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TitreAnecdotes des beaux-Arts, contenant tout ce que la peinture offre de plus piquant chez tous les peuples du monde
AuteursNougaret, Pierre Jean Baptiste
Leprince, Thomas
Date de rédaction
Date de publication originale1776
Titre traduit
Auteurs de la traduction
Date de traduction
Date d'édition moderne ou de réédition
Editeur moderne
Date de reprint

( t. I), p. 227

Antiphile est l’inventeur du grotesque, à prendre ce mot dans la signification qu’on lui donne communément pour exprimer quelque chose de plaisant et de ridicule. Antiphile s’étant un jour amusé à charger les traits d’un nommé Gryllus, peut-être peu favorisé des dons de la nature, ce portrait fut tellement goûté, qu’on appela Gryllus, les caricatures, les représentations chargées, et que, par la suite, on donna aussi le même nom à tous les tableaux qui se voyoient à Rome, dont les figures pouvaient exciter le rire. C’est ainsi que de nos jours on nomme bambochades, certaines peintures, et c’est encore ainsi que nous disons une figure à Calot, quand elle est chargée de quelques ridicules. 

Dans :Antiphilos et le Gryllos ; Calatès, Calliclès et les tableaux comiques(Lien)

(t. I), p. 205-206

[[4:suit Apelle et Alexandre]] Apelle ayant représenté Alexandre sous la forme de Jupiter, et la foudre à la main, reçut vingt talens de ce génereux prince (96000 livres). Cet argent ne lui fut pas compté ; on couvrit le tableau de pièces d’or, qui se trouvèrent monter à-peu-près jusqu’à cette somme. Cette manière si peu usitée, de récompensée le mérite d’un artiste, donna lieu de dire, en parlant de ce tableau, que le prix n’en fut pas réglé au poids, mais à la mesure

Ce portrait étoit si ressemblant et si plein d’énergie, qu’on disoit communément dans la Grèce, « qu’il y avoit deux Alexandres, l’un invincible, fils de Philippe ; l’autre inimitable, celui d’Apelle ».

Dans :Apelle, Alexandre au foudre(Lien)

(t. I, Peinture ), p. 11

Le roi Antigonus perdit un œil à la guerre ; Dioclès, disciple d’Apelle[[3:D’autres disent que ce fut Apelle lui-même.]] , voulant cacher ce défaut dans le portrait du prince, le représenta vu de côté ; en sorte que le spectateur trompé s’imaginoit que c’étoit l’attitude du prince qui cachait un de ses yeux, et non un défaut réel. Telle est l’origine des portraits en profil.

Dans :Apelle, le portrait d’Antigone(Lien)

(t. I), p. 202

Personne n’a pu jusqu’à présent retrouver le secret d’un certain vernis, dont Apelle faisoit usage, auquel Pline attribue trois qualités essentielles. 1° Il adoucissoit les couleurs et conservoit leur éclat. 2° Il ménageoit la vue du spectateur. 3° Il garantissoit l’ouvrage de la poussière.

Dans :Apelle, atramentum(Lien)

(t. I), p. 213-214

Peu s’en fallût qu’Apelle n’éprouvât combien est dangereuse la colère d’un roi justement offensé. Dans un voyage qu’il fit par mer, une tempête l’obligea de relâcher à Alexandrie ; quelque soin qu’il eût sans doute de se cacher, les envieux que son mérite lui avoit suscités à la cour du roi d’Égypte, apprirent bientôt que le hasard venoit de le conduire auprès d’eux ; sachant que Ptolémée ne l’aimoit pas, ils le firent inviter à souper de la part de ce prince. Ne pouvant se dispenser d’obéir, et ne se doutant point d’ailleurs qu’on cherchât à lui jouer un mauvais tour, Apelle se rendit au Palais. Ptolémée, aussi mécontent qu’étonné de sa vue, manda tous ceux qui étaient chargés d’avertir les convives, et dit au peintre de montrer celui qui l’avait invité. Apelle ne le trouvant point parmi ces officiers, prit un charbon et traça sur la muraille le portrait de celui qui l’avoit fait venir : alors le roi reconnut que c’étoit son bouffon et ne témoigna rien davantage au peintre, sinon qu’il le traita avec beaucoup de froideur.

