Type de texte | source |
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Titre | Correspondance littéraire, philosophique et critique |
Auteurs | Grimm, Friedrich Melchior |
Date de rédaction | |
Date de publication originale | 1877:1882 |
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, t. III, p. 430-431
Ce tableau[[5:Le sacrifice d’Iphigénie de Van Loo.]] mérite sans doute des éloges à plusieurs égards ; mais il y a aussi de grands défauts à relever. Je ne parle pas des petits détails, comme de ce soldat placé derrière le petit sacrificateur dont M. de Caylus fait un éloge si pompeux, et qui est la figure la plus maussade qu’on puisse trouver ; j’irai à des reproches plus graves. Plusieurs connaisseurs ont remarqué que les draperies de ce tableau avaient l’air d’être collées sur la chair des personnages ; ce n’est pas ainsi qu’il faut flatter le nu ; la figure d’Iphigénie est froide, elle a l’air d’une personne qui dort ; la douleur d’Agamemnon est commune, c’est un homme qui lève les yeux et les bras au ciel ; il n’y a point de génie dans tout cela ; même la figure de Clytemnestre ne me touche pas ; celle de Calchas m’a paru fort noble et fort belle. Le censeur de M. Van Loo lui reproche durement cette Clytemnestre froidement évanouie pour perpétuer la triste monotonie de son tableau. Il aurait voulu voir cette mère infortunée en fureur courir à l’autel pour arracher sa fille au glaive qui la menace, et les chefs des Grecs occupés à la retenir. On a relevé l’injustice de cette critique. Peut-on reprocher à un peintre d’avoir suivi sa pensée plutôt que celle d’un autre, surtout quand on ne peut prouver que la sienne est fausse et mauvaise ? Ce n’est pas tout. Dans le cas dont il s’agit, c’est la pensée du censeur qui me paraît fausse. Clytemnestre doit être livrée à tous les excès du désespoir aussi longtemps qu’Iphigénie n’est point sur l’autel ; dès ce moment redoutable où elle ne peut plus être sauvée par aucune puissance humaine, sa mère doit succomber sous le poids de la douleur, et tomber sans vie : voilà la gradation de la nature. Le désespoir le plus profond suppose une étincelle d’espoir ; quand cette étincelle a disparu, on n’est plus furieux, mais on meurt. Un reproche juste qu’on peut faire à M. Van Loo, c’est de n’avoir pas mis les personnages les plus célèbres à la place de ces simples soldats ; j’aurais volontiers supprimé Clytemnestre, mais est-il permis d’avoir oublié Ulysse, qui a joué un si grand rôle dans cette affaire ? Quel personnage à peindre ! M. Diderot aurait voulu le voir embrasser Agamemnon dans ce moment terrible, pour lui dérober, par ce mouvement de pitié feinte, l’horreur du spectacle ; cela aurait été admirablement dans le caractère d’Ulysse. Je ne sais si l’effet d’une pensée aussi déliée aurait été assez frappant en peinture.
[...] Qui est-ce qui osera se flatter de trouver une idée plus heureuse que celle du peintre de l’Antiquité qui, désespérant d’exprimer la douleur d’Agamemnon pendant l’horrible cérémonie du sacrifice, lui cacha le visage d’un voile ? Un des peintres de notre école, et je crois que c’est Coypel, ayant à traiter le même sujet, a répété cette pensée ; et croyant devoir l’embellir, il met bien le voile entre le père et la fille, mais, au lieu de cacher par ce moyen le visage d’Agamemnon, il le tourne du côté de ceux qui regardent le tableau, sans doute pour leur dire : Voyez, Messieurs, si mon peintre n’est pas plus habile que celui de l’Antiquité. Rien n’est si ridicule que cette fatuité, ni plus froid que tout ce tableau.
Dans :Timanthe, Le Sacrifice d’Iphigénie et Le Cyclope (Lien)