Fortune de Pline

Bibliographie

Doody, Aude Pliny’s Encyclopedia. The Reception of the Natural History[ + ]
Hénin, Emmanuelle "La critique des anecdotes plinniennes", à paraître[ + ]

Images

Doni, Vincenzo, Disegno(publi: 1549), p. 36v-37r (italien)

P. Anchor non cedo io benche io sia quasi disposto a lasciar l’opinion mia. Et s’io mi ricordo bene del mirabile ingegno di Plinio. S. Poco fa tu lo chiamavi bugiale, et hora gli dai del mirabile ingegno. P. Si fa cosi a voler difendersi a torto, et a ragione. S. Hor seguita la ragion tua. P. Egli fa memoria di bellissimi essempi di pittura con suo grand’honore seguiti.

 

Doni, Vincenzo, Disegno(publi: 1549), fol. 36r (italien)

: P. Pur che tu non le cavi queste tue historie del bugiale di Plinio. ogni cosa va bene. S. Le furon vere non bugie.

 

Vasari, Giorgio, Le vite de’ più eccellenti pittori, scultori e architetti(publi: 1568), p. 209 (italien)

Successe nel terzo grado Policlete e gli altri tanto celebrati, i quali, come si dice e credere si debbe, interamente le fecero perfette opere. Questo medesimo progresso dovette accadere nelle pitture ancora, perché e’ si dice, e verisimilmente si ha da pensare che fussi cosi nell’opere di quelli che con un solo colore dipinsero, e pero furon chiamati monocromati, non essere stata una gran perfezzione. Di poi nelle opere di Zeusi e di Polignoto e di Timante, o degli altri che solo ne messono in opera quatro, si lauda in tutto i lineamenti, et i dintorni e le forme, e senza dubbio vi si doveva pure desiderare qualcosa. Ma poi in Ethione, Nicomaco, Protogene et Apelle, è ogni cosa perfetta e bellissima, e non si puo imaginar meglio, avendo essi dipinto non solo le forme e gli atti de’corpi eccellentissimamente, ma ancora gli affetti e le passioni dell’animo. Ma lasciando ire questi, che bisogna riferirsene ad altri e molte volte non convengano i giudizii e, che è peggio, neppure tempi, ancora che io in cio seguiti i migliori autori, vegniamo a’tempi nostri, dove abbiamo l’occhio, assai miglior guida e giudice che non è l’orecchio.

 

Tassoni, Alessandro, Pensieri diversi, libri dieci(publi: 1620), « Statue, e pitture antiche e moderni » (numéro libro X, cap. XIX) , p. 387-388 (italien)

Pero passiamo a’nostri moderni, tra quali otto ne sceglieremo ancor noi, che se la Grecia gli avesse avuti, son sicurissimo che avrebbe composti otto volumi di romanzi di più. Saranno questi Tiziano, Rafaello da Urbino, Michelagnolo Buonaroti, Andrea del Sarto, il Parmigianino, Antonio da Coreggio, Alberto Duro e Leonardo da Vinci. Questi non furono inventori di far bocche aperte, che mostrino i denti, ne occhi che mirino in tutte le parti, percioché questo sono leggerissime cose. E i folgori, e il lampi, e i baleni, e i raggi del sole, che Apelle dipignea per cose impossibili, non danno punto che fare a i nostri pittori ordinarii, i quali si burlano parimente del lustro, e della vernice, che si da alle pitture. Che Apollodoro facesse bene un ritratto, le donne della nostra età non gli cedono, perché in questa parte Lavinia Fontana è stata eccellentissima. Che Zeusi rappresentasse uva matura naturalissima, anche i nostri moderni il sanno fare, e in tutte le sorti di frutti; ma he volassero uccelli a beccarla nel teatro pieno di gente, o che Parrasio suo emulo dipignesse così al vivo una pernice, che le pernici vere in mirarla cantassero, sono greche romanzerie, perché gli uccelli non volano ne anco a beccar l’uva vera quando veggono gente, e le pernici non cantano ne anco a veder le vere, se non vanno in amore.

 

Rampalle, Daniel de, L’Erreur combatuë. Discours académique où il est curieusement prouvé, que le monde ne va point de mal en pis(publi: 1641), p. 133-134 (fran)

Note marginale :
  • [1] En la chapelle de Sixte

Quant à la Peinture et à la Satuaire, quelque réputation qu’ayent eu ces fameux ouvriers de la Grèce, nos modernes ne leur sont point inférieurs en la perfection de cet art. La Minerve d’Amulius qui passa si long-temps pour merveilleuse à cause qu’elle sembloit arrester les yeux sur ces spectateurs de quelque costé qu’on la regardast, si elle n’avoit point d’autre beauté, seroit auioud’huy un ouvrage fort commun. Les testes de Polygnotus à bouche ouverte, dont les dents paroissoient. Les foudres, les esclairs, et les rayons du soleil qu’Apelle peignoit comme des choses impossibles, sont figurez sans peine par les plus médiocres du temps present ; cet Apollodorus qui est si vanté pour avoir fair le premier des portraits après le naturel, mettroit auiourd’huy son pinceau aux pieds de l’excellente Lavinia romaine, et du célèbre du Moustier, qui en trois coups de crayon trouve la ressemblance des visages les plus difficiles à peindre, et les achève si parfaitement, que la seule parole en fait la différence. Parrhasius fut estimé sans pareil en la naifve expression des plus petites choses. Mais quelle main a peu iamais esgaller en ce point celle d’Albert Durer, dont les miniatures sont gardées comme autant de merveilles dans la bibliothèque du Vatican ? Il est impossible que le coloris d’Apelle que Pline met hors de comparaison, fut plus excellent, ny plus vif que celuy du Corregio, que les plus habiles trouvent inimitable ; son pourtrait d’Alexandre tenant à la main une foudre qui sembloit sortir du tableau, n’avoit rien qu’on ne trouve aux merveilleux ouvrages de Raphaël d’Urbin dans le palais du pape. Et si cet ancien prince des peintres, eut veu dans la sale Clementine des figures humaines toutes droites dans le concave de la voûte, sans estre rapetissées par la situation, ny estropiées à cause du racourcissement ; s’il eut veu ces galleries peintes avec un ordre de colomnes, qui par une tromperie de la perspective incognue à l’Antiquité, finissent en des païsages, et des esloignemens qui déçoivent la veüe ; s’il eut veu les couronnes, les cercles d’or, les globes, et les estoilles peintes sur les murailles avec tant d’artifice, que les plus entendus estant surpris s’imaginent à tous momens qu’elles tombent ; avec combien plus de raison auroit-il tesmoigné l’estonnement qu’il fit paroistre à la veüe de cette ligne fameuse, que Protogenes enfila dans la sienne ? Les raisins, et les fruits de la main du Gobe, ou de la Moilon, tromperoient aussi bien les oyseaux, que celuy de Zeuxis, si ce qu’on en dit ne tenoit de la fable grecque : de mesme que le conte de la perdrix de Parrhasius qu’il peignit sur une colonne ; ie ne sçay si ce fut avec tant de succez : mais pour le moins c’estoit avec bien peu de iugement, de la percher en un lieu, où les naturelles ne se posent iamais ; i’aimerois aussitost peindre une cane sur un arbre, ou une poule dans la mer. Et iamais le Bassan qui estoit incomparable en la peinture des animaux, n’eût commis des fautes de cette nature. Timante fut sans doute plus iudicieux, non seulement quand il couvrit le visage du père d’Iphigénie pour figurer sa douleur au delà des forces du pinceau, mais aussi lorsque pour exprimer la grandeur d’un cyclope qu’il avoit mis dans un petit quadre, il peignit un satyre qui de son thyrse lui mesuroit un doigt ; et toutesfois nos moindres peintres, usent d’un pareil artifice, lors que pour figurer de grosses balenes dans un petit tableau, ils font tout autour des pescheurs qui montent dessus avec des eschelles. Il est vray que Zeuxis est renommé pour avoir sçeu le premier animer ses peintures, et figurer les passions de l’âme sur le visage. Le portrait qu’il fit de Pénélope est encore célèbre, où Pline dit que mesme il avoit exprimé ses mœurs. Mais il n’est pas possible que son pinceau fust en ce point comparable à celuy du Titian, du Parmesan, et de Michel-Ange. On voit un Sauveur de la main du premier, dont le visage et l’action tesmoignent ie ne sçay quoi de divin, et de surnaturel, que le plus impie ne sçauroit regarder sans respect, et sans vénération. Toutes les Vierges du Parmesan font paroistre parmy la grâce et la beauté une pudeur, et une humilité nompareille. Mais qui pourroit parler assez dignement des precieux ouvrages de Michel-Ange ? Toutes ses peintures sont animées, et son tableau du Iugement [1] auroit pû servir de modèle, aux plus excellents esprits de l’Antiquité. Ce grand nombre de figures nuës, toutes avec une posture, et une action différente, eust estonné le plus inventif de tous les peintres de la Grèce. Mais outre leur admirable diversité, l’effroy, le tremblement, l’horreur y sont exprimés si naturellement, que bien loin de ne surpasser pas les Anciens, on tient que l’Art mesme en est surmonté.

 

Félibien, André, Entretiens sur la vie et les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes, vol. 1(publi: 1666), IIe Entretien, p. 120 (fran)

A vous dire le vrai, repartis-je, ny l’O de Giotto ny ces lignes d’Appelle et de Protogenes ne sont point capables de nous donner une haute idée de leur grand sçavoir.

 

Félibien, André, Entretiens sur la vie et les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes, vol. 1(publi: 1666), Ier Entretien, p. 73 (fran)

Ie ne sçay si je vous dois parler davantage de cet homme merveilleux[Explication : Apelle.], puisque sa reputation est si grande qu’il seroit inutile de vous en entretenir plus longtemps.

Tout ce que vous rapporterez, dit Pymandre, me sera toûjours non seulement tres-utile, mais encore fort agreable, quand mesme j’en aurois déja connoissance ; c’est pourquoy ne me cachez rien je vous prie de ce que vous sçavez de ces grands hommes, si vous ne voulez diminuer le plaisir que je reçois en vous en entendant discourir.

 

Félibien, André, Entretiens sur la vie et les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes, vol. 1(publi: 1666), Préface (numéro t. I) , non pag. (fran)

Mais mon dessein estant de faire voir en notre langue ce qu’on a écrit d’eux en latin et en italien, j’ay tâché de ne rapporter que ce qu’il y avoit de plus considérable, et qui pouvoit davantage instruire et divertir tout le monde. C’est pour cela que je n’ai pas voulu écrire une infinité de petites histoires et de contes assez fades, dont Vasari a rempli ses livres, et que j’ay laissé tous ces grands catalogues de tableaux qui grossissent les volumes de ces auteurs italiens. Mais en échange j’ai pris soin de marquer quelques actions et quelques évenements particuliers auxquels les peintres dont je parle ont eu part ou qui leur ont donné sujet de faire quelques ouvrages. Je ne défere pas aussi toûjours au jugement de ces écrivains, car je prétends estre dans un païs de liberté où l’on peut dire son sentiment sur toutes sortes de tableaux, et rendre témoignage à la verité en toutes choses.

 

Félibien, André, Entretiens sur la vie et les ouvrages des plus excellens peintres anciens et modernes, vol. 1(publi: 1666), IIe Entretien, p. 92 (fran)

Sçavez-vous, me dit-il, que j’ay de la peine à ne pas croire qu’il ne soit de la peinture ainsi que de toutes les autres choses pour lesquelles on a toûjours une haute estime dans les temps où elles sont en credit ? Car lorsque je regarde tant de rares tableaux que l’on fait aujourd’huy, et que je pense encore à ceux que nous avons veus autrefois à Rome, je ne puis m’imaginer que les Appelles et les Protogenes en aient fait de plus excellents que ceux-là.

Quand nous n’aurions pas, luy repartis-je, le témoignage des plus sçavans historiens de l’antiquité, vous sçavez bien que par les statuës qui sont demeurées entières jusqu’à present, nous pouvons juger du mérite des peintres de ce temps-là qui assurément n’estoient pas moins habiles que les sculpteurs, puisque les uns et les autres prenoient tant de peine à se rendre sçavans. Car si Zeuxis apporta un si grand soin à bien observer dans les filles de la Grece les mieux faites, ce qu’elles avoient de plus parfait et de plus agréable pour representer cette fameuse image d’Helene ; il ne faut pas douter que les autres peintres qui estoient alors en grande reputation ne travaillassent de mesme à rendre leurs ouvrages accomplis. Mais nous pouvons dire que des peintres modernes il n’y en a guere qui se rendent aussi considerables que ces Anciens, parce qu’il y en a peu qui s’adonnent comme ils devroient à l’étude d’un art qui demande une si forte application.

 

Dati, Carlo Roberto, Vite de' pittori antichi(publi: 1667), « Postille alla vita di Protogene », p. 171-174 (italien)

[Note contexte] So benissimo che il nome di Plinio presso ad alcuni non è di grandissima autorità stante il mal concetto di poca fede addossatogli a gran torto dal volgo. Io non voglio adesso far la difesa di questo grande scrittore contro a certi faccenti, che senza forse averlo mai letto lo tacciano di menzognero. E chi fu mai più di lui curioso del vero ? che per ben conoscerlo, non conobbe pericolo, e finalmente morì, onde fu chiamato, A scriver molto, a morir poco accorto.

Se costoro sapessero quanto sia difficile lo scrivere la storia universale della natura necessariamente rapportandosi ad altri senza poterne fare il riscontro, o non sarebbero così facili a contraddire, o lo farebbero con più modestia, e rispetto. Plinio parla in questo luogo d’una cosa veduta da lui, e da tutta Roma, onde non par verisimile, ne ch’egli dovesse mentire, ne ch’egli potesse ingannarsi. […] Torno adunque a pregar tutti, e spezialmente i professori, che si vogliano degnare di rileggere attentamente il luogo di Plinio, il quale non si fidò di se stesso, ne del volgo, e non andò, come si dice, preso alle grida, e perciò concluse, Placuitque sic eam tabulam posteris tradere omnium quidem, sed artificum praecipuo miraculo; e poi di vedere se da quel racconto si possa trarre un ripiego, che salvi Plinio dalla nota di bugiardo nella storia, e Apelle, e Protogene dalla taccia di balordi dell’arte. Non mi parendo giusto il correre a furia a chiamare insipide quelle linee tanto riverite, come fece Alessandro Tassoni ne suoi pensieri troppo arditamente sfatando tutta l’Antichità.