Dans :Apelle au banquet de Ptolémée(Lien)

(t. III), p. 174

Élien est encore moins croyable lorsqu’il nous dit qu’Apelle, piqué du jugement qu’avait porté Alexandre sur un de ses ouvrages, où ce héros était représenté à cheval, introduisit dans son atelier un cheval vivant, qui en voyant le tableau se mit à hennir, d’où le peintre avait pris occasion de dire : « Ô roi ! voilà un cheval qui se connaît en peinture beaucoup mieux que vous. » Conte absurde, indécent, grossier, qu’on est surpris de trouver dans un auteur grec, et que j’ai honte de rapporter.

Dans :Apelle, le Cheval(Lien)

, "Estime qu’ont fait de la peinture les plus grands hommes, tant anciens que modernes" (numéro t. I, §VI) , p. 25

Cicéron rapporte que, si Alexandre défendit à tout autre peintre qu’à Apelle de faire son portrait, et à tout autre sculpteur qu’à Lysippe de faire sa statue, ce n’étoit pas seulement par envie d’être bien représenté, mais afin de ne rien laisser de lui qui ne fût digne de la postérité la plus reculée. « Il étoit persuadé (ajoute Cicéron) que la supériorité qu’ils s’étoient acquise dans leur art, contribueroit autant à sa gloire qu’à la leur ».

Dans :Apelle et Alexandre(Lien)

, Estime qu’ont fait de la peinture les plus grands hommes, tant anciens que modernes (numéro t. I, §VI.) , p. 204-205

Alexandre ne dédaignoit pas d’aller souvent chez Apelle, tant pour jouïr des charmes de la conversation, que pour le voir travailler et devenir le premier témoin des merveilles produites par son pinceau. Le conquérant de l’Asie étoit même si prévenu en faveur d’Apelle, que, par un édit public, il défendit expressément à tout autre peintre de faire son portrait.

Ce prince vouloit encore qu’il lui parlât librement. Un jour que le monarque voyoit travailler l’artiste, et que ce prince raisonnoit fort mal sur la peinture, Apelle lui conseilla tout doucement de traiter un sujet qu’il connût mieux. « Ne voyez-vous pas, ajouta-t-il, que ces jeunes garçons, qui broyent mes couleurs, ne font que sourire entr’eux de vos discours ? »

On prétend aussi qu’Apelle reprit d’une manière moins ménagée le Grand-Prêtre de la Diane d’Éphèse, qui voulut s’aviser de parler peinture avec lui. — « Tandis que vous avez gardé le silence, lui dit-il, l’or et la pourpre, dont vous êtes revêtu, vous rendoient estimable à ceux qui ne vous connoissoient aucunement ; mais depuis que vous avez commencé à discourir de choses que vous n’entendez point, les garçons qui broient mes couleurs n’ont pu s’empêcher de rire. »

Dans :Apelle et Alexandre(Lien)

(t. I), p. 207-212

Une des plus grandes victoires d’Alexandre est de s’être vaincu lui-même, dans l’occasion dont nous allons parler. On jugera de l’estime et de l’amitié que le Conquérant de la moitié du monde avoit pour Apelle. Alexandre étoit vivement épris d’une jeune personne nommée Campaspe[[3:Les anciens auteurs varient sur le nom de Campaspe.]], et voulut qu’Apelle en immortalisât les traits. S’apercevant que le peintre devenoit très sensible aux charmes de la beauté, à mesure qu’il cherchoit à les rendre, il lui céda cette aimable personne, qui s’était si bien peinte dans le cœur de l’artiste qui s’efforçoit à représenter toutes ses grâces.

Voici comment un poëte[[5:Jean-François de Saint-Lambert, dans « Le Triomphe d’Alexandre ».]] de nos jours a raconté cette histoire, embellie par ses vers enchanteurs :

La Grèce et l’Orient, aux pieds de leur vainqueur,

Jouïssoient d’une paix profonde;

Alexandre, content dans ce repos du monde,

À ses goûts sans réserve abandonnoit son cœur.

Des festins et des jeux, dans les murs d’Ecbatane,

Remplissoient ses moments, varioient ses plaisirs ;

Statira, Taïs et Roxane

Partageoient tour à tour et comblaient ses désirs.

