Type de texte | source |
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Titre | An Inquiry into the Beauties of Painting |
Auteurs | Webb, Daniel |
Date de rédaction | |
Date de publication originale | 1760 |
Titre traduit | Recherche sur les beautés de la peinture |
Auteurs de la traduction | Bergier, Daniel Claude François |
Date de traduction | 1765 |
Date d'édition moderne ou de réédition | |
Editeur moderne | |
Date de reprint |
, « Du coloris » (numéro ch. V) , p. 87-90
Une connoissance parfaite de l’union et de l’opposition des couleurs, des effets de leurs ombres et de leurs réflexions différentes, exige sans doute beaucoup d’étude et de pratique ; mais je crains bien que trop de recherche dans cette partie, n’ait fait négliger aux modernes, des parties plus essentielles. C’est ce qui arriva dans les derniers temps de la peinture ancienne. « Les peintres anciens, dit Denis d’Halicarnasse[[3:Αρχαιαι γραψαι χρωμασιν ειργασμεναι ἁπλως, και ουδεμιαν εν τοις μιγμασιν εχουσαι ποικιλιαν, ακριβεις δε ταις γραμμαις, και πολυ το χαπιεν εν ταυταις εχουσαι· Αἱ δε μετ’εκεινας, ευγραμμοι μεν ἥττον, εξειργασμεναι δε μαλλον, σκιᾳ τε και φωτι ποικιλλομεναι, και εν τῳ των μιγματων πληθει την ισχυν εχουσαι. Dion Hal in Isaeo, p. 167 ed. Oxon]], n’employoient que des couleurs simples et sans mêlange ; mais leur dessin étoit correct et plein d’élégance. Ceux qui vinrent ensuite, furent moins exacts dans le dessin, mais plus soignés, plus intelligens dans la distribution des ombres et des lumieres, et donnerent un grand effet à leurs ouvrages, par l’art avec lequel ils sçurent varier les couleurs. » Il faut observer que cette science, si vantée des modernes, fut regardée par les anciens comme un symptôme de la décadence de l’Art. Le plus bel effet de cet harmonie de couleurs qu’ait jamais produit le pinceau du Titien, peut-il effacer les fautes de dessin et la foiblesse de caractère qu’on remarque dans ses ouvrages ? La draperie la mieux peinte du Carrache ou du Guide, compensera-t-elle le défaut de grace et de beauté dans le premier, de chaleur et d’expression dans le second ? Apelles, voyant une Helene peinte par un de ses eleves et surchargée d’ornements, lui dit[[3:Ω μειρακιον, μη δυναμενος γραψαι καλην, πλουσιαν πεποιηκας.]] : « ô jeune homme, n’ayant pu la faire belle, tu as tu raison de la faire magnifique ».
, p. 81
Aussi Parrhasius, Zeuxis et Apelles, qui sont les plus célébres peintres de l’antiquité, étoient-ils en même temps les plus grands coloristes. Les louanges qu’ils ont reçues de leurs contemporains, tomboient principalement sur ce genre de vérité et de beauté qui est produit par le choix de la couleur. C’étoit dans cette partie sur-tout qu’excelloit Apelles ; son chef-d’œuvre, et par conséquent le chef-d’œuvre de l’art, étoit sa Venus Anadyomene[[3:In Venere Coa, corpus illud non est, sed simile corpori ; nec ille fusus et candore missus rubor, sanguis est, sed quaedam sanguinis similitudo. De Nat. Deor. Lib. I.]]. Voici comment Cicéron s’exprime sur la perfection de ce morceau : « Dans la Venus de Cos, ce que nous voyons n’est point un corps, mais quelque chose qui y ressemble ; et ce vermillon mêlé et nuancé de blanc qui en couvre la peau, n’est point du sang, mais quelque chose que l’on prend pour du sang. C’est au même tableau qu’Ovide fait allusion dans ces vers :
Sic madidos siccat digitis Venus unda capillos,
Et modo maternis tecta videtur aquis.