 

Huret, Grégoire, Optique de portraicture et peinture(publi: 1670) (sect. 264), p. 104 (fran)

Il s’ensuit que tous les traitez qui ont esté faits jusques à present de l’art de peinture, pour enseigner à portraire et à peindre les figures de tous les animaux, païsages, etc, sont inutiles aux peintres ; et pour le mieux connoistre, il n’ a qu’à remarquer l’ordre qu’ils tiennent en general, et la nature des préceptes qu’ils donnent en particulier ; et pour ce faire, il nous suffira de voir le traité de la peinture divisé en trois livres de Leon Baptiste Albert Florentin, qui a été un des plus doctes peintres et architectes de son temps […]

Après l’autheur[Explication : Alberti.] s’étend, avec raison, sur les louanges de la peinture, qu’il préfere à la sculpture, et en rapporte l’origine, et dit que le Grec en avoit defendu l’exercice aux esclaves, parce que les plus nobles d’entr’eux la pratiquoient, et mesme plusieurs consuls et empereurs romains; comme aussi plusieurs femmes illustres, ayant auparavant fait un dénombrement des noms et des merveilleux ouvrages des peintres de l’antiquité ; et dit que Zeuxis donnoit ses tableaux, parce qu’ils n’avoient point de prix, et autres maximes et discours semblables, qu’il a tirés de Plutarque, de Pline, de Lucian, etc. qui les avoit appris des vieux contes de leurs nourrices, ou de leurs grands-meres.

 

Huret, Grégoire, Optique de portraicture et peinture(publi: 1670), p. 108 (fran)

Tout son livre[Explication : le Trattato de Lomazzo.] n’est remply d’autres choses que d’une multitude d’allusions, de comparaisons, et de distinctions ridicules et entierement inutiles, avec quantité de mots mal adaptez, comme de nommer forme ce qui n’est que figure ; comme aussi il n’a pas oublié le chef-d’œuvre de Thymanthe en son voile d’Agamemnon, non plus que le tableau où Protogene appliqua quatre couches de couleurs pour le faire durer davantage ; ensemble plusieurs autres fables de Pline etc. touchant la peinture.

 

Catherinot, Nicolas, Traité de la peinture(publi: 1687), p. 21 (fran)

Fables des peintres, comme celle de Zeuxis et de Parrhase, celle d’Apelle et de Protogene. Mais enfin elles sont bien insensées. Quant à la derniere c’est une verité, si on veut en croire Pline. On peut encore adjoûter l’ecume du chien que Protogène ne pouvoit peindre, et celle du cheval que Néalcès ne pouvoit peindre pareillement. Et il ne se faut point étonner de ceci, car toutes les histoires anciennes regorgent de fables, et pour les depister il ne faut que supprimer ce qui est de surprenant.

 

Perrault, Charles, Parallèle des anciens et des modernes(publi: 1688:1696) (t. I), p. 219-220 (fran)

L’ABBÉ — Je puis encore prouver le peu de suffisance des peintres anciens par quelques morceaux de peinture antique qu’on voit à Rome en deux ou trois endroits ; car quoy que ces ouvrages ne soient pas tout à fait du temps d’Apelle et de Zeuxis, il sont apparemment dans la mesme maniere ; et tout ce qu’il peut y avoir de difference, c’est que les maistres qui les ont faits estant un peu moins anciens, pourroient avoir sçu quelque chose davantage dans la peinture. J’ai vü celuy des Nopces qui est dans la Vigne Aldobrandine, et celuy qu’on appelle le Tombeau d’Ovide. Les figures en sont bien dessinées, les attitudes sages et naturelles, et il y a beaucoup de noblesse et de dignité dans les airs de teste, mais il y a tres-peu d’entente dans le meslange des couleurs ; et point du tout dans la perspective ny dans l’ordonnance. Toutes les teintes sont aussi fortes les unes que les autres, rien n’avance, rien ne recule dans le tableau, et toutes les figures sont presque sur la mesme ligne, en sorte que c’est bien moins un tableau qu’un bas relief antique coloré, tout y est sec et immobile, sans union, sans liaison, et sans cette mollesse des corps vivans qui les distingue du marbre et de la bronze qui les representent. Ainsi la grande difficulté n’est pas de prouver qu’on l’emporte aujourd’huy sur les Zeuxis, sur les Timantes et sur les Appelles, mais de faire voir qu’on a encore quelque avantage sur les Raphaëls, sur les Titiens, sur les Pauls Veroneses, et sur les autres grans peintres du dernier siecle.

 

Perrault, Charles, Parallèle des anciens et des modernes(publi: 1688:1696) (t. I), p. 199-202 (fran)

L’ABBÉ — Pour vous convaincre du peu de beauté des peintures antiques, et de combien elles doivent estre mises au-dessous de celles de Raphaël, du Titien et de Paul Veronese, et de celles qui se font aujourd’huy, je ne veux me servir que des loüanges mesmes qu’on leur a données. On dit que Zeuxis representa si naïvement des raisins que des oiseaux les vinrent becqueter : quelle grande merveille y a-t-il à celà ? Une infinité d’oiseaux se sont tuez contre le Ciel de la perspective de Rüel, en voulant passer outre sans qu’on en ait esté surpris, et cela mesme n’est pas beaucoup entré dans la loüange de cette perspective. 

LE CHEVALIER — Il y a quelques temps que passant sur le Fossé des Religieuses Angloises, je vis une chose aussi honorable à la peinture que l’histoire des raisins de Zeuxis, et beaucoup plus divertissante. On avoit mis secher dans la cour de Mr. le Brun, dont la porte estoit ouverte, un tableau nouvellement peint, où il y avoit sur le devant un grand chardon parfaitement bien representé. Une bonne femme vint à passer avec son asne, qui ayant vû le chardon entre brusquement dans la cour, renverse la femme qui taschoit de le retenir par son licou, et sans deux forts garçons qui luy donnerent chacun quinze ou vingt coups de bâton pour le faire retirer, il auroit mangé le chardon, je dis mangé, parce qu’étant nouvellement fait, il auroit emporté toute la peinture avec sa langue. 

L’ABBÉ — Ce chardon vaut bien les raisins de Zeuxis dont Pline fait tant de cas. Le mesme Pline raconte encore que Parrhasios avoit contrefait si naïvement un rideau, que Zeuxis mesme y fut trompé. De semblables tromperies se font tous les jours par des ouvrages dont on ne fait aucune estime. Cent fois des cuisiniers ont mis la main sur des perdrix et sur des chappons naïvement representez pour les mettre à la broche ; qu’en est-il arrivé ? On en a ri, et le tableau est demeuré à la cuisine.

 

Piles, Roger de, Abrégé de la vie des Peintres, avec des reflexions sur leurs ouvrages, et un Traité du Peintre parfait, de la connoissance des Desseins et de l’utilité des Estampes(publi: 1699), p. 110 (fran)

Nous avons à la vérité quelques morceaux de peinture antique, mais ni les tems, ni les auteurs n’en sont point connus : le plus considérable est à Rome dans la Vigne Aldobrandine, et représente un mariage. Cet ouvrage est d’un grand goût de dessein, et tient beaucoup de la sculpture et des bas-reliefs grecs. Il est sec et sans intelligence des groupes, ni du clair-obscur : mais il est à croire que tous les ouvrages de peinture qui se faisoient en Gréce dans ces tems-là, n’étoient pas de la même sorte ; puisque ce que nous lisons de Zeuxis et de Parrhasius, qui ont trompé par leur pinceau, non seulement les animaux, mais les peintres mêmes, doit nous persuader qu’ils avoient pénétré dans les principes de la peinture plus avant que l’auteur de cet ouvrage. Il est vray qu’ils n’avoient pas l’usage de l’huile, laquelle donne tant de force aux couleurs ; mais ils pouvoient avoir des sécrets que nous ignorons, et Pline nous dit qu’Apelle se servoit d’un vernis qui donnoit de la vigueur à ses couleurs, et qui les conservoit. Quoy qu’il en soit, on ne peut pas aller contre le témoignage universel des anciens auteurs qui ont parlé des peintres de ces tems-là, et des écrits desquels on doit inférer que la peinture y étoit dans un haut degré de perfection, et que le nombre des habiles peintres y étoit fort grand.

 

Guérin, Nicolas, "Description de l’Académie royale de peinture et de sculpture", lue le 25 novembre 1713 à l'Académie royale de peinture et de sculpture(publi: 1713/11/25), p. 97 (fran)

Qu’auraient servi aux Zeuxis, aux Parrhasius, aux Apelle, les pompeux éloges qui leur sont donnés dans l’histoire, si le marbre n’avait fait passer jusqu’à nous quelques morceaux de sculpture du même temps, pour nous faire juger que le grand goût et la correction du dessein qui s’y trouve, était très apparemment commun aux peintres comme aux sculpteurs ? Sans cela, rien ne nous obligerait de regarder la peinture et la sculpture de ces temps éloignés que comme n’étant alors que dans leur enfance, et les louanges qui sont données à ces premiers maîtres que comme un transport officieux de gens qui n’auraient encore rien vu de plus beau.

Les preuves que Pline nous veut donner de leur habileté, dans le récit qu’il fait de la dispute des deux premiers de ces peintres, Zeuxis et Parrhasius, de même que de celle d’Apelle et de Protogène, ne seraient en effet guère capables de nous en faire naître une plus noble idée. Des raisins, un rideau, quelques lignes tracées sur une toile qui, selon ce qu’il en dit, marqueraient plutôt une subtilité de main qu’une production du génie, sont de trop petits objets pour nous faire valoir le mérite de ces grands hommes.

 

Du Bos, Jean-Baptiste, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture(publi: 1719) ( II, 38), p. 124- 125 (fran)

On ne saurait donc asseoir, sur les fragments de la peinture antique qui nous restent et qui sont les débris d’ouvrages faits dans Rome sous les empereurs, aucun jugement certain concernant le degré de perfection où les Grecs et les anciens Romains pourraient avoir porté ce bel art. [...] Il ne serait pas moins téméraire de décider la question sur ce que nos tableaux ne font point ces effets prodigieux que les tableaux des anciens peintres ont fait quelquefois; suivant les apparences, les récits des écrivains qui nous racontgent ces effets sont exagérés et nous ne savons pas même ce qu’il en faudrait rabattre pour les réduire à l’exacte vérité. Nous ignorons quelle part la nouveauté de l’art de la peinture peut avoir eue cans l’impression qu’on veut que certains tableaux aient faite sur les spectateurs. Les premiers tableaux, quoique grossiers, ont dû paraître des ouvrages divins. L’admiration pour un art naissant fait tomber aisément dans l’exagération ceux qui parlent de ses productions, et la tradition en recueillant ces récits outrés aime encore quelquefois à les rendre plus merveilleux qu’elle ne les a reçus. On trouve même dans les écrivains anciens des choses impossibles données pour vraies et des choses ordinaires traitées de prodiges. Savons-nous d’ailleurs quel effet auraient produit, sur des hommes aussi sensibles et aussi disposés à se passionner que l’étaient les compatriotes des anciens peintres de la Grèce, plusieurs tableaux de Raphaël, de Rubens et d’Annibal Carrache ?

 

Pascoli, Lione, Vite de’ pittori, scultori, ed architetti moderni(publi: 1730), "Vita di Salvator Rosa", p. 77-79 (italien)

[1] Emmi anche noto il fatto dell’uva dipinta da Zeusi, e del velo dipinto da Parrasio ; e fin dal primo momento, che mi giunse a notizia, lo conobbi per falso, e me ne risi. Nè mi dolse, che tali favolette soffero inventate da’ Greci ; perchè come essi furono maestri sublimi in ogni facoltà, vollero eziandio essere eccellenti autori di saporite, e d’ingegnose menzogne in ogni occasione. Dolsemi bensì, e ancor mi duole, che da voi, e da varii scrittori italiani, e latini sieno state credute ; e mi maraviglio, che diciate di non aver letti tai prodigii negli scrittori moderni, quando modernatamente non è mancato, chi ne sia andato di simiglianti inventando ; e mi maraviglio ancora, che non sappiate, che i volatili, come tutti quasi gli altri animali tratti sono per l’avidità del cibo, e degli altri appetiti dall’odorato, e non dalla vista. Gira la passera d’intorno al granajo ; e non vede il grano, che sta serrato. Cerca la colomba ne’ seminati, e non vede la veccia, che ricoperta fù dal bifolco. Razzola il pollo a lato al pagliaio, e non vede la pula che vi sta dentro. Gettasi ne’ querceti il germano, e non vede la ghianda, che v’è caduta ; perchè vi si getta ordinatamente di notte. Ma quando anche tirati fossero dalla vista, e non dall’odorato, dovuto avrebbero veder prima il putto maggiore dell’uva, e di quello aver paura, e non appressarvisi. E se me si dirà, che il putto dipinto non era con quella perfezione, con che dipinta era l’uva ; e non aver perciò potuto farlo comparire sì naturale, e sì vivo, che gl’ingannasse, che fu, come ho letto il dispiacere di Zeusi, risponderò subito, che avrebbero in simil caso dovuto aver timore della pittura, e del quadro ; perchè temono di qualunque cosa, che veggiono insolita. Non s’accosta il calderino al canapeto, ove dall’ortolano fu messa alcuna parruccaccia. Fugge il rigogolo dal fico, cui appeso fu dal vignajuolo un qualche straccio. Resta preservato il ciliegio da’ furti del merlo uscito dal nido, per riportare a’ figli l’imbeccata, se vi vede i rami neri, od in altro modo coloriti. Ora se non poterono gli uccelli privi dell’essenziale delle potenze per distinguere, e ben conoscere essere all’uva ingannati, molto meno ingannar si potè Zeusi ottimo conoscitore al velo, tanto maggiormente, che l’inganno seguir dovea non da lontano, ma di vicino sopra la stessa tavola, che si fingeva coperta dal velo. Oltre di che è anche naturale in casi tali d’andare per la curiosità prima di parlare al tatto, che fa tosto conoscere quella verità, che può occultare la vista. Son pittore ancor io, e sono il Rosa, e non ignoro ciocchè far si può col pennello ! Ma quando anche veri fossero i menzionati inganni, non mi pare, che recar possano a’ detti professori troppo gran loda ; dacchè questa deve nascere dalla perfetta imitazione delle cose animate d’anima ragionevole, e non delle materiali, e sensitive, per la differenza, che v’è tra un eccellente pittore di fiori, di frutti, e d’animali, da altro eccellente d’immagini umane, che merita tanto maggiore stima, quanto è più stimato del corpo lo spirito. Per altro so ancor io signor Abati, che tra le glorie del fortunato secolo dell’invitto domatore dell’oriente fa numero molto grande quella d’esservi abbondantemente fiorite le belle arti. Ma so ancora quanti a’ fatti veri di quel secolo abbiano gl’incredibili, e falsi pregiudicato. Tantocchè, se io non vedessi cogli occhi miei le loro statue, niente crederei delle pitture. E’ egli forse credibile, che dipigner si possano e’ tuoni, come è stato scritto, che si dipignevan da Apelle ? Che possa rappresentarsi un oggetto fiero, e pietoso, allegro, e mesto, altiero, ed umile in un medesimo tempo, come è stato scritto, che dipignesse il genio degli Ateniesi Parrasio ? Queste son cose signor Abati impossibili ! E se voi tralasciato avete di rammentarle, o perchè io non v’ho dato tempo, o perchè a voi non son note, ho voluto in ogni modo suggerirvele ; acciò possiate unirle all’altre, che testè rammentaste, per indurre in miglior occasione gli ascoltanti a uniformarsi al vostro giudizio ; giacchè, nè io, nè alcuno di questi insigni letterati che l’an sentite, vi concorrono, anzi lo disapprovano, e lo mettono in un con me, come ben vedete, in ridicolo.