Mais des rivages de l’Hydaspe,

Un objet plus charmant transporté dans sa cour,

Eut bientôt fixé son amour :

Alexandre est d’abord tout entier à Campaspe.

Eh ! quelle autre beauté méritoit ses regards ?

La main de la nature et le travail des arts

N’avoient jamais formé d’aussi parfait modèle.

Après avoir jouï de mille voluptés,

Le héros plus ardent revenoit auprès d’elle,

Caresser, parcourir, admirer des beautés,

Et découvroit sans cesse une beauté nouvelle.

Un jour, en la quittant, il fait venir Apelle :

J’exige de ton art un chef-d’œuvre nouveau ;

Des mortelles, dit-il, viens peindre la plus belle ;

C’est un sujet digne de ton pinceau,

Va préparer tes couleurs et ta toile[[3:Selon toute apparence, on ne peignoit point aors sur toile ; mais c’est ici une licence poétique.]].

Je veux que de son lit, conduite devant nous,

Elle s’offre à tes yeux sans parure et sans voile :

Tous ses traits sont charmants ; il faut les peindre tous.

Mais je crains pour ton cœur le pouvoir de ses charmes.

Ah, Seigneur ! soyez sans alarmes :

D’une esclave dans l’Inde autrefois amoureux,

Je touchois, dit Apelle, au moment d’être heureux :

Le Scythe sur ces bords ayant porté ses armes,

Nous sépara sans doute pour jamais ;

Mais rien ne pourra désormais

L’effacer de mon cœur, ni suspendre mes larmes.

Il dit, part et revient. Un soleil radieux

Éclaire le sallon où Campaspe est entrée,

Et le jour éclatant de la voûte azurée

Sembloit à ce spectacle inviter tous les yeux.

Contemple, dit le roi, ce que j’offre à ta vue :

Admire, peins, tu ne flatteras pas.

Les yeux baissés, Campaspe nue

Rougit, tourne la tête, et n’ôse faire un pas.

Elle tient sur son sein une main étendue ;

Et l’autre en descendant, couvre d’autres appas.

Ah ! que vois-je ! s’écrie Apelle,

Je ne me trompe point, c’est elle-même, ô dieux !

Ses regards languissans errent longtemps sur elle,

Ils vont de son rival interroger les yeux,

Il y voit du plaisir, il frissonne, il soupire :

Une injuste fureur et le plus tendre amour,

La joie et la douleur l’agitent tour à tour ;

Il gémit, il adore, il déteste, il désire.

Elle lève les yeux, reconnoît son amant,

Jette un cri, soupire et recule,

Regarde Apelle tendrement,

Voir son danger et dissimule.

Ces soupirs d’un cœur enflammé,

Ces cris sont entendus ; Apelle a vu qu’on l’aime :

Ah, dit-il, mon rival, au sein du plaisir même,

Est moins heureux que moi, puisqu’il est moins aimé.

Campaspe, vis-à-vis d’Apelle,

Voudroit ne se montrer qu’aux yeux de son amant.

Mais Alexandre est auprès d’elle,

Et veut la voir à tout moment

Dans une attitude nouvelle.

Sur les charmes les plus secrets,

Il porte quelquefois une vue inquiette.

Mais la toile est placée, et les pinceaux tout prêts ;

Et malgré sa douleur secrette, 

Le peintre a commencé de dessiner les traits.

À mon malheur, dit-il, j’ajoûte encor moi-même ;

Je vais à mon rival préparer des plaisirs ;

Je vais multiplier l’objet de ses désirs :

Sous ses yeux, en tout temps, il aura ce que j’aime :

Et moi toujours contraint par de cruels égards,

Je cacherai loin d’elle et mes pleurs et ma rage.

Plus tendre que prudent, il portoit ses regards,

Chaque instant sur l’objet, rarement sur l’ouvrage ;

Et mille fois le bras vers la toile tendu,

S’arrête et tient en l’air le pinceau suspendu.

Les yeux étincelans auprès d’elle, Alexandre

A peine à commander à ses sens irrités ;

Il couvre de baisers un sein et des beautés

Que Campaspe, en tremblant, veut et n’ôse défendre :

Contre les attentats d’un maître impérieux

Campaspe invoque tous les dieux,

Jette sur son amant le regard le plus tendre ;

Le voit pâlir et détourner les yeux :

Elle s’élance entre les bras d’Apelle.