Lib. II., Trist.
C’est ainsi que Venus, sortant de la mer, presse de ses mains son humide chevelure, on voit encore ruisseler sur son corps l’onde qui vient de lui donner l’être.
Et Ausonne, dans l’épigramme suivante[[3:[4] Emersam pelagi nuper genitalibus ondis
Cyprin Apellei cerne laboris opus,
Ut complexa manu madidos salis aequore crines
Humidulis spumas stringit utraque et innuba Pallas,
Cedimus et formae praemia deferimus.]]. « Voyez sous le pinceau d’Apelles, Venus à peine sortie du sein de l’onde qui l’a formée avec quelle grace pressant de ses deux mains sa moüette chevelure, elle en fait tomber l’écume salée dont elle est couverte. Ne semble-t-il pas entendre, et Junon, et la chaste Pallas lui dire dès ce moment : tu l’emportes, ô Venus, et nous t’abandonnons le prix de la beauté ? ». [[4:suite Apelle Vénus inachevée]]
, p. 26-27
A — La peinture portant l’emprunte immédiate et l’image de nos conceptions[[3:Il est bon d’observer que, dans la langue grecque, le même mot (γραφειν) signifie également peindre et écrire ; il est aisé de rendre raison de cette double signification, en supposant que les Grecs, de même que les Egyptiens, exprimèrent d’abord leurs pensées par le moyen de la peinture ; et qu’ayant dans la suite découvert les lettres, ils changerent de manière, et conserverent le terme dont ils s’étoient d’abord servi.]], il est naturel que les hommes l’aient employée avant les lettres, qui n’ont aucune connexion, ni aucune ressemblance avec elles ; d’où je conclus, fondé sur l’autorité de l’histoire, que l’Ecriture est beaucoup moins ancienne que la Peinture. Ce qui a fait douter de l’ancienneté de celle-ci, c’est la vanité des Grecs, qui, pour enlever aux autres nations l’honneur de cette découverte, ne daterent son origine que du moment qu’ils avaient commencé à la cultiver. Ils parlent de je ne sais quelle fille, qui, pour conserver le portrait de son amant, s’avisa de crayonner à la lueur d’une lampe l’ombre que son visage faisoit sur la muraille[[3:De là vient que les Grecs appelle cet art Σκιαγραφια, et que chez les Latins les mots adumbrare et pingere sont synonymes.]].
B — Rien n’est plus ingenieux que d’attribuer l’origine du plus agréable de tous les Arts, à la plus aimable de toutes les passions.
A — Pline, dont nous tenons cette histoire, accuse les Grecs d’inconséquence et d’inexactitude.
, p. 179-180
Le Philoctete de Parrhasius offroit l’image la plus terrible du désespoir et d’une douleur dévorante ; la description que nous en donne un ancien poëte, et l’éloge qu’il fait du peintre, ont toute la simplicité et toute l’élégance qui étoient particuliers aux Grecs :
Καὶ τὸν ἀπὸ Τρηχῖνος ἰδων πολυώδυνον Ἥρω
Τόνδε Φιλοκτητην ἔγραφε Παῤῥάσιος.
Εν τε γὰρ ὀφθαλμοῖς ἐσκλῆκοσι κωρὸν ὑποικει
Δάκρυ, καὶ ὁ τρύχων ἐντὸς ἔνεσι πονος.
Ζωογράφων ὦ λῶστε σὺ μὲν σοφὸς, ἀλλ’ἀναπαῦσαι
῎Ανδρα πόνων ἤδη τὸν πολύμοχθον ἔδει.
Anthol. L. IV.