Voir aussi :
  • [1] voir aussi Zeuxis et Parrhasios
 

Pascoli, Lione, Vite de’ pittori, scultori, ed architetti moderni(publi: 1730), « Vita di Salvator Rosa », p. 74 (italien)

  [1] E mentrecchè era un giorno in casa sua tutta la brigata, che secon anche pranzato aveva, prese esarruto l’Abati ad amplificare le maraviglie de’ pittori greci, e disse […] : « Che diremo delle celebrate sottilissime loro linee ? Deggiam pure credere, che come Apelle tirò la prima per far vedere a Protogene un portento di sottigliezza, ch’ella fosse sottilissima ? E pure divisa fu con altra più sottile, e di diverso colore da Protogene. E pure vinse Apelle la contesa, perché la divise colla terza più sottile, e d’altro colore della seconda, e della prima. Successe il fatto in casa di Protogene, quando mosso Apelle dalla fama del suo pennello, andò a Rodi per vederlo. Ebbe tanto applauso, e tanta stima questo quadro, che per venerazion delle linee niente altro vi fu da Protogene, che ne era padrone dipinto ; e portato poi in Roma, abbruciò nel primo incendio del palazzo Cesareo, ed in cotal guisa per commune sciagura con universal cordoglio, andò male questa opera portentosa. » Inquieto per quello mi si suppose, era già Salvator divenuto, e non potendo più a lungo soffrire il favellare dell’Abati, asterner non si potè dall’interromperlo, e dal rispondergli, e fu detto, che del seguente tenor rispondesse : « Nè voi, nè io dolcissimo signor Abati vedute abbiam queste linee, nè sò, come veder le potessero i Greci, che non avevano l’uso de’ microscropi, se ell’erano così sottili, e minute. E perciò com’io dal vostro soverchio esagerare, e dalla vostra femminea credulità, mi son sentito muovere la compassione, la noia, ed il riso, potreste voi a tempo più proprio riservare la meraviglia, il dolore, e le lagrime ; giacchè mi pare di vedervele spuntare dagli occhi, e che siate in proccinto di prendere il bruno, per dar segni più certi di vostra tristizia. Altre opere, che le linee di quetsi celebri professori si son perdute : perdessi l’Elena, si perdè il Megabizo, si perdè l’Anadiomene, si perdè il Gialiso, che costarono loro non i momenti, e l’ora, ma gli anni, ed i lustri, e nel mondo si è quasi in ogni tempo dipinto, ed in alcuno, non meno eccellentemente, che nel loro. […] Parlan pure in più d’un luogo l’istorie del famoso perfetto circolo fatto in un tratto di matitatojo da Giotto : e parlano similmente del dintorno dell’ignudo, che in altro simil tratto fatto fu da Michelangelo ; ed i Toscani, ed i Latini, e tutti gli altri assennati moderni, quantunque l’una, e l’altra operazione sia più maravigliosa, e che ambedue si sien perdute, non ne fan conto. Ed io che non pretendo d’entrar nel numero de’ professori più sublimi vi farò vedere signor Abati di cominciare dal piede d’una figura, e ricorrere senza staccar mai la mano per tutti i contorni del corpo » ; e preso il matitatojo gliele delineò di botto in sua presenza : « E se io, soggiunse, non sapessi far altro, povero Salvatore, esclamar vorrei, povero Rosa ! Di questa razza di bravura, non mi pregio, e non mi vanto ! Certo che ho letto, che Protogene dipigneva assai bene i volatili ; ma quando leggo, considero nel tempo stesso, e rifletto, se è credibile, e verisimile quel che leggo. Nè corro, come voi senza guida alla cieca, nè come voi guidar mi lascio dall’autorità degli scrittori alla balorda. Parvi egli credibile, che le pernici tra i volatili per natura i più rustichi, e più selvaggi, voglian cantare per vezzo, e per diletto alla palese, allorché ristrette sono o tra lacci, o nelle gabbie ? Se voi foste cacciator come poeta, non credereste tali frottole, e tali baje.

Voir aussi :
  • [1] voir aussi Apelle et Protogène
 

Caylus, Anne-Claude Philippe de Tubières, comte de, « Sur la manière et les moyens de l’éviter », Conférence lue à l’Académie royale de peinture et de sculpture le 2 septembre 1747(redac: 1747/09/02), p. 64-65 (fran)

L’Antiquité grecque nous rapporte des traits admirables à la louange des peintres qu’elle a produits. Je sais bien que plusieurs critiques ont accusé ces historiens et les autres auteurs anciens ou d’exagération, ou de n’avoir pas toujours su parler peinture. Ce n’est pas ici le lieu de prouver combien cette erreur peut être grande et mal fondée. Mais ce qui nous reste d’ouvrages des grands hommes de ces temps si justement révérés me fait croire qu’ils ont senti toute les parties et tous les rapports de l’expression.

 

Caylus, Anne-Claude Philippe de Tubières, comte de, « Réflexions sur quelques chapitres du XXXVe livre de Pline » (publi: 1759, redac: 1752:1753), p. 151 (fran)

Au reste, si je parois un peu plus critique dans ce Mémoire que dans celui que j’ai lû en 1747, je vous prie de penser que l’on commence toujours par être ébloui, et qu’un plus grand examen laisse enfin discerner des erreurs que la réputation d’un grand homme et la disposition de l’admirer ne voilent que trop ordinairement.

 

Caylus, Anne-Claude Philippe de Tubières, comte de, « Réflexions sur quelques chapitres du XXXVe livre de Pline » (publi: 1759, redac: 1752:1753), p. 154 (fran)

Pline a peut-être senti quelque difficulté sur l’origine de la peinture ; ainsi, pour l’éviter, il se rejette sur les progrès rapides qu’elle a pû faire, et j’avoue qu’en cela je ne suis pas de son sentiment. Ce n’est pas tout, il avance qu’il ne paroît pas qu’elle fût connue du temps de la guerre de Troie. Voyons ce qu’on peut opposer à cette opinion.

 

Caylus, Anne-Claude Philippe de Tubières, comte de, « Réflexions sur quelques chapitres du XXXVe livre de Pline » (publi: 1759, redac: 1752:1753), p. 156 (fran)

Malgré ces aveux, je crois que mes objections subsistent, et qu’elles suffisent au moins pour prouver que Pline n’a pas examiné avec assez l’exactitude le commencement et les progrès des arts. Mais sans pousser plus loin les réflexions sur l’antiquité et sur l’invention de la peinture, je vais continuer le développement des idées que cet auteur nous fournit, et la traduction de quelques-unes de ses expressions.

La succession et la marche que Pline donne à la peinture, en décrivant ses progrès, autorise ce que j’ai dit du desordre avec lequel il traite cette matière ; car les détails qu’il en rapporte, et la place qu’il leur attribue, ne peuvent être la route ni le chemin d’aucun art connu et pratiqué successivement dans un pays. Les premiers temps, l’enfance et la découverte de cet art nous sont indifférens, je l’ai déjà dit ; il nous suffit de savoir, même pour l’intelligence de l’ouvrage de Pline, que la peinture a paru dans tout son éclat l’espace de deux cens ans, depuis le temps de Périclès jusqu’au règne d’Antigonus, et de Démétrius Poliorcete son fils, et qu’aussi-tôt après elle a totalement dégénéré, au point qu’elle tomba dans une sécheresse de couleur, et une aridité de composition confirmées longtemps avant Pline. En un mot elle était devenue semblable à quelques malheureux restes que nous en voyons encore dans plusieurs ruines en Italie. Et par une destinée cruelle, aucun de ces fameux ouvrages dont Rome avoit dépouillé la Grèce, n’est venu jusqu’à nous. Les tableaux peints sur bois n’ayant pû résister, mes regrets ne tombent que sur les fresques, exécutées dans la suite à Rome par de bons artistes grecs.

On pourroit reprocher, en quelque façon, à Pline d’avoir fait des distinctions qui ne sont pas toûjours justes, et d’avoir attribué à des artistes l’invention de plusieurs choses, sans lesquelles les ouvrages dont il parle, comme d’un temps beaucoup plus reculé, n’auroient pu s’exécuter. Je ne vois qu’un moyen pour réparer ce dernier inconvénient ; c’est de ne point prendre à la lettre ces mots de primus invenit, et de ne pas regarder ces choses comme des découvertes, mais seulement d’accorder à ceux dont il parle, le mérite d’avoir excellé dans cette partie, ou de l’avoir perfectionnée.

 

Caylus, Anne-Claude Philippe de Tubières, comte de, « Réflexions sur quelques chapitres du XXXVe livre de Pline » (publi: 1759, redac: 1752:1753), p. 172 (fran)

En finissant cette première partie, je crois devoir dire l’impression que j’ai reçue de Pline, quant à la peinture. C’étoit constamment un très-bon citoyen, qui avoit employé son esprit et son bien pour l’utilité des hommes, et qui ne pouvant tout savoir, a profité avec raison des ouvrages de ceux qui l’avoient précédé, peut-être plus sur cette matière que sur les autres. Aussi je croirois volontiers qu’il n’a donné de son chef aucune définition de l’art, mais qu’il s’est échauffé sur les beaux endroits qu’on lui a présentés, ou qu’il a choisis par esprit ; et qu’enfin toutes les découvertes qu’il a attribuées à différens peintres, en disant Primus invenit, feroient croire qu’il a extrait, sans distinction, les ouvrages des élèves, ou des amis des maîtres, et qu’il n’a voulu rien perdre de ce qu’il avait rassemblé. C’est ainsi que doit en user celui qui ne connoissant pas parfaitement une matière, veut cependant être utile à ceux qui la connoîtront mieux. Il est plus avantageux qu’il recueille trop que trop peu. La connoissance seule admet les distinctions. Ainsi les bonnes choses, les médiocres, les inutiles sont toutes rapportées, et sans beaucoup d’ordre ; du moins c’est dans ce point de vûe que j’ai cru devoir examiner tout ce que Pline dit de la peinture.

 

Caylus, Anne-Claude Philippe de Tubières, comte de, « Réflexions sur quelques chapitres du XXXVe livre de Pline » (publi: 1759, redac: 1752:1753), p. 149-150 (fran)

Pline est peut-être l’auteur de l’Antiquité auquel nous avons le plus d’obligations ; ses recherches, les détails qu’il nous a conservés, les peines qu’il s’est données pour rassembler des éclaircissemens dans tout le monde connu de son temps, enfin l’universalité de ses sujets, sont autant d’articles qui méritent notre reconnoissance. Je ne déciderai point s’il est également lumineux dans toutes les parties qu’il a traitées ; la chose seroit difficile. Car indépendamment de la pente naturelle qui nous fait préférer tel objet d’étude à tel autre, un seul suffit pour occuper toute la vie, sans qu’on puisse encore s’assurer de l’avoir bien connu.

On peut regarder Pline comme étant plus physicien que connaisseur profond dans la partie des arts. Il a pû les aimer ; mais il les a vûs, pour ainsi dire, en qualité de citoyen de l’univers, et il les a présentés d’un côté avantageux pour les pays qui les ont accueillis. Les détails et les éloges, qui regardent le fond et la pratique de ces mêmes arts, ne sont, à mon avis, dans son ouvrage, que des extraits empruntés des auteurs grecs qui l’avoient précédé. Cette conjecture me paroît démontrée dans la suite de ce Mémoire. D’ailleurs le plan de son ouvrage, me confirme dans cette opinion. Il ne parle des statues de bronze qu’à l’occasion du cuivre, de la peinture qu’à la suite des matières qui composent les couleurs ; c’est à propos de la terre travaillée, ou de la poterie, qu’il traite de la plastique ; enfin il ne s’étend sur les grands sculpteurs de la Grèce, qu’après avoir examiné les différences espèces de marbre. Tous ceux qui l’auront lû avec attention conviendront qu’aucun de ces différens arts n’est l’objet particulier de son examen, et qu’il ne décrit l’usage que les hommes ont fait de ces différentes matières, que comme l’emploi de ces mêmes matières, et l’usage auquel elles ont été destinées. Cette façon de penser peut être examinée dans le détail de chaque partie ; elle autorise les réflexions contraires, et permet de ne pas recevoir aveuglément tout ce qu’il rapporte ; d’autant qu’il n’a donné ces mêmes détails dans l’objet immense qu’il a entrepris, que comme des fleurs capables d’enrichir une matière sèche, et plus encore de délasser son imagination. Voilà, je crois, les véritables motifs qui nous ont procuré les plus justes et les plus belles indications de l’accord, de l’harmonie, de la légèreté du pinceau, de l’air, et de tant d’autres parties que l’on admiroit dans les tableaux des Anciens. Plus on sera persuadé, en les méditant, que ces définitions n’ont pû être faites que par des artistes savans, plus on regrettera la perte des belles et solides instructions que les peintres grecs avoient écrites pour la postérité. Ce malheur, tout grand qu’il est, nous laisse cependant quelque consolation. Rassemblons tout ce qui nous en est demeuré ; joignons ce que Pline a semé dans son recueil en faveur des grandes parties de la peinture, aux grands morceaux de sculpture grecque, qui élèvent l’esprit et paroissent au-dessus de l’art, et nous aurons les beaux-arts de la Grèce. La peinture nous sera démontrée, d’un côté, avec toutes ses richesses et tous ses charmes, tandis que les beaux ouvrages de sculpture nous prouveront de l’autre, toutes les parties sur lesquelles Pline ne s’est point étendu. Tels sont le dessein, l’effet des muscles, le sentiment de la peau, la précision du trait, la beauté des caractères, la justesse de l’action, le balancement des parties, la simplicité, et par conséquent la grandeur des compositions, en un mot le sublime de cet art. Voilà de quoi nous consoler de nos pertes, si nous savons en profiter.