Tous deux, fondant en pleurs, tombent aux pieds du roi :

« C’est là cette esclave si belle

Qui sur les bords de l’Inde avoit reçu ma foi. »

Apelle à son rival n’en dit pas davantage.

Campaspe veut parler ; la crainte et les sanglots 

À sa voix affoiblie ont fermé le passage.

Le visage attaché sur les pieds du héros,

Ils pressent ses genoux de leurs mains défaillantes :

Ils lèvent jusqu’à lui leurs paupières tremblantes,

Et lisent dans ses yeux sa jalouse fureur ;

Peut-être dans leur sang va-t-elle être assouvie.

Ils remplissent d’amour ces moments de terreur,

Et se donnent du moins les restes de leur vie ;

Ils se tendent leurs bras que la crainte a glacés,

Et, baignés de leurs pleurs, se tiennent embrassés.

Alexandre, longtemps spectateur immobile,

Laisse errer ses regards sur eux ;

Il paraît méditer sur leur état affreux,

Et conserver une fureur tranquille.

Mais, son front tout à coup devenu plus serein,

Il se penche vers eux, et leur tendant la main :

« J’ai tout vaincu, dit-il, je me vaincrai moi-même.

Apelle, en te l’ôtant, je n’en jouïrois pas :

L’image de tes pleurs me suivroit dans ses bras,

Campaspe dans les miens plaindroit l’amant qu’elle aime. »

Dans :Apelle et Campaspe(Lien)

(t. I), p. 218-219

Dès qu’Apelle avoit achevé un tableau, il l’exposoit sur la galerie de sa maison, aux regards des passants, et, caché lui-même derrière son ouvrage, il écoutoit la critique des spectateurs, afin de corriger les défauts qu’on lui reprochoit justement. Un cordonnier passant un jour devant la maison d’Apelle, et y trouvant un tableau exposé de la sorte, observa que le peintre avoit mis une couronne de moins aux sandales d’une figure : Apelle fit aussitôt disparoître cette petite négligence. Le cordonnier, tout fier du succès de sa remarque, s’avisa le lendemain de censurer mal à propos une jambe ; Apelle, indigné de l’ignorance de ce prétendu connoisseur, sortit alors de sa cachette ; et, le regardant avec mépris : « Arrête, dit-il, et ne t’avise pas de passer la sandale ». Cet avis judicieux fut reçu en proverbe dans toute la Grèce : ne sutor ultra crepidam (Cordonnier, ne passe pas la chaussure), y disoit-on aux ignorans, qui vouloient s’ingérer de parler de choses qu’ils n’entendaient point.

Dans :Apelle et le cordonnier(Lien)

(t. I), p. 203

[[4:suit Hélène belle et Hélène riche]] Un autre peintre malhabile se glorifioit de travailler très promptement, et disoit en montrant un tableau : « Je l’ai fait en un moment ». Apelle lui répondit : « On le voit bien ».

Dans :Apelle et le peintre trop rapide(Lien)

(t. I), p. 214-215

Protogène vivoit à Rhodes, et sa réputation parvint jusqu’à Apelle, qui, à force d’en entendre parler, conçut le dessein d’aller voir lui-même le peintre, et les ouvrages dont on lui rapportoit tant de merveilles. Il s’embarqua pour Rhodes, et, dès qu’il fut arrivé, courut avec empressement chez Protogène ; mais n’y trouvant qu’une vieille esclave, qui gardait l’attelier de son maître, et un tableau monté sur le chevalet, où il n’y avoit encore rien de peint ;  « — Dans quel endroit est Protogène ? dit-il à cette femme, qui ne le connaissoit pas. — Il est sorti, répondit-elle, mais afin que mon maître sache qui l’a demandé, ayez la bonté de laisser votre nom. — Le voici, dit Apelle : — prenant alors un des pinceaux qui étaient là, avec un peu de couleur, il dessina sur le tableau, où l’on ne voyoit encore rien de tracé, les premiers linéamens d’une figure : après quoi, il s’en alla. Protogène, étant de retour, fut enchanté des traits qu’il vit dessinés, et ne fut pas longtemps à deviner leur auteur. — « C’est Apelle, s’écria-il ; car il n’y a que lui au monde qui soit capable d’un dessin de cette finesse et de cette légèreté. » — Piqué d’une noble émulation, Protogène prit le pinceau, et, avec une autre couleur, il essaya de l’emporter sur ce nouveau rival, en décrivant d’autres contours, encore plus corrects et plus délicats que ceux d’Apelle ; et ordonna à la vieille esclave, au cas que le peintre reparût, de lui montrer ce qu’il venait de faire, et de lui dire, en même temps, que c’était là l’homme qu’il cherchait. Apelle revint en effet ; et, ne voulant pas qu’il fût dit qu’il eût été surpassé dans les premiers principes de la peinture, il reprit le pinceau, et, avec une couleur différente des deux autres, il conduisit des traits si savants et si merveilleux, parmi ceux qui avaient été tracés, qu’il épuisa toute la subtilité de l’art. Protogène, étant rentré chez lui, n’eut pas plutôt distingué ces derniers traits, qu’il s’écria : — « Je suis vaincu, et je cours embrasser mon maître ». — Il vôla au port, en disant ces mots, où ayant rencontré son rival, il lia avec lui une amitié sincère, qui ne se démentit jamais. 

Pline nous assure que ces deux excellents peintres convinrent entr’eux de laisser toujours dans le même état le tableau qui leur avoit servi à se connaître, sans jamais y toucher, prévoyant bien qu’il ferait un jour l’admiration de la postérité, quoiqu’il n’offrît aux yeux que les seules ébauches du dessin. Ce tableau, transporté à Rome longtemps après, sut charmer en effet tous les Romains, pendant plusieurs siècles, jusqu’au temps d’Auguste, où il périt malheureusement dans un incendie qui consuma le palais de ce prince.

Pline affirme qu’il a vu ce tableau, et qu’il a longtemps admiré la délicatesse du pinceau des deux premiers peintres de la Grèce. Mais un certain savant en us nommé Ludovicus de Montiosus, ôse soutenir que Pline n’a jamais vu de lignes sur ce tableau et qu’il n’y en avoit point ; il ajoûte que le bonhomme s’est imaginé les voir, parce qu’il avait ouï dire qu’elles existoient, et qu’il avoit bien voulu penser comme les autres, pour ne pas s’attirer le reproche de ne voir goute[[3:Perrault, Parallèle des Anciens et des Modernes.]]. 

Dans :Apelle et Protogène : le concours de la ligne(Lien)

(t. I), p. 241

Perrault, voulant diminuer le mérite de ce trait du Giotto, assure que Ménage lui a dit avoir connu un moine, qui, sans être peintre, faisait non seulement d’un seul trait de plume un O parfaitement rond, mais qui, en même temps, y mettait un point justement dans le milieu[[3:Parallèle des anciens et des modernes, Tome I.]].

Dans :Apelle et Protogène : le concours de la ligne(Lien)

(t. I), p. 203

Apelle louoit volontiers les talents de ses rivaux ; il se permettoit seulement de dire à leur sujet : « Ils réunissent toutes les perfections de la peinture ; mais il leur manque une partie essentielle, la grâce : dans celle-ci, je suis le seul qui n’ait point d’égal. »[[3:Et la grâce plus belle encore que la beauté … dit un de nos poètes modernes.]]

Dans :Apelle supérieur par la grâce(Lien)

(t. I), p. 217

Apelle remarqua que Protogène péchoit souvent par trop de correction et d’exactitude ; ce qui lui fit dire, que Protogène étoit son égal en bien des choses, et pourroit même toujours le surpasser, s’il savoit quand il faut quitter le pinceau.

Dans :Apelle et la nimia diligentia(Lien)

(t. I), p. 203-204

Apelle rencontra un jour la courtisane Phryné, encore toute jeune, qui, portant une cruche d’eau, revenoit du Pirée[[3:Le port d’Athènes.]] ; il fut tellement épris de sa beauté naissante, qu’il l’amena souper avec lui, et avec plusieurs de ses amis. Comme on le plaisantoit sur l’extrême jeunesse de Phryné : « Je vous prédis, leur dit-il, qu’elle effacera toutes les beautés d’Athènes, et je vous promets que cet enfant verra quelque jour à ses pieds des vieillards et des sages ».

Apelle surprit un jour cette Phryné, qui, venant de se baigner, n’étoit seulement couverte que de ses cheveux, dont l’ébène éclatant relevoit la blancheur d’une peau admirable. Apelle, rentré chez lui, l’ame remplie de ce charmant spectacle, et vivement amoureux de Phryné, conçut l’idée de peindre sa fameuse Vénus, sortant des eaux. Le prodigieux succès de ce tableau dut enorgueillir la belle Phryné, puisque Vénus n’étoit que son image, et qu’elle servoit ordinairement de modèle lorsqu’on vouloit représenter la mère de l’amour[[3:Nous verrons aussi le sculpteur Praxitèle prendre pour modèle cette courtisane si fameuse. Pline dit que la Vénus sortant des eaux était le portrait de Campaspe. Nous avons cru devoir suivre le récit d’Athénée, liv. 13.]]

Dans : Apelle, Praxitèle et Phryné(Lien)

(t. I), p. 219

Apelle avoit commencé à peindre une Vénus, lorsque la mort le surprit au milieu de son ouvrage : ce tableau resta toujours imparfait ; aucun peintre n’ayant jamais ôsé entreprendre de l’achever.

Dans :Apelle, Vénus inachevée(Lien)

(t. I ), p. 11

Les artistes, en mettant leur nom au bas des productions de leur génie, n’osoient assurer que l’ouvrage fût achevé, quoiqu’ils eussent fait tout leur possible pour le perfectionner. Nous en voyons des preuves sur les statues grecques, où l’on trouve, par exemple, Glycon d’Athènes faisoit cet ouvrage ; Praxitèle faisoit cet ouvrage, etc. etc. En craignant de se servir du prétérit fecit (a fait), ils reconnoissoient qu’il n’y avoit point d’ouvrage si accompli où l’on ne pût ajouter quelque nouvelle perfection. Ils plaçoient aussi cette inscription au bas de leurs tableaux, ou de leurs statues : c’est l’ouvrage d’un tel. [[4:suite : peintres archaïques]]

Dans :« Apelles faciebat » : signatures à l’imparfait(Lien)

(t. II ), p. 451

D’autres dédaignoient, par modestie, de se faire connoître, et ne gravoient pas même une seule lettre de leur nom, ou bien ils n’annonçoient point qu’ils avait fait tel ouvrage, mais qu’ils le faisoient ; donnant à entendre par là qu’ils n’ôsoient le regarder comme entièrement fini.

Dans :« Apelles faciebat » : signatures à l’imparfait(Lien)

(t. I), p. 224-225

Un des tableaux de ce célèbre Aristide causoit la plus vive émotion : il représentoit une ville saccagée ; l’objet principal étoit une femme expirante d’un coup de poignard reçu dans le sein ; un enfant, couché à côté d’elle, se traînoit vers ses mamelles, et vouloit chercher la vie entre les bras de sa mère mourante : le sang dont cette malheureuse femme étoit inondée, le poignard qu’on voyoit encore dans son sein, cet enfant que l’instinct de la nature jettoit dans ses bras, l’agitation, l’effroi, la tendresse de cette mère, qui repoussoit doucement son fils, dans la crainte qu’il ne suçât du sang, et qui luttoit contre une mort cruelle, en même temps qu’elle paraissoit éprouver les plus vives inquiétudes de l’amour maternel ; tous ces objets rendus avec la dernière vérité, portoient le trouble dans les cœurs les plus insensibles. Aristide fit ce tableau pour donner une juste idée des horreurs de la guerre[[3:[1] Il semble que ce peintre ait prophétisé ce qui devoit arriver plus de deux mille ans après lui, à Quimper-Corentin, ville de Bretagne. Voici ce qu’on lit dans l’Histoire de France, par Villaret, tom. 8, pag. 427. « Charles de Blois, en 1345, ayant pris d’assaut Quimper-Corentin, la garnison et les malheureux habitans, sans distinction de sexe ni d’âge, furent passés au fil de l’épée. Dans la foule des morts et des mourans, on trouva un enfant entre les bras de sa mère égorgée, la bouche encore attachée sur le sein de cette infortunée, qu’il pressoit de ses lèvres, y cherchant en vain des restes de lait, confondus avec le sang. Ce spectacle désarma la férocité du vainqueur ; Charles de Blois fit cesser le carnage. » Si un pareil événement n’étoit point arrivé du temps d’Aristide, le peintre prévoyoit donc tout ce que la guerre peut avoir d’affreux.]].

Dans :Aristide de Thèbes : la mère mourante, le malade(Lien)

, « Peinture » (numéro t. I) , p. 181

Bularque, né en Lydie, fleurissait dans la XVIIe Olympiade, vers l’an du monde 3288, et 712 ans avec J.-C. Bularque est le plus ancien des peintres grecs, dont il soit fait une mention positive. Il vivoit en même temps que Romulus. Il représenta la bataille que Candaule, roi de Lydie, livra aux Magnésiens. Ce prince fut si charmé du tableau, qu’il voulut absolument l’acheter au poids de l’or.

Dans :Bularcos vend ses tableaux leur poids d’or(Lien)

, "Remarques intéressantes sur l'origine de la sculpture" (numéro vol. II, "Sculpture", §X) , p. 441-444

Dédale est mis à la tête des sculpteurs grecs, non pas comme le plus habile, mais comme le plus ancien ; il naquit dans Athènes, quarante ans avant le siége de Troye ; ses ancêtres, dit-on, avoient régné dans l’Attique. On débite aussi sur le compte de cet artiste, des choses très-fabuleuses, et qui sont d’autant moins vraisemblables, qu’il vivoit dans un temps trop près de l’origine de l’Art, pour avoir pu le porter au point de la perfection. Il est même douteux qu’aucun statuaire ait jamais eu le nom de Dédale ; car, selon Pausanias, Dédale en grec veut dire ouvrier adroit, artiste habile, ou bien un ouvrage fait avec intelligence : il ajoûte qu’on donnoit ce nom aux statues de bois, longtemps avant le siécle où l’on place Dédale. […] Ce qu’il y a de certain, c’est qu’avant Dédale, les statues grecques avoient les yeux fermés, les bras pendans et comme collés le long du corps ; c’étoit pour la plupart des figures qui se terminoient en gaîne. Dédale leur ouvrit les yeux, [[3: Ceci ne semble-t-il pas contredire ce que nous avons dit plus haut, d\'après M. l\'Abbé Barthélémy, que les statues n\'eurent des prunelles que du temps de l\'Empereur Adrien? Il est vrai qu\'elles n\'eurent des prunelles qu\'alors, quoique depuis Dédale elles eussent les yeux ouverts.]] leur dégagea les bras et les mains, et, leur séparant les jambes et les pieds, leur fit prendre l’attitude d’une personne qui marche. Cette perfection causa la plus vive surprise à des peuples encore barbares : dans leur admiration stupide ils débitèrent que les statues avoient du mouvement, qu’elles marchoient, qu’elles agissoient par des ressorts cachés ; et ces contes ridicules sont parvenus jusqu’à nous. Si l’on ajoutoit foi au récit de quelques auteurs anciens, on seroit tenté de regarder le fameux Dédale comme un faiseur de marionnettes, ou comme un faiseur de tours de gibecières. « Par le moyen d’un peu de vif-argent coulé dans la tête et dans les pieds de ses statues, nous disent-ils très sérieusement, il avoit l’art de les faire mouvoir et marcher : on étoit même contraint de les attacher quelquefois de peur qu’elles ne s’enfuient. » Mais c’est trop nous arrêter à des histoires fabuleuses ; faisons connaître l’art par des traits qu’on ne sauroit révoquer en doute. Nous ne répéterons point ici que les Grecs ne sont nullement les premiers peuples qui aient cultivé la sculpture[[3:V. Pausanias, liv. 1.]]. Ils ne l\'ont même pas perfectionnée, s\'il en faut croire un savant auteur moderne.[[3: M. L\'Abbé Comte de Guasco]]

Dans :Dédale et l’invention de la sculpture(Lien)

(t. I), p. 4-7

§I. Ancienneté de la peinture : L’ombre des corps, produite par le soleil, a dû frapper les premiers hommes ; ainsi, le soleil peut être regardé comme l’origine de la peinture. Platon l’appelle ingénieusement le plus habile de tous les peintres.

§II. Origine de la peinture. Dans cette première supposition, qui n’est point dénuée de vraisemblance, quelques auteurs ont écrit qu’une bergere, pour conserver le portrait de son amant, traçoit avec sa houlette une ligne sur l’ombre que le visage du jeune homme faisoit sur le sable. D’autres attribuent tout simplement l’origine de la peinture à des bergers qui imprimèrent avec leur houlette des traits sur la terre ; l’un d’eux suivit les extrémités de l’ombre que ses moutons y formoient.

La belle Dibutade, fille d’un potier de Sicyone, passe généralement pour la créatrice des arts. Son amant alloit s’éloigner d’elle, et vint lui faire ses adieux. Les larmes et les plaisirs partagèrent des momens qu’ils croyoient ne devoir jamais renaître. Enfin, le jeune homme, accablé de la douleur d’une séparation prochaine, et plongé dans l’ivresse de son amour, s’endormit auprès de celle qu’il adoroit. La simple lueur d’une lampe éclairoit ces deux amants, et renvoyoit l’ombre du visage du jeune homme sur la muraille prochaine. Dibutade s’aperçoit pour la première fois de cet effet naturel ; inspirée par l’amour, elle veut conserver au moins les traits de celui qui va la quitter ; elle prend un charbon, et d’une main conduite par le plaisir, elle trace le portrait de l’objet de sa tendresse, en suivant les extrémités de l’ombre qui l’a frappée, et qu’elle voit se fixer avec étonnement. Voilà, dit-on, ce qui donna la première idée de la peinture, et ce qui fit naître ensuite la sculpture, et généralement tous les arts qui dépendent du trait.

Le père de Dibutade trouva l’invention de sa fille tout à fait singulière, et résolut d’en tirer parti. Pour cet effet, il appliqua de l’argile, l’étendit exactement jusqu’à la circonscription de l’objet ; il en fit ainsi une espèce de modèle, qu’il durcit au feu avec les ouvrages auxquels il travailloit ordinairement. Pline assûre[[3:Lib. 35.]] que ce premier essai de plastique fut conservé à Corinthe jusqu’à l’an 608 de Rome.

Pour revenir à la peinture, on lui donne encore une autre origine. Selon d’anciens auteurs, ce fut un jeune homme à qui l’amour inspira la première idée du dessein. Son amante alloit se séparer de lui ; lorsque, remarquant l’ombre que le soleil levant renvoyait sur un mur, il la fit approcher de cette muraille, et traça avec un charbon le profil du visage de celle qu’il idolâtroit. « Puisqu’il faut (lui dit-il) que je sois privé pendant quelque temps du plaisir de te voir, j’aurai du moins la douceur de contempler cette foible image, qui calmera une partie des peines que va me faire éprouver ton absence. » Les mêmes historiens ajoûtent, que la jeune personne, aussi tendre, aussi sensible, profita de l’heureux stratagème de son amant dont elle emporta les traits sur un voile qu’elle sut garder avec le plus grand soin.

C’est à la fille de Bélus[[3:L’un des premiers rois d’Assyrie, connu aussi sous le nom de Baal, ou Bel.]] que nous devons le dessein, s’il en faut croire d’autres historiens. Cette princesse (disent-ils) voyant l’ombre de son père contre une muraille, en suivit les contours à l’aide d’un charbon. Si cette histoire étoit vraie, elle prouveroit que l’amour filial a fait naître la peinture.

§III. Ce que fut la peinture en Grèce, aux premiers siècles de son origine. Tout le travail des premiers artistes consistoit à suivre les traits de l’ombre que les corps forment, quand ils sont exposés au soleil, ou bien lorsqu’ils se trouvent entre une lumière quelconque, selon l’exemple qu’en avoit donné la tendre Dibutade.

Dans :Dibutade et la jeune fille de Corinthe(Lien)

(t. I), p. 12

La première femme qui ait manié le pinceau, se nommoit Timarète ; elle naquît dans la Grèce, et se fit une grande réputation. 

Dans :Femmes peintres(Lien)

, p. 231

LALA, fille grecque, fleurissoit à Rome, 33 ans avant Jésus-Christ. Le beau sexe a de tout temps cultivé les arts. Lala, grecque d’origine, et qui vécut en Italie, s’est distinguée dans la peinture. Elle sculptoit très délicatement en ivoire, et fit de cette manière plusieurs portraits. