peindre autrement qu’elles ne sont. Par exemple, faisant le tableau d’un Christ pour un lieu fort élevé, afin que sa tête ne paroisse pas plus petite qu’elle le doit par rapport au reste du corps, il faut la faire plus grande. Les parties les plus élevées qui sont vües sous de plus petits angles paroissent plus petites qu’elles ne le sont, doivent avoir une grandeur plus que naturelle, afin qu’elles paroissent avoir celle qui leur est naturelle. C’est-à-dire, dans l’exemple proposé que la tête du Christ doit être plus grande pour être proportionnée aux autres parties du corps, qui étant plus basses, et plus proches de la vüe conservent mieux l’apparence de leur veritable grandeur.

Teztzes rapporte un trait d’histoire qui regarde nôtre matiere. Il dit que les Atheniens ayant deliberé de poser sur une haute colomne la statüe de Minerve, ordonnerent à Phidias, et à Alcamene de faire chacun la statuë de cette déesse, dans le dessein de lui dedier celle qui seroit jugée la plus belle. Alcamene fit la figure de Minerve, svelte et d’un visage fort gratieux ; il n’y avoit rien de plus beau, vû de prés ; tout le monde l’alloit voir avec admiration dans son atelier. Phidias au contraire composa sa figure tout autrement ; il lui fit les levres separées, la bouche ouverte, les narines larges grandes. Toutes ces grandes parties n’avoient point de grace dans l’atelier. Aussi il faillit être lapidé par le peuple. Mais quand les deux statuës furent mises en leur place, celle de Phidias parut avec toute la beauté qu’on y pouvoit desirer, et fût fort estimée par les Atheniens. Celle d’Alcamene perdit de sa grace, parût meschine et ridicule. C’est encore une regle, que dans toute statue colossale, gigantesque, aucune partie ne doit être finie. Il suffit qu’elle ne soit que comme frappée ; parce qu’outre qu’il seroit inutile de faire autrement, ce qui est brute paroît mieux de loin comme étant plus grossier.

 

Houdar de la Motte, Antoine, Fables nouvelles, avec un discours sur la fable(publi: 1719), « Les deux statuës » (numéro I, 15) , p. 48-50 (fran)

Sur le sommet d’un temple magnifique,

On voulut elever l’image de Pallas ;

Et pour ce monument toute une Republique

Mit en œuvre deux Phidias.

Grand prix pour qui feroit la plus belle statuë ;

On veut choisir. Un seul devoir avoir l’argent,

Et la gloire par consequent ;

L’autre rien. Chacun s’evertuë,

Fait de son mieux ; honneur et gain

Pressent nos ouvriers, leur conduisent la main.

Ils ont bientôt achevé leur ouvrage ;

On le porte au parvis. Le peuple d’y courir.

Alors de tous les yeux l’un ravit le suffrage ;

L’autre à peine se peut souffrir.

Celui qu’on admiroit brilloit de mille graces :

Tous les traits étoient delicats ;

Les contours arondis : bref, malgré ses menaces,

La critique n’y mordit pas.

L’autre n’étoit auprès qu’un marbre encor informe ;

Rien de fini ; chaque trait est grossier ;

Contours monstrueux, taille énorme :

Le peuple renvoioit l’ouvrage à l’attelier.

Voilà le maître, et l’autre est l’écolier.

On alloit delivrer le prix sans autre forme.

Tout beau, dit le sculpteur ; il faut nous éprouver.

Est-ce pour le parvis que ma statuë est faite ?

Sur le temple avec l’autre, il la faut elever ;

Et vous verrez d’icy quelle est la plus parfaite.

On le fit, en plaignant les frais ;

Mais d’abord tout changea de face.

La statuë admirée en perdit tous ses traits ;

L’éloignement les confond, les efface.

L’autre par la distance acquiert toute la grace

Qu’on ne soupçonnoit point, en la voiant de près.

Il faut voir les choses en place.

 

Rollin, Charles, Histoire ancienne, tome XI, livre XXIII(publi: 1730:1738), « De la sculpture » (numéro livre XXIII, ch. 4) , p. 82-83 (fran)

Phidias n’étoit pas de ces artisans qui ne savent que manier les instruments de leur art. Il avoit l’esprit orné de toutes les connoissances qui pouvoient être utiles à un homme de sa profession : histoire, poésie, fable, géométrie, optique. Un fait assez curieux montrera combien cette dernière lui fut utile.

Alcaméne et lui furent chargés de faire chacun une statue de Minerve, afin que l’on pût choisir la plus belle des deux, que l’on vouloit placer sur une colonne fort haute. Quand les deux statues furent achevées, on les exposa aux yeux du public. La Minerve d’Alcaméne, vûe de près, parut admirable, et eut tous les suffrages. Celle de Phidias, au contraire, fut trouvée hideuse : une grande bouche ouverte, des narines qui sembloient se retirer, je ne sai quoi de rude et de grossier dans le visage. On se moqua de Phidias et de sa statue. Placez-les, dit-il, à l’endroit où elles doivent être. On les y plaça l’une après l’autre. Alors la Minerve d’Alcaméne ne parut plus rien, au lieu que celle de Phidias frappoit par un air de grandeur et de majesté qu’on ne pouvoit se lasser d’admirer. On rendit à Phidias l’approbation que son rival avoit surprise ; et celui-ci se retira confus et honteux, se repentant bien de n’avoir pas appris les régles de l’optique.

 

Lacombe, Jacques, Dictionnaire portatif des beaux-arts ou abrégé de ce qui concerne l’architecture, la sculpture, la peinture, la gravure, la poésie et la musique(publi: 1752), art. « Phidias », p. 495 (fran)

Il possédoit surtout l’optique ; ce qui lui fut très-utile dans une occasion assez remarquable. Alcamene et lui furent chargés de faire chacun une Minerve, afin qu’on pût choisir la plus belle pour la placer sur une colonne. La statue d’Alcamene vue de près avoit un beau fini qui gagna tous les suffrages, tandis que celle de Phidias ne paroissoit en quelque sorte qu’ébauchée. Mais le travail recherché d’Alcamene disparut lorsque la statue fut élevée au lieu de sa destination ; celle de Phidias au contraire fit tout son effet et frappa les spectateurs par un air de grandeur et de majesté qu’on ne pouvoit se lasser d’admirer.

 

Caylus, Anne-Claude-Philippe de Tubières, comte de,    « De la sculpture selon Pline », discours lu le 1er juin 1754 à l’Académie royale de peinture et de sculpture(redac: 1754/06/01), p. 345-346 (fran)

Pline parle ensuite de Phidias ; voici ses paroles. On dit que Phidias a travaillé le marbre et que la Vénus qu’on voit à Rome, dans les portiques d’Octavie, est de lui. Ce doute, je l’avoue, m’a paru singulier. Il ajoute : ce qu’il y a de certain, c’est que Phidias a eu pour élève le célèbre Alcamène, Athénien. On voit plusieurs ouvrages de cet Alcamène dans les temples d’Athènes, et surtout la Vénus placée hors des murs, nommée la Vénus des jardins. On dit même que Phidias y a mis la dernière main. Phidias eut encore pour élève un jeune homme de Paros, dont la figure était fort agréable, et sous le nom duquel il a donné plusieurs de ses ouvrages. Cet exemple d’un aussi grand sacrifice n’est pas commun dans les arts, et les mœurs des modernes les ont heureusement empêchés de répéter cet exemple. Les deux élèves concoururent pour la statue d’une Vénus. Alcamène l’emporta, non par le mérite de son ouvrage, mais par le suffrage des citoyens qui ne voulurent pas lui préférer un étranger. On dit même que cet Agoracritus (c’est le nom de ce second élève) ne consentit à leur vendre sa statue qu’à condition qu’elle ne serait point placée dans Athènes, et lui donna le nom de Némésis.

 

Hagedorn, Christian Ludwig von, Betrachtungen über die Malerei(publi: 1762), „Von Verhältnissen insbesondere“ (numéro III, 36, t. II) , p. 544-545 (allemand)

Was verlangte aber Phidias von den Athenien fern[1], als sie dem fleissig ausgearbeiteten Bilde der Minerva, von der Hand des in der optischen Wissenschaft unerfahrnen Alkamenes in der Nähe der Vorzug gaben? Und wie veränderte sich das Urtheil des Volks, als das rauher gearbeitete Bild des Phidias in die Höhe kam, und durch Verkürzungen den Beyfall des Auges gewann? Vergrössern sich nicht die Figuren an der trajanischen Ehrensäule nach dem Maasse ihrer Höhe und Entfernung, nicht um grösser zu erscheinen, sondern um gegen die untersten Figuren einerley Verhältnis zu behalten?

Die Wirkung, nach einer gewissen Entfernung von dem Auge, bestimmet die Haupabsicht des Künstlers, und die Mittel dazu werden ihm ein eben so dringendes Gesetz, als die Verhältnisse eines der Nähe gewidmeten Bildes.