 

[Baillet de Saint-Julien, Louis-Guillaume], Lettre à Mr. Ch[ardin] sur les caractères en peinture(publi: 1753), p. 1-2 (fran)

[1] : Apelles ayant peint un jour une vieille Athénienne, et s’étant appliqué à mettre dans ce sujet toute l’expression et le caractère que la nature et son imagination pouvoient lui fournir, conçut en voyant son idée exécutée sur la toile un rire si subit et si immodéré, qu’il mourut, dit-on, devant son tableau d’une extinction de rate. L’historien qui rapporte ce fait est Pline, auteur trop crédule, qui a écrit fort gravement des mensonges très-frivoles. Ceci en a bien l’air, à juger de ces tems-là par le nôtre. Du moins est-il bien sûr qu’aucun peintre aujourd’hui ne s’expose aux mêmes risques qu’Apelles ; et que la partie des caractères est fort négligée.

Voir aussi :
  • [1] voir aussi Apelle mort de rire
 

La Nauze, abbé de, Mémoire sur la manière dont Pline a parlé de la peinture(publi: 1759, redac: 1753/03/20), p. 250-251 (fran)

Heureusement nous n’aurons plus à parler de M. Perrault dans la suite, parce que les quatre ou cinq passages de Pline, sur lesquels nous avons vû jusqu’ici les singulières interprétations du critique, sont les seuls témoignages de l’antiquité qu’il ait produits contre l’ancienne peinture. Il a dissimulé, avec un courage étonnant, les autres autorités nombreuses, claires, décisives, tant de Pline que du reste des anciens écrivains, et il s’est borné aux quatre ou cinq endroits cités, qui disant ce que disent tous les autres, mais le disant avec plus de précision et de délicatesse, lui ont paru par là susceptibles de quelque chicane, et propres à en imposer à des lecteurs peu instruits. Il avoit raison de vouloir proscrire l’usage des langues savantes ; tant qu’elles seront entendues, elles déposeront contre ses étranges prétentions.

 

La Nauze, abbé de, Mémoire sur la manière dont Pline a parlé de la peinture(publi: 1759, redac: 1753/03/20), p. 231-233 (fran)

Note marginale :
  • [1] Parallèle, t. I p. 200
  • [2] Abrégé de la vie des peintres. Vie de Protogène
  • [3] Vie de Zeuxis
  • [4] Cours de peint. p. 443

Les couleurs ne sont pas le seul point où Pline se soit peint comme physicien, dans son histoire de la peinture ; il sème encore, çà et là, plusieurs traits relatifs à l’histoire naturelle des animaux, en racontant comment ils avoient été trompés à la vûe de certains tableaux. L’objet ne paroît pas d’abord mériter l’attention des lecteurs, dont les uns traiteront ces faits de pure fable, et les autres de pure bagatelle ; cependant comme il n’y a rien de plus nuisible à la littérature que le mépris de ce que les anciens ont écrit, et rien de plus préjudiciable à l’histoire, que de vouloir juger de l’ancien temps par le nôtre, ces importantes considérations, et la nécessité de justifier la physique de Pline, demandent une réflexion sur la question présente. Sans la délicatesse de notre siècle, qui ne souffrirait jamais qu’on cherchât à faire illusion à des animaux, pour mettre un ouvrage de peinture à l’épreuve, peut-être que la tentative réussirait aujourd’hui comme autrefois ; et si l’on en veut croire M. Perrault [1], les peintres modernes ne le cèdent point aux anciens dans ce genre de succès. Il en rapporte plusieurs exemples du dernier siècle ; mais comme il n’en parle, ce semble, que pour pouvoir dire qu’un chardon de Le Brun, qui trompa un âne, valoit bien les raisins de Zeuxis, qui trompoient les oiseaux, il nous permettra de ne pas plus compter sur ses expériences que sur sa logique, et de nous en tenir au témoignage même de nos peintres modernes, qui ne veulent ici ni parallèle, ni conformité avec les anciens. Peut-être donc que la peinture en détrempe des anciens, moins luisante que la peinture à l’huile d’aujourd’hui, présentoit les objets d’une manière plus naturelle et plus séduisante. « Les anciens, dit M de Piles [2], avoient des vernis qui donnaient de la force à leurs couleurs brunes, et leur blanc était plus blanc que le nôtre, de sorte qu’ayant par ce moyen plus d’étendue de degrés de clair-obscur, ils pouvoient imiter certains objets avec plus de force et de vérité qu’on ne fait par le moyen de l’huile. » Aussi le même auteur a-t-il adopté sans difficulté, dans son abrégé de la vie des peintres [3], et dans le parallèle qu’il a fait de la peinture et de la poésie [4], le récit de Pline sur les animaux trompés par des peintres. Et comment nier ces sortes de faits, quand des écrivains les attestent positivement, que les exemples en sont variés et répétés, car Pline ne les rapporte pas tous, qu’ils ne renferment rien d’impossible, et que ces effets de l’ancienne peinture sont même beaucoup moins surprenans que ceux de l’ancienne musique ou de l’ancienne méchanique, dont il ne nous est pourtant pas permis de douter ? Des présomptions vagues contre l’Antiquité ne seront point admises, dans un siècle surtout équitable et éclairé, où d’anciennes découvertes, qu’on regardoit comme chimériques, se renouvellent chaque jour ; et si les savants modernes, à qui nous en sommes redevables, avoient écouté je ne sais quels préjugés préférablement à l’autorité de l’histoire, ils auroient acquis moins de gloire, et moins contribué à celle des arts. Ces réflexions sur les égards dus au témoignage des anciens historiens sont de la dernière importance en tout genre de littérature, quoique l’occasion qui les fait naître puisse paroître mince et frivole.

 

La Nauze, abbé de, Mémoire sur la manière dont Pline a parlé de la peinture(publi: 1759, redac: 1753/03/20), p. 234-235 (fran)

Amateur et connoisseur, il parle de la peinture en homme qui l’aime et qui en sent les beautés et les défauts, en homme à qui elle plaît, et qui en connoît la raison. C’est ce qui paroît manifestement par une foule de traits de lumière et de feu qu’il ne cesse de répandre, et qui, pour la force des idées, pour la délicatesse du sentiment, pour la noblesse et pour la précision du style, pour le tour de phrase singulier à cet auteur, sont tout-à-fait pareils à mille et mille traits qu’il emploie ailleurs, toutes les fois qu’affecté et instruit lui-même le premier, il tâche d’affecter et d’instruire les autres. Le dessein, la beauté des contours, la distribution des lumières et des ombres, le coloris, l’expression, l’invention, l’ordonnance, la justesse des proportions, le relief des figures, la perspective et le raccourci, le choix des attitudes, les finesses et les ressources d’esprit, le savoir et l’érudition, la manière de chaque peintre, les différens genres de peinture, rien ne se dérobe à la sagacité de ses recherches et à la finesse de son goût. Suivons tous ces différens articles.

 

La Nauze, abbé de, Mémoire sur la manière dont Pline a parlé de la peinture(publi: 1759, redac: 1753/03/20), p. 215 (fran)

L’objet de ce mémoire est de prouver que Pline, en traitant de la peinture au livre XXXVe de son histoire naturelle, s’y est peint lui-même comme philosophe et citoyen, comme physicien et naturaliste, comme amateur et connoisseur, comme historien et chronologiste. On trouvera sans doute un grand nombre de lecteurs qui l’auroient dispensé de remplir à la fois les quatre rôles. […] C’est aussi là ce qui va faire la division naturelle de ce Mémoire en quatre parties : la partie philosophique, la partie physique, la partie pittoresque et la partie historique, les unes et les autres mêlées continuellement ensemble dans le récit de Pline.

 

La Nauze, abbé de, Mémoire sur la manière dont Pline a parlé de la peinture(publi: 1759, redac: 1753/03/20), p. 226 (fran)

Après l’extrait qu’on vient de voir des remarques de Pline sur la peinture, extrait dont il est fort aisé de vérifier la fidélité par la confrontation du texte, il n’y a personne qui ne soit en état de décider si, en mauvais compilateur qui ne veut rien perdre de ses collections, il a ici entassé les siennes sans ordre, sans discernement et sans choix ; ou bien, s’il a traité son sujet en écrivain méthodique : mais je ne m’aperçois pas que je lui fais injure de mettre seulement le fait en question. On ne dira pas non plus que le zèle pour les mœurs et l’amour de la patrie qui éclatent à chaque instant dans tout le reste de son ouvrage, se soient démentis dans ce morceau particulier : tout y est animé par ces deux puissans ressorts qui font agir les cœurs vertueux ; il s’y est donc peint lui-même comme philosophe et comme citoyen. 

 

La Nauze, abbé de, Mémoire sur la manière dont Pline a parlé de la peinture(publi: 1759, redac: 1753/03/20), p. 256 (fran)

Il ne me reste plus guère qu’une remarque à faire en général sur les traits d’éloge que l’auteur a prodigués, et qui en manifestant le zèle de l’amateur, pourroient nous laisser dans l’esprit quelque nuage sur l’intelligence du connoisseur. Véritablement, les louanges redoublées qu’il donne aux artistes grecs, vont quelquefois jusqu’à déconcerter les gens de l’art, et les personnes exactes et curieuses qui voudroient peser aujourd’hui, la balance à la main, le mérite de chacun des peintres de l’antiquité. On désireroit donc qu’il en eût dit également et le bien et le mal. Mais son objet n’étoit pas un pareil jugement critique, et pour n’avoir pas toûjours dit le mal, il n’en est pas moins croyable sur le bien. Il faisoit à peu près comme Apelle, qui sans s’écarter du vrai s’attachoit au beau, et qui sans jamais abandonner la Nature, n’en copioit pourtant que ce qu’elle avoit de noble et de gracieux. C’est précisément par là que les peintres de l’antiquité, et Pline leur historien, ou, si l’on veut, leur panégyriste, mériteront à jamais l’approbation de tous les siècles. Quel devoit être, et quel étoit en effet le dessein de Pline ? d’inspirer aux Romains de l’estime et du goût pour les arts, le seul endroit par où Rome avoit toûjours dédaigné de se mesurer avec la Grèce. Plus éclairé donc sur ce qui pouvoit faire l’avantage de ses citoyens, et plus zélé pour eux qu’ils ne l’étoient eux-mêmes, il a dû présenter l’art de la peinture du côté le plus flatteur, le plus digne de leur émulation, et louer les talens des peintres grecs, plustôt que de leur reprocher des défauts. Assez d’autres avant lui avoient écrit l’histoire des peintres, et donné des traités didactiques de peinture ; on avoit sous la main leurs ouvrages, et l’art n’en étoit pas moins sur le penchant de sa ruine : il tâche de le relever par une nouvelle méthode, en faisant admirer les anciens artistes ; sa réserve à les critiquer ne peut donc point être imputée à un défaut de lumières.

Le soin qu’il a de nommer les écrivains où il a puisé ses recherches sur la peinture, ne doit pas non plus fonder contre lui un chef d’accusation, comme s’il n’avoit fait que les transcrire sans entendre la matière. Les beaux endroits om il parle comme auroit pû faire un maître de l’art, sont tous rendus dans le tour de phrase qui caractérise Pline, quand il saisit bien une idée, et qu’il en est vivement frappé ; s’il en a tiré le fond d’ailleurs, il l’a donc fait en homme intelligent, en écrivain supérieur, qui se rend propre ce qu’il emprunte. Quand même il auroît copié, ce qui n’est pas, les écrits des artistes, comme il a quelquefois copié dans Théophraste et dans Dioscoride certaines descriptions de plantes, qui exigeoient une version simple et littérale, les règles de la critique et les loix de l’équité demanderoient qu’on supposât au moins dans l’un comme dans l’autre cas, qu’il a entendu ce qu’il écrivoit : de plus, la bonté seule du choix y décéleroit encore alors suffisamment la main de maître. N’a-t-il pas même fait des remarques de connoisseur, qui ne sauroient avoir été copiées, ni même empruntées d’aucun auteur précédent ? Il dit, par exemple, à l’occasion de Pinus et de Priscus, que ce dernier approchoit plus du goût des Anciens ; il le dit à l’inspection des ouvrages qu’ils faisoient l’un et l’autre par ordre de l’empereur Vespasien, et il écrivoit son Histoire Naturelle sous le même règne, dont la durée ne fut que de dix ans. Il est donc manifeste que le jugement qu’il portoit, et qui par sa nature demandoit de grandes lumières, étoit fondé sur les pièces de comparaison qu’il avoit devant les yeux, et non sur les collections qu’il avoit faites de ce qui avoit été autrefois écrit sur la peinture.

Après tant de titre de toute espèce qui lui adjugent la qualité de connoisseur, il faudroit, pour la lui contester, qu’il lui eût échappé des inepties bien marquées, et des contradictions bien grossières : c’est ce qu’on ne voit point. Et il est vrai qu’avec un génie rare et un goût exquis, avec les circonstances favorables qui le mettoient dans Rome à portée d’un nombre prodigieux d’écrits et de tableaux des plus grands peintres, il a pû beaucoup plus aisément que personne, joindre la connoissance de la peinture à toutes les autres dont il avoit l’esprit enrichi ; avec cette différence que les connoissances de l’Histoire Naturelle étant d’un détail infini, qu’il ne lui étoit pas le plus souvent possible de vérifier, il a été quelquefois trompé par le rapport d’autrui ; au lieu qu’ayant connu la peinture par lui-même, il n’a, ce semble, rien avancé où l’on puisse le convaincre d’un défaut d’intelligence dans la théorie de l’art.

 

Pernety, Antoine-Joseph, Dictionnaire portatif de peinture, sculpture et gravure avec un traité pratique des différentes manières de peindre dont la théorie est développée dans les articles qui en sont susceptibles. Ouvrage utile aux artistes, aux élèves et aux amateurs par Dom Antoine-Joseph Pernety(publi: 1756), « Traité pratique des différentes manières de peindre », p. xvi (fran)

Je pourrois rapporter une infinité d’autres exemples de l’estime qu’on a fait de la peinture dans l’antiquité. Mais je renvoye au livre 35 de l’Histoire Naturelle de Pline, où cet auteur parle de cet art avec tant de goût, de sentiment et d’esprit, qu’on pourroit le regarder en un sens comme un des plus beaux poëmes qu’on ait jamais fait en son honneur.

