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TitreDescription d’un tableau représentant le sacrifice d’Iphigénie, peint par M. Carle Vanlo
AuteursCaylus, Anne-Claude Philippe de Tubières, comte de
Date de rédaction
Date de publication originale1757
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Date de reprint

, p. 16-19

Agamemnon debout et placé entre la tente et le bucher est entièrement vû de face. L’artiste n’a rien caché de sa douleur ; elle est empreinte sur tous les traits de son visage ; on lit dans ses yeux tout l’abbatement de son ame. Il ne pleure point, sa douleur est trop profonde ; ses mains élevées jusqu’à sa poitrine sont jointes et s’accordent avec ses regards, pour reprocher au ciel la rigueur de ses ordres. Il n’est point tourné du côté de sa fille, il a jetté sur elle ses derniers regards, il ne la verra plus, Calchas a le bras levé. Ce prince est vétu richement et convenablement au Roi qui commande à tant de Rois. Cette magnificence, loin de détruire l\'expression de la douleur, la rend peut être encore plus forte, en conduisant l\'esprit par des routes cachées à l\'idée des malheurs attachés à l\'humanité, et dont la pompe et la majesté du trône ne garantissent pas les monarques. Le trépied, les vases, les haches placées près d’Agamemnon et au pied du bucher, présentent les riches et funestes apprêts du triste sacrifice.

Calchas lui-même, tout inflexible que les poëtes le dépeignent, est attendri, en levant le couteau sur sa victime ; cependant il est prêt à frapper. Le jeune sacrificateur qui lui a présenté le fer, baisse les yeux et semble vouloir se cacher derriere lui, pour ne pas voir porter le coup. Le victimaire est placé sur un plan plus bas, c’est-à-dire au-dessous d’une marche sur laquelle est élevé un autel simple et qui sert de base au bucher. Il tient une bassine pour recevoir le sang de la victime : il est à genoux, et malgré l’habitude où il est de voir couler le sang, il baisse les yeux et détourne la tête. Il a les épaules nues, et il est ceint de ses vétemens. Ses chairs qui contrastent admirablement avec les draperies de ce beau grouppe servent à en étendre la lumiere. On voit sur un plan plus éloigné un prêtre et quelques soldats différemment occupés de l\'action dont ils sont témoins.

Un soldat posté derrière le jeune sacrificateur, semble vouloir détourner sa robe pour voir porter le funeste coup qu’il craint de voir porter cependant. Sa position indique à la fois ces deux mouvements : il est à genoux, et il paroît s’être avancé par un motif de curiosité. Sa main droite est étendue pour déranger la robbe du jeune prêtre ; son regard est ému et son attitude pleine d’action, mais action renfermée dans le caractère inférieur et subordonné d’un accessoire.

Dans :Timanthe, Le Sacrifice d’Iphigénie et Le Cyclope (Lien)

, p. 19-22

La composition est terminée de ce côté-là par un grouppe de guerriers. Les personnages qui le composent présentent un des plus beaux effets du tableau, et la partie de l\'art dans laquelle le génie a peut être le plus operé. Ils sont frappés de l’arrivée de Diane. Cette déesse fond et plane sur le bucher ; elle place du même mouvement la biche qui doit satisfaire pour Iphigenie. L’empressement de Diane ne saurait être ni plus sensible, ni plus frappant : elle n’a point de char, elle n’est portée sur aucun nuage[[3:Diane se soutient en l’air sans le secours du nuage qui l’accompagne.]], sa volonté seule l’apporte ; on voit qu’un clin d’œil a suffi pour l’amener, et que son arrivée annonce une révolution. En effet le grand prêtre a qui la déesse semble parler d’aussi loin qu’elle a pû se faire entendre, suspend l’action dont on est occupé ; un instant plus tard le coup étoit porté. Mais la main de Calchas s’entrouvre, et le couteau va lui échapper. Les soldats frappés de l’arrivée de Diane sont les seuls qui puissent l’appercevoir, ou du moins bien distinguer son action. La position des autres personnages, et l\'accablement dans lequel ils sont plongés, ne leur permet point de prévoir, et encore moins de démêler un dénouement si extraordinaire ; ces soldats au contraire sont de face et placés dans le rayon de la vûe, le corps en arriere, la bouche ouverte, les mains étendues ; toutes leurs expressions indiquent les sentimens de surprise, d’admiration, d’espérance dont ils sont pénétrés.

La peinture n’a qu’un instant : elle ne présente d’ordinaire que la catastrophe des événemens, c’est-à-dire un seul moment principal. Ici l’artiste a reculé les bornes de l’art ; il en a étendu la puissance et l’énergie. Jusqu’à présent les peintres annoncoient le dénouement ; M. Vanlo l’a prononcé. Ce trait de génie toutefois ne détruit en aucune maniere l’intérêt de l’action : le spectateur n’en est frappé qu’après avoir versé des pleurs sur le malheur d’Iphigénie. L’artiste a plus fait encore : il a employé la ressource adroite de donner à quelques-unes de ses figures l’expression que le spectateur doit recevoir. C’étoit le seul moyen de le prévenir sur l’impression que doit nécessairement produire le premier aspect.

Dans :Timanthe, Le Sacrifice d’Iphigénie et Le Cyclope (Lien)

, p. 25-27

Malgré le respect que j’ai pour l’Antiquité, je ne louerai point Timanthe d’avoir voilé le visage d’Agamemnon. L’objet qu’on prête à cet artiste présente quelque chose de séduisant et même de sublime. On dit que Timante après avoir épuisé toutes les ressources de son art pour exprimer les différentes douleurs qu’il avait à représenter, selon les dégrés convenables aux caractères et à la sensibilité des personnages qui assistoient au sacrifice d’Iphigenie, désespéré de ne trouver aucune expression pour rendre la douleur d’Agamemnon, prit le parti de lui voiler le visage. Ce procedé si vanté par les orateurs et par les poètes et dont l’application peut être en effet fort utile à l’éloquence et à la poësie, me paroît dans la peinture un contresens, et si j’ose dire, une absurdité. Chaque passion a son expression et son langage ; mais les nuances en sont infinies, et ces nuances qui la plûpart sont inaccessibles à l’éloquence et à la poësie, parce que les langues sont plus propres à exprimer les vues de l’esprit qu’à rendre les mouvemens de l’ame, ont dans la peinture des ressources et des moyens qu’aucun artiste ne pourra jamais épuiser.

Ainsi je suis persuadé que Timante n’avoit couvert les yeux d’Agamemnon du pan de sa robbe, que pour copier fidélement Euripide, et que les historiens peu exacts sur les parties des arts, ou trop amis de l’hyperbole, ont mal conçu l’objet du peintre, ou ont altéré la tradition d’un fait très-simple en soi. Le Brun frappé des éloges donnés à Timante, a voulu l’imiter dans son tableau de Jephté[[3:Ce tableau de la premiere maniere de Le Brun, est dans le cabinet de Monsieur Delalive, bon connoisseur et bon François, qui a rassemblé avec autant de soin que de dépense, tous les maîtres de l\'Ecole françoise en peinture et en sculpture, et qui en a formé un très beau cabinet]]. Il a placé en effet le manteau du pere entre lui et sa fille ; mais son visage est découvert au spectateur, ce qui donne à la douleur paternelle une expression plus étendue.

Dans :Timanthe, Le Sacrifice d’Iphigénie et Le Cyclope (Lien)