« Pour peindre ce Philoctete, il falloit que Parrhasius l’eût vû dans les plus vifs accès de ses douleurs. Des larmes pénibles roulent dans ses yeux arides, et le même déchirement intérieur le tourmente encore dans son portrait. O mon ami, vous avez montré bien du talent en rendant cette peinture vivante, mais fallait-il ainsi prolonger au-delà même du trépas les longues souffrances de ce héros ? » Peut-on concevoir une image plus touchante et plus pathétique que celle-là ?
, Plan général de l’ouvrage (numéro Dialogue premier) , p. 4-6
On peut envisager les arts d’imitation sous deux points de vûe : I° comme imitations des objets que l’artiste a actuellement sous les yeux; c’est la partie méchanique ou d’exécution ; 2° comme représentations des images qui sont formées par l’imagination ; c’est la partie idéale ou d’invention. Cicéron[[3:Nec uero ille artifex, cum faceret Iovis formam aut Mineruae, contemplabatur aliquem e quo similitudinem duceret ; sed ipsius in mente insidebat species pulchritudinis eximia quaedam, quam intuens, in eaque defixus, ad illius similitudinem artem et manum dirigebat. In Bruto.]] fait très-bien sentir cette distinction, lorsqu’il dit que le Jupiter de Phidias n’avoit point été fait d’après un modéle existant dans la nature, mais d’après l’idée que l’artiste s’étoit faite d’une beauté dont le type n’avoit jamais existé. La grande différence qu’on remarque entre les peintres qui ont eu quelque réputation, ne vient que du plus ou du moins de talent qu’ils ont montré dans ces deux parties. Ceux dont le principal mérite consiste dans le méchanisme, ne sont, comme les peintres hollandais, que de serviles copistes de ouvrages de la nature ; et ceux qui ne s’attacheraient qu’à la partie idéale, sans se perfectionner dans la partie méchanique, ne produiroient que des ébauches et non des tableaux; d’où il résulte que la perfection de l’art réside dans l’union de ces deux parties.
, « Du dessin » (numéro Dialogue IV) , p. 45-47
A — Le Jupiter[[3:Non uidit Phidias Iovem, fecit tamen, uelut tonantem ; nec stetit ante oculos eius Minerua, dignus tamen illa arte animus, et concepit Deos et exhibuit. Senec. Rhet. Lib. X. Phidias n’avoit point vû Jupiter, il le représenta cependant tel qu’on peut se l’imaginer, lorsqu’il est prêt à lancer la foudre. Minerve ne s’étoit point non plus montrée à lui, mais son génie, capable d’élever l’Art lui-même, sçut concevoir et exprimer la Divinité.]] et la Minerve de Phidias, ont fait l’admiration des siécles les plus éclairés, et il y a toute apparence que réunissant en elles le beau, le grand et l’extraordinaire, elles faisoient sur l’imagination le même effet qu’auroient pû faire ces divinités elles-mêmes. On est frappé au premier aspect des statues colossales du Monte-Cavallo, mais le plaisir succéde bientôt à la surprise ; quoique leur grandeur démesurée excéde la portée de nos idées, leurs proportions sont si exactes, le dessin en est si hardi, leurs attitudes sont si naturelles, que l’œil se familiarise enfin avec ces proportions, et en saisit toutes les beautés.
B — Il y a grande apparence que le plaisir que nous trouvons à considérer les statues dont vous parlez, vient en grande partie de la comparaison que nous faisons de leurs proportions avec les nôtres. L’esprit, en les voyant, se remplit d’idées ambitieuses, il ne respire plus qu’élévation et grandeur, ces sentimens nobles et exaltés l’entraînent hors de lui-même, et l’élèvent à des pensées et à des objets au-dessus de la sphère humaine. Il n’y a point dans la nature de sensations plus délicates et plus agréables que celles qui nous transportent au-dessus de nous-mêmes, et nous rapprochent de notre céleste origine.