 

Jaucourt, Louis de, Encyclopédie, art. « Vérone »(publi: 1765)(fran)

De tous les écrits de Pline l’ancien, il ne nous reste que son histoire naturelle, ouvrage immense par son objet, et par son exécution ; mais l’auteur est encore plus estimable par la beauté de son esprit, par sa manière de penser grande & forte, & par les traits lumineux qui brillent dans cet ouvrage. Le coloris de son pinceau ne passera jamais dans aucune traduction. Cependant la destinée de ce grand écrivain, est que tout le monde l’admire, & que personne n’ajoute foi à ses récits ; mais pour le justifier en deux mots, il n’a eu aucun intérêt à s’abuser lui-même, & à tromper son siècle, ni les siècles suivants. J’ajoute qu’on découvre tous les jours des faits que l’on regardait dans ses écrits comme d’agréables imaginations qu’il avait rapportées tout-au-plus sur la foi de gens auxquels il avait trop déféré. L’édition que le P. Hardouin a donnée de ce bel ouvrage, est le fruit d’un grand travail, d’un don de conjectures souvent heureux, d’une lecture prodigieuse, et d’une fidélité de mémoire surprenante.

 

Diderot, Denis ; Falconet, Étienne, Le Pour et le contre. Pline et les anciens auteurs qui ont parlé de peinture et de sculpture(publi: 1958, redac: 1766-1773), Lettre de Falconet à Diderot, 6 mars 1766, p. 117-124 (fran)

Enfin, je suis arrivé à Pline ; c’est ici qu’il faut parler net. J’ai dit que Pline était un petit radoteur dans quelques-uns de ses jugements sur la peinture et la sculpture. Pour châtier ce crime énorme, vous m’accablez d’interrogations savantes et humiliantes. Je les réduis toutes à celles-ci : l’avez-vous visité chez lui ? C’est ce que vous allez voir : lisez.

Apelle peignit un Hercule vu par le dos, et dont on voyait le visage, ce qui est fort difficile à faire. Quod est difficilimum. La candeur de ce difficilimum ferait bien rire les enfants qui vont dans un Salon. Si le dos et le visage se présentaient géométralement, c’était une infamie. Si l’un et l’autre étaient de trois quarts, il n’y avait rien de difficile.

Le même Apelle peignit un cheval si bien que les chevaux qu’il avait pris pour juges, hennissaient devant son tableau et ne regardaient seulement pas ceux de ses concurrents. Depuis ce temps-là on a toujours fait la même expérience. Idque postea semper illius experimentum artis ostentatur. Le même peignit les éclairs, le tonnerre, la foudre et c’est ce qu’il n’est pas possible de peindre. Pinxit et quae pingi non possunt. Vous m’avouerez que voilà un pingi non possunt bien bourgeois pour un connaisseur, un appréciateur, un homme en un mot qui se charge d’instruire la postérité ; aussi la postérité s’en rapporte-t-elle à lui à proportion du discernement qu’elle lui trouve.

Protogène pour conserver son fameux tableau de Ialyse, le couvrit de quatre couches de couleurs, parce que la première venant à tomber, la seconde lui succédait, ainsi jusqu’à la dernière. huic picturae quater colorem induxit ceu tria subsidia iniuriae et vetustatis, ut decedente superiore inferior succederet. Mais l’écume du chien de Ialyse faite par dépit d’un coup d’éponge, avait-elle les quatre couches ? Est-on connaisseur quand on va ramassant ainsi les propos des rues, qu’on parle de peinture avec aussi peu de jugement ?

Amulius célèbre sous Néron, sous Néron, entendez-vous ? peignit une Minerve qui regardait le spectateur de quelque côté qu’il se mît. Spectantem aspectans, quacumque aspiceretur. (XXXV, 10). Sous Néron la peinture et les connaisseurs en étaient là ! À la fin du siècle d’Auguste, Pline en était là, mais la barbarie dans les arts était-elle déjà si avancée ?

Claudius Pulcher fit construire pour des jeux publics un théâtre dont le toit était si bien peint que les corbeaux trompés par la ressemblance, y volaient, croyant que c’étaient des tuiles. Corvi decepti imagine advolarent (XXXV, 4). Il est si aisé de faire illusion dans de pareilles bagatelles, qu’on ne gagnerait rien à les montrer à la foire. D’ailleurs ce toit était ou de bois ou de toile ; pourquoi les corbeaux ne s’y seraient-ils pas posés ? Ou bien voulez-vous que les corbeaux de ce temps-là fussent assez familiers pour venir se poser dans l’intérieur d’un théâtre, sur des décorations peintes en tuile ? Pline qui savait sa langue, eût dit devolarent au lieu de advolarent. Je crois donc qu’il a entendu que ces corbeaux se posaient sur le haut de l’édifice.

Praxitèle disait que le modèle était la mère de la sculpture, de la gravure, de la ciselure, et comme il possédait ces talents au premier degré, il n’exécutait jamais aucun ouvrage qu’il n’en eût fait le modèle avant ; plasticem matrem statuariae, sculpturaeque et coelaturae esse dixit, et cum esset in omnibus his summus, nihil nunquam fecit antequam finxit (XXXV, 12). Qu’une figure de marbre ou de bronze ne se puisse faire sans un modèle, c’est une de ces vérités dont l’affirmation jette un ridicule sur celui qui, pour y donner du poids, produit une autorité ; d’ailleurs à cause que Pasitèle excellait dans la sculpture, la gravure et la ciselure, il faisait un modèle avant d’exécuter ses ouvrages. Eh, mon cher Pline, dites-moi, je vous prie, s’il eût moins excellé, eût-il eu moins besoin de modèle pour conduire sa figure de marbre ou pour faire celle de bronze ?

Canachus fit un cerf dont les pieds de devant posaient sur la pointe, et ceux de derrière sur le talon afin de s’affermir pour se lancer. Ut a repulsu per vices resiliat. (XXXIV, 8) Observation mince ; surtout quand on ne dit pas si l’ouvrage est bon ailleurs.

Myrmecide fit un char à quatre chevaux et le cocher si petit qu’une mouche le couvrait de son aile. C’était sans doute une grosse mouche. Callicratès faisait des fourmis si petites qu’il n’était pas possible d’en voir les pieds et les autres membres. Pourquoi donc les faire, il n’y avait pas encore de lunettes ? Sunt et in parvis marmoreis famam consecuti Myrmicides, cujus quadrigam cum agitatore cooperuit alis musca etc. Callicarates cujus formicarum pedes atque alia membra pervidere non est (XXXV, 5). Si Pline eût écrit qu’une Vestale s’occupait dans son cloître à ces productions stériles, nous eussions dit avec le sage, nihil sub sole novum.

Euphranor fit si bien un Pâris qui ravit Hélène, qu’on y reconnaissait le juge des déesses, le meurtrier d’Achille et l’amant d’Hélène. Quod omnia simul intelligantur, judex dearum, amator Helenae et tamen Achillis interfector (XXXIV, 8) Je le crois bien, Hélène était dans ses bras ; s’il tenait une pomme et une flèche, les trois reconnaissances étaient aisées.

Myron ce sculpteur fameux qui mit en réputation les poètes qui célébrèrent sa vache, Myron ne savait pas exprimer les passions. Animi sensus non expressisse (XXXIV, 8) C’était la faute de son siècle, sans doute. Ce n’est pas que tous les siècles n’aient leurs Myron ; mais nous ne connaissons pas de réputations modernes faites pour les avoir célébrés. Convenez aussi que dans ces temps heureux, on avait de belles réputations à bon marché ; cette denrée est un peu renchérie.  Celui par exemple qui avait la réputation de grand physicien pourrait être écouté aujourd’hui au bout du Pont-Neuf.

S’il était vrai qu’un Jupiter des bosquets de Versailles fût de Myron, comme le croit Montfaucon, Pline aurait loué bien platement un des plus grands sculpteurs. Myron, dit-il, fut le premier  qui variât les attitudes ; petit mérite. Il observait mieux les proportions que Polyclète. Affaire de calcul aisé. Il négligeait les cheveux et les autres poils, et les faisait comme la grossière antiquité. C’est ne pas savoir sortir du bloc. Si ce Jupiter est de Myron, il n’est guère possible de dire plus de sottises en moins de mots. Cette statue qui n’est plus qu’un terme et qui n’a plus que la tête est recommandable, exprime supérieurement la majestueuse sérénité du père des dieux et des hommes. Les formes en sont simples, les traits grands et fins, le travail des cheveux et de la barbe est d’une singulière légèreté. Il faut bien pour l’honneur de Pline que cette tête ne soit pas de Myron.

Polygnote fut le premier qui illustra son art, en faisant ouvrir la bouche et montrer les dents à ses personnages. Eumanus distingua les sexes. Cimon son élève trouva le moyen de varier ses figures et ses têtes. Il fut aussi le premier qui distingua les articulations des membres, qui marqua les veines et qui inventa de faire des plis aux vêtements, c’est ainsi qu’il se rendit célèbre. Car vous noterez qu’avant de parler de peinture, Pine dit, je vais à présent parcourir en abrégé les peintres célèbres. En un mot la peinture était si parfaite trois cents ans avant notre ère, que Pausias fut admiré pour avoir peint un bœuf en raccourci.

Celui qui fit la première horloge de bois, bien grossière et bien imparfaite, était un homme de génie. Le modèle de sa machine était dans son entendement. Mais celui qui peignit ou sculpta une figure humaine sans articulations et sans muscles, quoi qu’il en eût tant de modèles sous les yeux, était une manœuvre ignoble fort au-dessous de nos faiseurs d’ecce homo de village ; et celui qui le premier marqua les articulations était un homme des plus ordinaires, puisqu’il ne représentait les articulations qu’il voyait que par le moyen des articulations qu’il avait lui-même. Pour ses admirateurs, je ne saurais trop les admirer. Ah ! Quand le génie s’en mêla, qu’il fallut imaginer des effets et des situations, ce fut autre chose : le premier compositeur était un homme.

Vous me rapportez un éloge général que Pline fait des artistes dont la mort a interrompu les ouvrages. Vous me demandez si je sens bien la finesse, le coulant, la délicatesse de ces expressions. In lenocinio commendationis dolor est, manus, cum id agerent exstinctae desiderantur. Je ne m’aviserai pas de les traduire, vous m’avez fait une trop grosse peur ; je m’en tiens à savoir qu’elles signifient à peu près que le charme de ces ouvrages imparfaits est une recommandation douloureuse qui en fait d’autant plus regretter les auteurs les mots de Pline et sa pensée ont toute l’énergie, le coulant et la finesse imaginables ; mais que cela fait-il à mon objet ? Qui est-ce qui a dit que Pline n’est pas éloquent ? En vérité vous me faites là une tracasserie bien originale. Je vous ai dit qu’il lui arrivait de juger fort mal de la peinture et de la sculpture. Je le dis encore, je fais mieux, je le prouve, et ne vous confie pas cette rare découverte à l’oreille : elle est dans Pline, chacun peut l’y voir. Je dis, il connaît mal la sculpture ; vous répondez, il parle bien sa langue.

Si je sortais du cercle de ma sphère, je vous montrerais que Pine tout grand homme qu’il est, touche à terre par un bout comme les plus petits, je vous parlerais de l’herbe venue sur la tête d’une statue, qui apaise le mal de tête si on la cueille la main enveloppée d’étoffe et qu’on l’attache à son col avec du fil rouge. Je vous demanderais votre avis sur le jejunus jununio medicamentando, qu’il faut dire trois fois sur un malade en lui administrant un remède ; dans un ouvrage aussi sérieux que celui de Pline, dans une Encyclopédie si on rapporte des sottises populaires, c’est en les traitant comme elles le méritent. C’est ce que Pline n’a pas toujours fait, à beaucoup près. Je vous demande bien pardon, si je me fourre parmi ceux qui ont convaincu l’historien naturaliste des plus grosses bévues, mais si je vous disais encore que le siècle de Pline se ressent par endroits de la vieillesse du siècle d’Auguste, qu’il a écrit, operum claritatibus, pour opera clariora ; operum nobilitates, pour nobiliora opera ; claritates colorum pour colores clariores ; fecunditates pour fecunditas, etc. vous me répondriez fort à propos, l’ami, vous trouverez aussi dans Pline ces quatre mots-ci sur lesquels je vous invite à exercer vos réflexions, ne supra crepidam judicares (XXXV, 10). Je me tais ; Pline aurait dû en faire autant quelquefois. Mais non, je ne veux pas encore me taire ; je veux vous dire avant, que je suis honteux pour quelques artistes grecs de la manière dont ils ont été appréciés. Oui, je suis honteux pour Apelle, que son Hercule soit gauchement loué. Je suis honteux pour la Minerve d’Amulius, pour l’homme de Polygnote, pour le cerf de Canacus, pour le Pâris d’Euphranor et pour tant d’autres que je ne vous ai pas nommés. Pline a parlé de la peinture et de la sculpture en homme d’esprit, même en amateur, mais point en connaisseur. Eh bien ! Pline a dit, Le Laocoon est préférable à tous les ouvrages de peinture et de sculpture. Quel effort ! C’est à peu près, comme si on disait, l’Iliade est préférable à tous les poèmes épiques, quand tous les petits garçons de l’univers ont répété cet éloge si commun et si froid.

Quoi ! Pline s’amuse à faire bien au long le petit conte des raisins et du rideau, de Zeuxis et de Parrhasius, il a la même complaisance pour les deux lignes tirées sur une table d’attente par Apelle à Protogène, sans pourtant nous apprendre si ces lignes représentaient ou non quelques objets de la nature. Il croit en bonne et franche nourrice, que des chevaux jugeaient bien un concours de peinture, et le grand homme qui se complaît à ces niaiseries nous dit en courant que le Laocoon et préférable aux autres ouvrages. Un plus petit homme, mais plus connaisseur, eût dit que la douleur du malheureux père et celle des enfants passent dans l’âme du spectateur ; que la contraction, les ressentiments, les mouvements de toutes les parties qui concourent à l’expression totale, la hardiesse du travail, la vie en un mot caractérisent cet ouvrage effrayant, au point que le spectateur ne voit plus le marbre, il voit dévorer trois malheureux.