Note de bas de page de l'auteur :
  • [1] Junius Schilderkonst der Oude III. B. 4. Cap. 7. S. oben S. 283.
 1 sous-texte

Hagedorn, Christian Ludwig von, Betrachtungen über die Malerei, « Des proportions en particulier » (numéro III, 36) , t. II, p. 44-45 (fran)(traduction ancienne d'un autre auteur)

Qu’exigeoit Phidias des Athéniens, lorsque ceux-ci, mécontents de sa Minerve, donnerent la préférence à celle d’Alcamene qui avoit su donner un beau fini à son travail ? Il vouloit qu’ils ne le jugeassent, que lorsque sa statue seroit placée au lieu de sa destination. En effet quel changement subit dans la décision des spectateurs, lorsque la figure de Phidias, qui considerée de près ne paroissoit qu’ébauchée, fut apperçue dans son véritable point de vue ? Alors le travail recherché d’Alcamene qui ignoroit la science de l’Optique, disparut entierement, pendant que celui de Phidias, par ses savants raccourcis et son air de majesté, gagna tous les suffrages. Les figures de la colonne Trajanne ne s’agrandissent-elles pas à raison de leur hauteur et de leur distance, non pour les faire paroître plus grandes, mais pour les tenir dans la même proportion avec les figures placées plus bas ?

L’effet qui résulte pour un objet placé à une certaine distance de la vue, détermine l’intention principale de l’artiste ; et les moyens de produire cet effet, sont pour lui des loix aussi absolues, que les proportions d’une figure faite pour être vue de près.

 

De l’usage des statues chez les Anciens. Essai historique(publi: 1768), « Des sculpteurs de l’Antiquité » (numéro Troisième partie, chapitre premier) , p. 402 (fran)

L’intelligence de l’optique fut surtout ce qui rendit célèbre cet artiste. La Minerve vue de près révolta d’abord les connoisseurs, mais mise au lieu de sa destination, elle enleva tous les suffrages et fit rejetter celle d’Alcamene qui chargé en même-temps par les  Athéniens de travailler au même sujet, avoit donné à sa statue un fini et une délicatesse propre à être vue de près, ce qui le rendit le jouet de tout le monde.

 

Falconet, Etienne, Traduction des XXXIV, XXXV et XXXVI livres de Pline l’Ancien, avec des notes(publi: 1772), p. 210 (fran)

(7) Si vous voulez voir quelque chose d’assez original touchant la perspective des Anciens, lisez la dernière lettre de M. le Comte Algarotti sur la peinture ; vous y trouverez que celui qui a exécuté les bas-reliefs de la Colonne Trajane, avait d’excellentes raisons pour faire de la perspective qui, à son point de vue, n’a pas le sens commun. Quelque singulière que soit l’apologie qu’on a faite de ce sculpteur et de ses fautes, encore faut-il la connaître, pour avoir le droit de l’estimer tout ce qu’elle peut valoir[Note contexte].

 

Nougaret, Pierre Jean Baptiste ; Leprince, Thomas , Anecdotes des beaux-Arts, contenant tout ce que la peinture offre de plus piquant chez tous les peuples du monde(publi: 1776), « PHIDIAS » (numéro t. III) , p. 24 (fran)

On raconte quelques traits singuliers qui prouvent la profonde connaissance qu'avait Phidias de l'optique et de la géométrie. Un jour on lui montra l'ongle d'un lion, et il jugea à la seule inspection, de quelle grandeur était cet animal.

Alcamène et lui furent chargés de faire chacun une statue de Minerve, afin que l’on pût choisir la plus belle des deux, que l’on voulait placer sur une colonne fort élevée. Les deux statues étant finies, on les exposa aux yeux du public. La Minerve d’Alcamène, vue de près, parut admirable et eut tous les suffrages. Celle de Phidias, au contraire, fut trouvée hideuse, et l’on se moqua de Phidias et de sa statue. Cet artiste, sans s’étonner de ce mauvais succès, dit au peuple d’Athènes : « Mettez ces statues où elles doivent être, et vous les jugerez ensuite ». On les plaça l’une après l’autre sur la colonne : alors la Minerve d’Alcamène perdit tout son mérite, au lieu que celle de Phidias frappait par un air de grandeur et de majesté qu’on ne pouvait se lasser d’admirer. On rendit à Phidias l’approbation que son rival lui avait surprise ; et Alcamène se retira couvert de confusion ; non qu’il ne fût un habile sculpteur, mais il ignorait les règles de l’optique[1].

Note de bas de page de l'auteur :
  • [1] Mem. De l’Acad. Des B. Lettr. T. IX, p. 192, Parall. Des Anc. et des Modernes, par Perrault, T. I, p. 153. Fables de la Motte, édit. In-4°, p. 48.