A — Avec cette faculté d’humaniser, si j’ose m’exprimer ainsi, ces proportions colossales, nous avons aussi celle de trouver du sublime dans les plus petites ; lorsque les deux extrêmes s’accordent ainsi à produire les mêmes effets, on peut être assuré que le mérite de l’un et de l’autre tient à une même cause, à la sublimité[[3:Μεγαλοτεχνον.]] du style. L’exemple le plus célèbre qu’on ait en ce dernier genre, est l’Hercule de Lysippe, qui n’avoit qu’un pied de haut, et remplissoit autant l’imagination que l’Hercule Farnese. Comme cette statue s’est perdue, je me contenterai de citer une partie de la description qu’en donne Stace[[3:Hæc inter castæ genius tutelaque mensæ,
Amphytryoniades, multo mea cepit amore
Pectora, nec longo satiauit lumina uisu.
Tantus honos operi, firmosque inclusa per artus
Maiestas ; Deus ille Deus : seseque uidendum
Indulsit, Lysippe, tibi, paruusque uideri
Sentirique ingens ; et cum mirabilis intra
Stet mensura pedem, tamen exclamare libebit.
(Si uisus per membra feras) hoc pectore pressus
Vastator Nemes, etc. Lib. IV Syluarum.
Parmi ces chefs-d’œuvres, le Génie tutélaire de ce chaste festin, le fils d’Alcmene attira toute mon attention, et mes yeux, après l’avoir long-temps considéré, ne pouvoient s’en rassasier, tant le travail en est surprenant, tant ses membres nerveux renferment de majesté. Ce Dieu, oui ce Dieu lui-même, O Lysippe, s’est laissé voir à toi, il a voulu, par un contraste inoui, étonner les yeux par sa petitesse et remplir l’ame de toute sa grandeur ; quoique ses proportions merveilleuses soient réduites à l’espace d’un pied, on ne peut s’empêcher de s’écrier en le voyant, oui, ce sont-là les bras qui étoufferent le monstre de Némée.]].
B — Le Jupiter de Phidias et l’Hercule de Lysippe, sont deux exemples de la supériorité du génie des Grecs ; et l’on peut dire que, s’ils ont perfectionné la nature, c’est moins en abandonnant ses proportions, qu’en enchérissant sur les idées qu’elle leur fournissoit.
, p. 164-165
Les anciens étaient si convaincus de son importance[[5:la troisième partie du drame, les caractères ou les mœurs.]], qu’ils appeloient expressément la peinture, un art représentatif des mœurs, Ηθοποιητος τεχνη[[5:Callistratus in descrip. stat. Æscul. Aristides Thebanus animum pinxit et sensus omnes expressit, quos vocant Graeci ηθη ; id est, perturbationes. Plin. lib. XXXV. 10.]]. Aristote, dans sa Poëtique, dit de Polygnote qu’il était le Peintre des mœurs, Ηθογραφος, et reproche à Zeuxis d’avoir manqué par cet endroit. Voici la description d’un tableau qu’on lit dans Philostrate[[3:Επιδηλος ὁ μεν Ιθακησιος, απο του σρυφνου καὶ εγρηγοροτος, ὁ δε Αγαμεμνων, απο του ενθεου, τον δε του Τυδεως ελευθερια γραφει, γνωριζοις δ’αν και τον Τελαμωνιον, απο του βλοσηρου, και τον Λοκρον απο τοθ ἑτοιμου. Philostrat. in Antilocho.]] : « On reconnoît, dit-il, au premier coup d’œil, Ulysse à sa sévérité et à sa vigilance, Menelas à sa douceur, Agamemnon à une sorte de majesté plus qu’humaine ; un air de liberté brille dans le fils de Tydée ; Ajax frappe par son humeur altiere et chagrine, et Antiloque par sa vivacité. » Donner aux divers personnages les affections et les mouvements analogues à leur caractere particulier, voilà en quoi consiste le moral de la peinture[[3:Ηθων ἱστωρια. Callist. In Descrip. stat. Narcissi.]].