Oui, sans doute Pline a loué quelquefois platement des ouvrages, peut-être sublimes, comme vous l’avouez ironiquement et comme je le crois fort sérieusement. Il a loué aussi, comme je voudrais mérité de l’être, de prétendues beautés que nous laissons aux Boulevards et au pont Notre-Dame. Je n’ai pas dit : il écrit mal ; je dis, il juge mal de deux arts qu’il ne connaissait pas. Je n’ai relevé des erreurs de Pline que ce qui suffit à ma preuve ; j’en reste là : si je voulais l’éplucher, vous auriez beau jeu… Eh bien ! Dites-vous, Pline n’a pas connu les beautés des arts… C’est Voltaire qui ne se connaît ni en architecture, ni en sculpture, ni en peinture, mais qui transmet à la postérité le sentiment de son siècle ; c’est leur projet à tous deux ; mais pour le remplir, il faut discerner la voix du siècle d’avec les décisions éphémères des petites sociétés. C’est ce que Voltaire n’a pas fait. Je vous assure, ce n’est donc point le sentiment de son siècle qu’il transmet à la postérité.

 

Diderot, Denis ; Falconet, Étienne, Le Pour et le contre. Pline et les anciens auteurs qui ont parlé de peinture et de sculpture(publi: 1958, redac: 1766-1773), Lettre de Falconet à Diderot, 10 mai 1766, p. 171 (fran)

Je n’ai pas lu Pline avec l’intention d’en faire la critique. Je n’ai pas la première des connaissances qu’il faut pour juger l’histoire du monde ; je les crois rares dans une seule tête. Mais Pline a souvent dit des choses à la porté des gens qui n’ont que le sens commun ; celles-là pourraient bien être de mon ressort. En voici vingt ou trente recueillies avec soin, c’est-à-dire tant que j’en ai eu la force ; car voyant les misères se multiplier à mesure que je lisais, j’ai fermé le livre, et j’ai dit, c’est assez[Note contexte].

 

Diderot, Denis ; Falconet, Étienne, Le Pour et le contre. Pline et les anciens auteurs qui ont parlé de peinture et de sculpture(publi: 1958, redac: 1766-1773), Lettre de Falconet à Diderot, 25 février 1766, p. 114 (fran)

Quand vous lisez Pausanias, vous voyez qu’il décrit en voyageur exact, sans doute un historien fidèle ; mais voyez-vous qu’il parle jamais en connaisseur, même en amateur ? Il est tout entier aux ornements riches, aux métaux précieux, il ne s’occupe ni d’expression, ni de dessin, ni d’étude, ni d’action, ni de coloris, ni d’effet. Il ne dit rien qui laisse soupçonner la moindre connaissance des beaux-arts. J’imagine voir le sacristain d’un trésor, une date et un trait d’histoire au bout de sa baguette ; mais point de jugement. Pausanias est un trésor où vous ne trouverez pas les beautés d’un tableau ou d’une statue. Pourquoi cette sortie sur un écrivain généralement admiré ? Pour vous démontrer que son éloge du Jupiter olympien ne retombe que sur le faste accessoire, et non sur la beauté propre de la statue ; pour vous tranquilliser sur mon sort et vous assurer que ma tête est à l’abri, tout autant que celle qui touchait aux voûtes ; pour vous détromper de la croyance où vous êtes que les écrivains supérieurs ont transmis à la postérité le sentiment de siècle sur la peinture et la sculpture. Souvent ils n’en transmettent rien, comme Pausanias. Souvent ils transmettent des bavardages, comme Pline qui compilait sans choix et quelquefois sans connaissance. Ils ne sont pas les seuls qui aient déposé dans leurs écrits l’ignorance des deux arts. Voulez-vous un ancien bien sûr ? Laissez Pline et Pausanias ; commencez le chapitre X du livre XII de Quintilien ; il n’a écrit qu’une page sur les peintres et les sculpteurs anciens. Mais elle est si judicieuse qu’elle dispense des extraits de Pline et de la liste de Pausanias.

 

Diderot, Denis ; Falconet, Étienne, Le Pour et le contre. Pline et les anciens auteurs qui ont parlé de peinture et de sculpture(publi: 1958, redac: 1766-1773), Lettre de Falconet à Diderot, 25 février 1766, p. 110 (fran)

Vous me dites que l’Hercule de Glycon et le Gladiateur d’Agasias témoignent pour Apelle et pour Phidias. Je suis tout aussi porté que vous à le croire ; mais quand je lis des sornettes sur le compte d’Apelle et que je vois de mauvaises sculptures signées Phidias, Praxitèle ou Lysippe, ces témoignages faiblissent beaucoup; quand un Aristide contemporain d’Apelle est reconnu pour le premier qui peignit les passions et les expressions, is omnium primus animum pinxit et sensus omnes expressit (Pline, XXXV, 10), je dis, ces peintres furent excessivement loués, parce qu’ils étaient les plus habiles de leur siècle ; mais leur siècle était l’enfance de la peinture et de la sculpture, ainsi que de tant d’autres arts et sciences.

 

Diderot, Denis ; Falconet, Étienne, Le Pour et le contre. Pline et les anciens auteurs qui ont parlé de peinture et de sculpture(publi: 1958, redac: 1766-1773), Lettre de Diderot à Falconet, 16 février 1766, p. 90-91 (fran)

Je ne sais si Pline est un petit radoteur ; mais il est sage à vous de n’avoir confié cette sage découverte qu’à l’oreille de votre ami. Connaissez-vous bien ce Pline dont vous parlez si lestement ? L’avez-vous visité chez lui ? Savez-vous que c’est l’homme du plus profond savoir, et du plus grand goût ? Savez-vous que le mérite de le bien sentir est un mérite rare ? Savez-vous qu’il n’y a que Tacite et Pline sur la même ligne ? Voici comment le petit radoteur parle des artistes que la mort a surpris au milieu de leur ouvrage : In lenocinio commendationis dolor est, manus cum id agerent exstinctae desiderantur. Êtes-vous bien sûr de sentir toute la délicatesse de cette ligne ? Vous doutez-vous que le coulant de certains contours n’est pas plus difficile à bien saisir que celui de cette expression ? Il y a dans son ouvrage mille endroits de cette finesse. Mon ami, je vous souhaite un Pline ; mais songez, Falconet, que s’il a fallu vous attendre des siècles, il se passera des siècles avant que le panégyriste, l’égal de Pline soit venu.

Si vous êtes honteux pour les artistes de la Grèce de la manière dont ils ont été appréciés par l’historien latin, vous êtes le plus malheureux mortel qui soit sous le ciel. Vous ne serez jamais mieux célébré ni par aucun de vos contemporains, ni par aucun de vos neveux. Moi qui me mêle quelquefois de parler des productions des arts, je ne sais si je vous contenterais ; mais je serais assez content de moi, si j’avais su dire d’un de vos morceaux, comme il a dit du Laocoon, opus omnibus et picturae et statuariae artis praeferendum. Le beau tableau !

Si vous n’avez lu que Dupinet et Caylus, vous connaissez Dupinet et Caylus, mais vous ne connaissez pas Pline. Relisez bien le passage que je vous en ai cité, et soyez sûr qu’il y a là une musique si fine que fort peu d’oreilles l’ont sentie, mais laissez pour un moment la musique de Pline, et hâtez-vous de lire ce qui suit.

Pline n’a pas connu les beautés des arts, je le veux ; il a loué platement des ouvrages sublimes, j’y consens, ce n’est pas ainsi que l’homme du métier en aurait parlé, je le crois. Mais Pline qui était un grand homme, qui respectait son siècle, qui respectait la vérité, aurait-il parlé honorablement de ces artistes s’ils n’avaient eu avec son suffrage, celui des âges antérieurs et du sien ? C’est un historien qui écrit mal, mais qui dit vrai ; c’est Voltaire qui ne se connaît ni en architecture, ni en sculpture, ni en peinture, mais qui transmet à la postérité le sentiment de son siècle, sur Perrault, Le Sueur et Puget.

 

Diderot, Denis ; Falconet, Étienne, Le Pour et le contre. Pline et les anciens auteurs qui ont parlé de peinture et de sculpture(publi: 1958, redac: 1766-1773), Lettre de Falconet à Diderot, 15 janvier 1766, p. 62-63 (fran)

Cela posé, je vous demande si nous voyions de mauvais ouvrages de Phidias, d’Apelle ou de tel autre, croirions-nous bien fermement aux éloges qui sont dans Pausanias et dans Pline ? Notre foi serait au moins diminuée, si elle n’était entièrement détruite. J’en suis fâché pour vos lignes ; elles feraient tout aussi peu de croyants, si nos bons ouvrages périssaient et que les mauvais restassent. Quand je pense aux groupes qui sont à Monte Cavallo, l’un de Phidias et l’autre de Praxitèle, j’ai bien envie de croire qu’alors, comme aujourd’hui, les circonstances faisaient des réputations presque autant que le talent. Quand le nom précieux d’Agasias fils de Dosithée n’est écrit qu’au bas du Gladiateur, je me confirme dans mon opinion ; quelles lignes contemporaines en ont parlé ? Où sont-elles ? Il y avait mille à parier contre un, que cette statue devait être anéantie comme tant d’autres ; par grand hasard elle s’est conservée. Ainsi la postérité pour Agasias est solidement établie sur un hasard. Notez que cet Agasias dont on n’a rien dit, pourrait bien être supérieur à Phidias tant célébré, surtout pour avoir fait un Jupiter assis, dont la tête touchait aux voûtes du temple d’Olympie. Puis fiez-vous aux lignes qui passent à la postérité ! Ô mon ami, si vous saviez comme un peintre et un sculpteur le savent, quelles puérilités on nous vante avec emphase, si je vous démontrais combien Pline est un petit radoteur, vous diriez que j’ai raison de ne pas désirer ma part d’un éloge où tout est ridiculement confondu. Si j’avais la maladie de la postérité, la pensée que nous aurons des Plines m’en guérirait.

 

Diderot, Denis ; Falconet, Étienne, Le Pour et le contre. Pline et les anciens auteurs qui ont parlé de peinture et de sculpture(publi: 1958, redac: 1766-1773), Diderot à Falconet, 5 août 1766, p. 216-220 (fran)

Ah ! mon cher maître, Pline un petit radoteur ! Pardonnez-moi le mot, mais jamais l’indécence et peut-être l’injustice d’une pareille expression adressée à un des hommes les plus rares qui ait fait honneur à l’espèce raisonnable ne sera supportée. Pline un petit radoteur et pourquoi ! Parce qu’à travers une multitude incroyable de jugements qui montrent le tact le plus fin, le goût le plus délicat, il s’en trouve quelques-uns de répréhensibles ; passons, passons vite là-dessus.

Apelle peignit un Hercule par le dos dont on voyait le visage, ce qui est très difficile, dit Pline. Supposons que cet Hercule fût courbé sur le bûcher, que le peintre l’eût montré renversé en arrière, les bras tendus vers le ciel, et le visage et toute la figure vue de raccourci, croyez-vous que l’exécution eût été l’ouvrage d’un enfant ? Vous faites vos suppositions. Je fais aussi les miennes.

Pline dit qu’Amulius fit une Minerve qui regardait de quelque côté qu’on la vît ; Claudius Pulcher, un toit qui trompait les corbeaux ; Apelle un cheval devant lequel les chevaux oubliant la présence de leurs semblables hennissaient, etc. Il me semble que Pline n’est là qu’historien ; et si le tour de Pline m’est familier, et que j’entende un peu la valeur de la phrase latine, ces mots, idque postea semper illius experimentum artis ostentatur indiquent l’opinion populaire et même le peu de cas qu’il en fait, du moins si c’eût été mon dessein de rendre ces deux vues, je ne me serais pas expliqué autrement[1].

Pinxit et quae pingi non possunt, dit de l’éclair, de la lumière, du tonnerre, du silence, de la fraîcheur, de l’air, lorsque l’art fait illusion, loin de me paraître bourgeois, est à mon goût tout à fait laconique et juste. Je reçois en quatre mots une idée nette de l’esprit, de la vérité et de la hardiesse de l’artiste. Lorsqu’il s’agira du goût et de la valeur d’un tour latin, je demande que mon avis soit de même poids que le vôtre.

Un artiste jaloux de la durée de son ouvrage quater colorem induxit subsidio injuriae vetustatis, ut descendente superiore inferior succederet. Vous ne comprenez point ce technique ; je ne le comprends guère plus que vous, donc il est impossible. Et s’il y avait entre chaque tableau, une couche à gouache qui les séparât ? Si vous saviez, mon ami, mais vous le savez, combien de fois il est arrivé dans des manœuvres tout autrement inconcevables que celle-ci, que le temps et l’expérience ont justifié Pline du reproche de mensonge ou d’ineptie, en sorte que la chose avérée et connue, il n’est plus resté à ses critiques qu’à admirer la précision et la netteté de son discours. La postérité s’en est rapportée à lui, comme à tout autre auteur à proportion du discernement qu’elle lui a trouvé mais depuis environ un demi-siècle elle lui a trouvé du discernement à proportion des progrès qu’elle faisait elle-même dans la connaissance des choses.

Lorsque vous reprochez à Pline l’écume du chien de Ialyse, les raisins de Zeuxis, la ligne de Protogène, le rideau d’un autre, vous oubliez le titre de son ouvrage, Pline vous crie, je ne suis pas peintre, je suis historien. Ce n’est pas des beaux-arts seulement, c’est de l’histoire naturelle que j’écris.

J’admire l’assurance avec laquelle vous prononcez sur une pratique commune, qu’un auteur qui a connu les manœuvres et les manœuvres les plus déliées des arts mécaniques les plus obscurs, a pu savoir mieux que vous. Vous croyez que Pline aura avancé à l’aventure et que les anciens statuaires se passaient de modèle. Vous ajoutez, il est impossible de s’en passer ; pour moi je me tais après avoir avoué ingénument que l’idée du modèle ne me paraît point de l’art naissant, mais bien de l’art qui a fait des progrès.

Sur le chef-d’œuvre de Canachus, Pline s’attachant au principal mérite de la figure me dit ce que je dirai quelque jour de votre cheval, voyez comme il s’élance bien, et il me semble qu’il n’a pas dû m’en dire davantage.

Je passe à l’article de Myrmécide ; c’est de la plaisanterie qu’on trouvera bonne ou mauvaise, selon le tour d’esprit qu’on aura ; mon ami Falconet s’amuse et c’est bien fait que de s’amuser et d’écrire de ces choses-là gaiement, franchement, sans prétention, sans subtilité, sans y mettre ni plus de passions et d’intérêt que l’objet n’en mérite.

Je me souviens que vous vous êtes prosterné pour moi devant Bayle et il ne tiendrait qu’à moi de faire amende honorable pour vous à Pline et à Euphranor. Pline a dit du Pâris d’Euphranor, il est si bien fait qu’on y reconnaît judex dearum, amator Helenae, Achillis interfector. Vous ajoutez, Hélène était dans ses bras ; s’il tenait une pomme et une flèche, et voilà les trois caractères expliqués. Sur l’endroit de Pline, j’aurais juré qu’il y parlait du caractère et de l’expression de la sublime figure d’Euphranor. J’ouvre Pline et je suis tout étonné de voir qu’il n’y a ni flèche ni pomme et que ces rares inventions sont de vous. Mon ami, avec le secret il n’y a point d’auteurs qu’on n’aplatisse, point de compositions qui ne deviennent maussades. Ce trait m’a rendu la plupart de vos citations suspectes : j’ai vu que quand vous aviez résolu qu’un écrivain et un peintre fussent deux sots, vous  n’en démordez pas aisément ; quand vous auriez abusé de ma paresse à vérifier les citations, quand vous auriez estropié, mutilé, tronqué pour moi la description du cerf de Canachus, elle reste dans Pline telle qu’elle était. Et il faut qu’il vienne un moment où quelque érudit me venge de vous.

Myron n’a pas su rendre les passions humaines, donc il a fait une mauvaise vache ; donc et le peuple qui l’admira, et les poètes qui la chantèrent, n’eurent pas le sens commun. Cette conséquence peut être juste, mais je ne le sens pas ; non liquet ; vous trouvez qu’on se faisait dans Athènes de grandes réputations à peu de frais. C’est une façon de penser qui peut être juste, mais qui vous est bien particulière et qui ne fera fortune que quand on aura oublié bien des choses dont il ne tiendrait qu’à moi de vous faire une belle énumération.

Voici encore une autre argumentation dont je ne saisis ni la force ni la liaison. Pline a dit que Myron varia le premier les attitudes, observa mieux les proportions que Polyclète négligea les cheveux et la barbe ; mais il y a dans les bosquets de Versailles une très belle tête de Jupiter qui n’est pas de Myron, car on ne sait sur quel fondement le père Montfaucon la lui attribue et cette tête n’a aucun des défauts que Pline reproche à Myron ; donc Pline ne sait ce qu’il dit ; en vérité, mon ami, voilà une logique bien étrange.

Vous m’avez donné bien de la peine et du plaisir, je me suis mis à relire le livre de Pline sur les beaux-arts : voilà le plaisir ; j’ai vu que vos citations n’étaient pas toujours bien fidèles, que la traduction n’était pas toujours exacte, voilà la peine. J’ai vu que vous aviez osé appeler petit radoteur l’homme du monde qui a le plus d’esprit et de goût. Cette injure n’était fondée que sur une demi-douzaine de lignes aussi faciles à défendre qu’à attaquer et rachetée par une infinité d’excellentes choses ; lorsque j’allais à mon tour commencer ma cérémonie expiatoire, l’auguste fantôme m’est apparu, il avait l’air tranquille et serein, il a jeté un coup d’œil sur vos observations, il a souri et a disparu.

Pline suit les progrès de l’art, Olympiade par Olympiade. Il distribue les éloges selon qu’il y a plus ou moins contribué par quelques vues nouvelles. Pour moi qui pense que tout tient à la première étincelle, qu’on doit quelquefois plus à une erreur singulière qu’à une vérité commune, qui compare la multitude des âmes serviles au petit nombre des têtes hardies qui s’affranchissent de la routine, et qui connaît un peu par expérience la rapidité de la pense générale, je dis : le premier qui imagina de pétrir entre ses doigts un morceau de terre et d’en faire l’image d’un homme ou d’un animal, eut une idée de génie ; ceux qui le suivirent et qui perfectionnèrent son invention méritent aussi quelque éloge. Si vous pensez autrement, c’est moi qui ai tort. Vous êtes artiste ; Pline ne l’est pas : croyez-vous de bonne foi que si vous aviez eu un compte rapide à rendre d’un aussi grand nombre d’artistes et d’ouvrages, vous vous en seriez mieux tiré que lui ? Je vous supplie, mon ami, de ne pas toucher à la latinité de Pline, cela est sacré et c’est un peu mon affaire, car je suis sacristain de cette église ; les expressions que vous reprenez ne décèlent point le latin du siècle d’Auguste. Si quelque pédant vous l’a dit, n’en croyez rien. Les Romains n’ont rien inventé ; lorsque sortis de la barbarie, ils ont voulu parler arts et sciences, ils ont trouvé leur langue stérile, et pour désigner des choses qui leur étaient étrangères, les bons esprits se sont rendus créateurs des mots. Cicéron même vous offenserait en cent endroits, sans sa pusillanimité qui lui faisait préférer le mot grec à un mot nouveau, et cela en physique, en morale, en métaphysique. Vous vous êtes dit là-dessus une injure que mon amitié et un peu de politesse sur laquelle vous deviez compter vous auraient certainement épargnée. Vous me trouverez plus indulgent sur une erreur littéraire que vous ne le serez avec moi sur une erreur d’art. Mais c’est une affaire de caractère, ou peut-être m’aimez-vous plus que je ne vous aime, si le proverbe est vrai ; je vous aime pourtant bien, ce me semble.

Si Pline avait donné à tous les morceaux de peinture et de sculpture dont il a jugé, une description et un éloge proportionnés à leur importance, il eût composé un traité exprès de la peinture et de la sculpture, plus ample que l’histoire de l’univers, qu’il avait pour objet ; vous ne considérez pas que Pline n’est qu’historien, que la plupart des morceaux dont il nous entretient subsistaient, soit à Rome sous les yeux de ses contemporains, soit en Grèce où il n’y avait fils de bonne mère qui ne voyageât. Encore un mot sur Pline, et puis je le laisse, car c’est un homme qui se défend assez bien de lui-même ; c’est qu’à proportion que les temps ont été plus ou moins ignorants, on lui a reproché plus ou moins de mensonges ou d’inepties. Il y en a sans doute, car où n’y en a-t-il pas ?

Note de bas de page de l'auteur :
  • [1] […] Croyez au reste que les bêtes ne sont pas difficiles à tromper ; la plus grossière image, une coupure barbouillée à peu près leur fait prendre le change. Que dites-vous de ces hommes de paille mis dans un champ pour faire peur aux oiseaux, et de ces pigeons de plâtre mis sur un colombier pour en faire venir d’autres ? Et puis glorifiez-vous, peintres, sculpteurs, imitateurs du naturel, parce que quelques bêtes auront approuvé votre ouvrage !
 

Falconet, Etienne, Traduction des XXXIV, XXXV et XXXVI livres de Pline l’Ancien, avec des notes(publi: 1772), Préface, p. VII-XLIII (fran)

Nous n’avons point de traduction suportable de Pline en français : la seule complette qui existe de du Pinet, est aussi infidèle que mal écrite. La version des six livres par Pierre de Changi, et son sommaire des seize premiers livres, sont inconnus aujourd’hui ; les trois livres que Durand a traduits, ne sont qu’une paraphrase inexacte, et par conséquent, peu propre à donner une idée juste de l’auteur. On ne doit pas compter quelques passages de Pline, bien ou mal entendus, que M. le comte de Caylus a donnés dans les Mémoires de l’Académie. M. de la Nauze, qui a lû Pline en littérateur et en savant prévenu, n’a pas mieux réussi dans le même recueil. Si vous êtes seulement artiste, vous n’entendez pas un auteur latin ; si vous êtes seulement littérateur, vous n’entendez pas un écrivain qui a traité des beaux-arts ; et si vous n’êtes ni l’un ni l’autre, il y a beaucoup moins à parier pour la réussite. Mais l’artiste qui cultive les belles-lettres, ne pourroit-il pas espérer de rendre la pensée de l’auteur quelquefois assez juste ?

C’est ainsi qu’on a cru devoir hasarder une traduction entière des endroits où Pline a parlé de la sculpture. Des citations isolées ne satisfont pas un lecteur qui veut être instruit ; il lui faut l’ensemble : il veut comparer. Il verra donc par cette traduction, s’il est bien vrai que Pline a écrit de la peinture comme auroit pu faire un homme de l’art, qui auroit eu son génie.

D’ailleurs, comme l’objet du traducteur n’a pas été de faire connoître le stile de Pline, mais la valeur de ses jugements sur les arts dont il parle, on s’est moins ataché à l’élégance qu’à la fidélité, et l’on n’a pas prétendu faire passer la fleur, le coloris de son pinceau, dans une traduction. Quelque charme qu’il y ait dans la manière d’écrire de cet auteur, il faut cependant convenir que le sujet de ces trois livres n’a pas toujours le même intérêt, qu’il y a des endroits secs, et qu’une liste de noms et un catalogue d’ouvrages, ne sont pas susceptibles de beaucoup d’agrémens dans le discours : encore n’ôse-t-on se flatter d’avoir partout compris le sens de Pline ; surtout dans les endroits où il paraît avoir sacrifié la clarté de la pensée au tour épigrammatique de l’expression ; ce qui n’est pas dit pour se ménager une ressource dans les endroits où on n’aura pas entendu Pline avec toute l’exactitude et la clarté possibles. On avoue au contraire, que le défaut d’érudition a pu produire aussi des contresens ; mais les vrais savans, dont on respecte les lumières, n’atendent pas de la part d’un artiste, des connoissances qui leur sont réservées : pourvu qu’il ne se soit pas trompé dans les endroits sur lesquels portent ses observations, il passera, sans rougir, condamnation sur tout le reste. Car il est bon d’avertir que pour ces endroits-là, il a pris plus particulièrement les précautions nécessaires à un homme qui est fort éloigné de vouloir se fier à lui seul. L’édition qu’on a suivie, est celle du Père Hardouin, qui passe, jusqu’à présent, pour la plus correcte, quoique peut-être défectueuse encore[1].

Comme on n’a eu intention que de relever les principales erreurs, celles qui influent essentiellement sur le progrès de l’art, on a aidé dans quelques endroits l’expression de Pline, afin de lui sauver au moins quelques absurdités : peut-être aussi l’ignorance où l’on est de certains usages anciens, a-t-elle été cause qu’il nous paroissoit absurde. On a cru devoir aporter la même atention, quand des termes, sans doute fort clairs dans sa langue, obscurs, impropres ou déplacés dans la notre, se sont rencontrés ; on a traduit alors comme il aurait pu s’exprimer en françois.

[…] Quelques éloges qu’on puisse donner à Pline, et qu’il mérite à beaucoup d’égards, il n’y a personne qui ne sente que l’exécution de son ouvrage est au-dessus des forces d’un seul homme, en fît-il son unique occupation. Mais il s’en faut que cet écrivain laborieux[2] aît pu donner, à son Encyclopédie, tout le tems, tous les soins, et toute l’étude que demande une aussi vaste et aussi difficile entreprise. Il avoue au contraire, qu’il ne s’en est occupé que la nuit, de tems à autre, pour ainsi dire à ses heures perdues, et sans déranger ses affaires[3] ; on sçait aussi qu’il faisoit ses extraits à table, dans le bain et dans ses voyages.

Mais n’eut-il fait que le livre qui nous reste, son projet de constater l’état des sciences, des arts, de toutes les connoissances possibles, et d’en rassembler les notions abrégées dans un corps d’ouvrage, suppose, sinon un écrivain de génie, au moins une ame honnête et sensible. S’il a rapporté presque indistinctement toutes les sottises populaires de son temps, c’est une preuve de sa candeur et de sa crédulité. S’il n’a pas prévu que dans le nombre de ses sottises il y en avoit dont les conséquences étoient funestes au bon ordre et à l’honnêteté, on ne peut l’excuser jusqu’aux dépens de son jugement ; surtout ayant eu la modestie de ne regarder lui-même sa compilation légère, que comme un livre propre à amuser le petit peuple, les gens de la campagne, les ouvriers et les oisifs[4]. Il devait donc en retrancher les chapitres où la lubricité, l’avortement, l’empoisonnement sont enseignés sans détour ; et ces trois récipés continuent de se vendre publiquement chez les libraires de toutes les nations policées. On peut même les dédier au dauphin.

Mais quoique fort éloigné de prendre son aveu à la lettre, et qu’au contraire on y voie l’homme supérieur à son ouvrage, on trouve cependant que cet aveu est vérifié en plusieurs endroits dans les livres qui traitent de la peinture et de la sculpture. Si ces livres ont induit en erreur une infinité de personnes fort éclairées dans toute autre partie que celle des beaux-arts, si en les lisant elles ont cru que Pline étoit un grand connaisseur, ce n’est pas entièrement à lui qu’il faut s’en prendre ; il n’y a pas toujours donné lieu, puisqu’assez souvent, il a eu l’attention d’avertir qu’il copioit les écrits des artistes mêmes. S’il a trop souvent mal vu et mal raisonné, c’est qu’alors il ne les entendait pas, qu’il ne consultait personne, ou qu’il copiait des écrivains, qui eux-mêmes n’avaient pas consulté les artistes. Il n’y a guères de littérateurs à qui la même chose n’arrive en pareil cas, surtout lorsque, comme notre auteur, ils ne font qu’effleurer les sujets qu’ils ont entrepris de traiter. Souvent on a de l’esprit, du goût, du génie même, et l’on croit avoir des connoissances universelles et intimes de chaque science et de chaque art.

Pline ne s’est engagé à parler de la peinture et de la sculpture que par occasion. Il traitoit des terres, des métaux, et de leurs propriétés ; et, par d’assez longues digressions, il a parlé des beaux-arts ; le détail qu’il en fait est, en quelque sorte, un hors-d’œuvre, dont son ouvrage pourroit se passer, et qui ne s’y trouve qu’en vertu du compelle intrare. Il fait un reproche et rend un hommage à Démocrite qui méritoit sans doute l’un et l’autre, et lesquels pourroient bien tous deux être applicables à Pline. Plut à Dieu, dit-il, que Démocrite eut été touché de cette baguette, puisqu’il assuroit qu’elle a la vertu de modérer les trop grands parleurs. Il est certain que c’était d’ailleurs un homme intelligent, très utile, et qui n’a erré que par un violent désir de sécourir les mortels.[5] Si l’ouvrage de Pline est le dépôt le plus précieux des connoissances de l’Antiquité, la partie qui traite des beaux arts est encore, avec toutes ses fautes, un monument recommendable, puisqu’on ne trouve point ailleurs la plupart des choses qu’elle contient. Mais cette partie n’ayant pas encore été jusqu’ici fort exactement appréciée, on peut regarder l’attention qu’on y apporte aujourd’hui, comme le premier examen qui en ait été fait, relativement à nos arts. […]

S’il arrivoit que les miennes[Explication : mes notes.] scandalisâssent les admirateurs outrés de Pline et de l’Antiquité, je leur déclare que, j’ai eu seulement en vue de déférer à ce qui m’a paru la vérité, sans m’inquiéter de ce qui ne serait que l’humeur du pédantisme, ou la ténacité de la prévention. J’ai cru aussi que le prononcé de l’érudition n’était pas une autorité pour un artiste, lorsqu’il s’agit proprement de son art, et lorsque ce prononcé ne s’accorde ni avec l’esprit, ni avec les principes de ce même art.

En supposant que les notes sur Pline eûssent quelque justesse, les délicats pourraient croire que les formes en sont inusitées, le ton trop décidé ; qu’il y faudroit plus d’hésitation et de défiance de soi-même ; qu’une posture suppliante disposeroit mieux ceux que la critique peut regarder, à la bien recevoir. Cette manière de voir et de juger est, sans contredit, fort honnête, et M. Philinte assurément n’aurait pas mieux prêché un fort joli jeune homme qu’il aurait voulu pousser dans le monde ; mais l’expérience montre tous les jours que ce sermon ne seroit qu’un vieux conte, auquel les hommes de sens ne voudroient pas croire. […] Disons donc notre pensée à notre manière, si nous croyons qu’il puisse en résulter quelque bien. Si au lieu d’une critique sage et profitable, il ne nous en revenoit que des invectives, nous ne leur donnerions que l’attention qu’elles pourroient mériter, et nous n’en serions pas moins en garde contre le préjugé, la prévention, et surtout contre les personnalités offensantes : permis à qui voudra s’en charger, de penser et d’agir autrement.

Quant à l’accusation triviale d’avoir ôsé mettre la main à l’encensoir en relevant les fautes d’un auteur ancien et presque universellement admiré, on laisse à la foible antiquomanie cette petite considération : on prétend regarder l’idole avant de s’agenouiller, et porter ailleurs ses adorations, si elle n’est qu’un vain simulacre. Il est temps de déchirer le voile qui cachait des phantômes antiques, et d’autant plus vénérés qu’on les connaissait moins. Admirons la grandeur des Anciens quand il en ont, et méprisons la pédanterie qui croit mettre leurs défauts hors de la portée de notre vue[6]. […]

Mais pourquoi vouloir se singulariser en cherchant des défauts ? C’est la ressource de ceux qui, incapables de produire, s’en vengent sur les endroits foibles des bonnes productions. Pourquoi ne pas parler de Pline comme tant d’habiles gens en parlent ? Au moins le gros des lecteurs continueroit d’aplaudir, sans rien vérifier. Si le tyran Hiéron, ou Ptolémée Philadelphe vivoient aujourd’hui, ils diroient, depuis mille-sept-cent ans que Pline est mort, il a illustré plusieurs écrivains ; que ne moissonnez-vous les mêmes lauriers ? Car ces deux rois se servaient, dit-on, de cette logique. Voici ma réponse.

Si je n’ai pas parlé de Pline comme tant d’habiles gens, c’est que je ne l’envisage pas par les côtés qu’ils le voient ; que ce n’est pas mon affaire de l’examiner sur autre chose que sur la peinture et la sculpture ; et qu’en allant au-delà, je tomberois dans le défaut que je reproche à d’autres. Si d’habiles gens d’ailleurs dans d’autres matières, ont cru le bien voir de ce côté-là, et si je ne le vois pas comme ils l’ont vu, cette différence dans nos jugements provient de la différence des connoissances acquises dans les arts sur lesquels ils parlent. Pour ceux qui sont réduits à ne voir que par les yeux d’autrui, et qui veulent catéchiser d’après les dogmes erronés de leurs maîtres, la découverte des erreurs de leur guide pourra les remettre sur la bonne voie. Ainsi la crainte de se singulariser par l’examen des endroits où Pline montre qu’il connoissoit peu l’art, seroit gratuite ; elle tendroit même à retarder dans le public le progrès de la connoissance de ce même art ; connoissance qui est autant le fruit de la sainte critique, qu’elle peut l’être de la vue des beaux ouvrages. Il n’y a que la pratique qui l’emporte sur ces deux moyens de devenir connoisseur : les seuls initiés connoissent à fond les mistères. Retranchons cependant les mauvaises branches, l’arbre pourra devenir plus grand aux yeux mêmes de ceux qui ne savent pas manier la serpette, et continuons de parler à ceux que les préjugés, la présomption, l’ignorance, ou la pusillanimité n’empêchent pas de raisonner juste. Ceux-là verront bien que l’objet ici n’est pas de vouloir se singulariser. […]

Ainsi, on a usé du droit incontestable, pour ne pas dire, comme Pline le jeune, du droit exclusif, accordé à chacun dans sa profession ; celui d’examiner, même de juger des ouvrages qui en traitent[7]. […] On se croit fondé à penser aussi, qu’il convient principalement aux artistes et aux vrais connoisseurs de juger de la plupart de ces notes. Si, dans quelques-unes, il se trouvoit des discussions qui ne fussent que littéraires, le jugement de ces discussions appartiendroit aux littérateurs. Mais on a eu soin de se tenir le plus qu’il a été possible dans les bornes de son sujet.

Note de bas de page de l'auteur :
  • [1] Paris 1741.
  • [2] Erat acre ingenium, incredibile studium, summa vigilentia (Plin. Jun. Ep. 5. l. 3)
  • [3] Subscripvisque temporibus ista curamus, id est, nocturnis, ne quis vestrum putet his cessatum horis. (Praef. ad Vespasianum)
  • [4] Humili vulgo scripta sunt, agricolarum, opificumque turbae, denique studiorum otiosis. (Praef. ad Vespasianum)
  • [5] Utinam eo ramo contactus esset Democritus, quoniam ita loquacitates immodicas promisit inhibere. Palamque est, virum alias sagacem et vitae utilissimum, nimio juvandi mortales studio prolapsum (l. 28 c. 8 f. 9).
  • [6] L’abbé Terrasson nous disoit, « Je traduis le texte de Diodore dans toute sa turpitude. » Il nous en lisoit quelquefois des morceaux chez M. de la Faye ; et quand on rioit, il disoit, « Vous verrez bien autre chose ». Il étoit tout le contraire de Dacier. (Quest. Sur l’Encyclop. 4e part. page 314) Voilà un traducteur bien hardi. Voyez un peu comment il parle d’un auteur révéré pendant 18 siècles.
  • [7] De pictore, sculptore, fictore nisi artifex judicare potest (Plinius Junior, Ep. 10 lib. I).
 

Barry, James, Lecture I, On the History and Progress of the Arts(redac: 1784:1798), p. 79-80 (anglais)

The books written by the artists of antiquity (of which there were many, and by some of the best artists) are all perished[1] and other authors who were not so practically skilled in the art as to enable them to enter accurately into the discussion of particulars, are never satisfactory; because they are always too vague and too fond of deciding in the lump, as it enables them to conceal their want of skill in discriminating.

Note de bas de page de l'auteur :
  • [1] (note de l'éditeur) Pamphilus wrote on Painting and celebrated Painters; Euphranor on Symmetry ad Colours; Melanthius, Apelles, and Protogenes also wrote on Painting. Several sculptors likewise wrote upon their art; many such works are referred to by Pliny, in his comendious history of ancient art in his Natural History. Junius gives a list of theses and other works in his Pictura Veterum, p. 55 edd. Rot. 1694

Commentaires :  

 

Barry, James, Lecture I, On the History and Progress of the Arts(redac: 1784:1798), p. 71 (anglais)

We must then reject as fabulous, and as a piece of national vanity, a great part of the early accounts of the progressional discovery of the art in Greece, the finding out the method of drawing the profile by tracing its shadow, the adding a colour to it in the next generation, and a number of other successional particulars by which this people would arrogate the original discovery of the whole art to themselves. No such beginnings are traceable (however plausible) among the Greeks, or even amonsgrt their before-mentioned predecessors.

Commentaires : James Barry, lecture I, On the History and Progress of the Arts (entre 1784 et 1798), éd. 1848, p. 71

 

Watelet, Claude-Henri ; Levesque, Pierre-Charles, Encyclopédie méthodique. Beaux-Arts(publi: 1788:1791), art. « Peinture chez les Grecs » (numéro vol. 1) , p. 650 (fran)

Pausias, de Sicyone, d’abord éleve de Briès, son père, et ensuite de Pamphile. Nous avons vu qu’Apelles, éleve de Pamphile, crut que, pour acquérir plus de considération, il devoit se mettre quelque temps sous la discipline des maîtres de Sicyone, et voilà qu’un peintre de Sicyone entre à grands frais dans l’école de Pamphile. C’est une de ces nombreuses difficultés qui se trouvent dans l’histoire de l’Art antique, parce que de tous les auteurs qui en ont traité, il ne nous reste que Pline qui en a écrit briévement sans avoir toutes les connoissances nécessaires ; et que si d’autres écrivains ont parlé de l’art ou des Artistes, ce n’a été qu’en passant.

 

Watelet, Claude-Henri ; Levesque, Pierre-Charles, Encyclopédie méthodique. Beaux-Arts(publi: 1788:1791), art. « Peinture chez les Grecs » (numéro vol. 1) , p. 640 (fran)

Si nous nous égarons, c’est sur les traces de Pline qui est confus dans les faits, indécis sur les dates, et dont le récit offre des contradictions fréquentes.

 

Pauw, Cornélius de, Recherches philosophiques sur les Grecs(publi: 1788), « Considérations sur l’état des beaux-arts à Athènes », §4, « Des apographes, ou des ouvrages copiés et supposés » (numéro III, 7) , t. II, p. 110 (fran)

Plutarque avoue qu’il ne lui fut pas possible de mettre un frein à la loquacité des mystagogues de Delphes[1]. Enfin ce sont ces hommes-là qu’on doit envisager aujourd’hui comme les véritables auteurs de tous ces prodiges ridicules que Pline et tant d’autres écrivains ont répété d’après eux, touchant des statues et des tableaux qui firent illusion aux animaux, et les rendirent contre les lois de leur instinct sensibles aux charmes des arts. Dans aucune contrée au monde la hardiesse de mentir ne fut portée à un plus haut degré que parmi les conducteurs publics de la Grèce ; et pour tenir toujours l’esprit des étrangers dans une espèce d’extase, ils attribuoient aux plus grands artistes les productions les plus médiocres, et montroient tant de statues sous le nom supposé de Phidias, de Polyclète, et de Praxitèle, que ces sculpteurs auroient dû vivre pendant plus de deux-cents ans pour les finir toutes.

Note de bas de page de l'auteur :
  • [1] Plutarque, au traité pourquoi les oracles ne se rendent plus en vers.
 

Quatremère de Quincy, Antoine, Mémoire sur le défi d’Apelles et de Protogène, ou éclaircissements sur le passage dans lequel Pline rend compte du combat de dessin qui eut lieu entre ces deux peintres(publi: 1819), p. 388-390 (fran)

Plus l’étude toujours croissante des arts de l’Antiquité répandra de lumière sur les textes des auteurs anciens qui en ont écrit, et particulièrement sur les notices que Pline nous en a transmises, plus je pense que l’on verra diminuer chez cet écrivain le nombre de ces contradictions prétendues, de ces erreurs supposées par la prévention des critiques modernes, et de ces récits qu’ils se sont plu à qualifier d’historiettes ou de contes d’enfant. Je suis loin de me faire du mérite et du savoir de Pline une idée exagérée. Son style a le défaut d’avoir trop d’esprit et trop de prétention à la pensée ; il tombe souvent dans la déclamation : c’est déjà, j’en conviens, un style de décadence. Quoique je sois très persuadé de l’étendue des connaissances de cet écrivain, je crois cependant qu’on doit se garder de les mesurer par le nombre des notions renfermées dans son Histoire naturelle. Il est visible que beaucoup de parties de ce grand ouvrage sont de pures compilations, dans lesquelles l’auteur n’est qu’un rédacteur de matières étrangères à ses études ; mais il serait très injuste de porter le même jugement sur plusieurs autres parties de son ouvrage, spécialement sur celle des arts, qui est renfermée dans ses cinq derniers livres, et qu’il me paraît avoir travaillée avec un soin tout particulier. Pline avait certainement sur les arts du dessin le goût exercé et le sentiment éclairé d’un homme qui avait beaucoup vu, qui avait considéré les chefs-d’œuvre de tout genre dont Rome abondait de son temps. Il parle de beaucoup de ces objets d’après ses propres sensations, et comme ayant vu par lui-même. Il eut de plus l’avantage de connaître une multitude d’écrits, de traités, de descriptions d’auteurs grecs, artistes la plupart, et qui avaient écrit sur leur art. Que de ressources pour parler judicieusement et avec goût sur les matières dont il traite ! Il est malheureux sans doute pour nous que, borné par un cadre extrêmement étroit, Pline se soit trouvé contraint de resserrer extraordinairement ses notions, et de substituer habituellement la concision de la pensée, et cette vivacité du trait d’esprit qui épargne les mots, à la description détaillée des sujets qu’il passe en revue ; mais Pline écrivait pour ses contemporains, dans l’imagination desquels l’idée d’un grand nombre d’objets d’art se trouvait suffisamment retracée par la plus légère mention. Il ne put avoir en vue les lecteurs de notre âge, c'est-à-dire d’un temps très postérieur à la destruction de presque tout ce dont il a parlé. Plus nous avons sujet de regretter qu’il ait été aussi concis, moins nous avons le droit de l’accuser de n’avoir pas été plus abondant, puisque son abrégé de l’histoire des arts fut une sorte de hors-d’œuvre à son ouvrage. Remercions-le plutôt d’avoir eu l’heureuse idée d’insérer dans les livres destinés à traiter des métaux, des couleurs, des terres, des marbres et des pierres précieuses, d’aussi nombreuses notions sur les ouvrages de la statuaire, de la toreutique, de la peinture, de la plastique, de la sculpture, de l’architecture et de la gravure.

Il a été commis dans ces derniers temps, à l’égard de Pline, une injustice encore plus ridicule : on lui a reproché de ne s’être pas exprimé sur les objets d’art en artiste, de n’avoir pas employé les mots techniques, ou les documents didactiques des maîtres de l’art ; de n’avoir pas parlé le langage de l’école, et surtout de l’école des modernes. On voit que j’ai ici en vue M. Falconet, qui a traduit trois livres de Pline dans un système détracteur ; qui, au lieu de chercher à pénétrer, par le rapprochement des détails, dans l’esprit de l’auteur et dans l’ensemble de ses idées, semble s’être étudié à les défigurer par une version qui en devient souvent la parodie, et à fonder ses accusations contre Pline sur les malentendus de sa propre traduction.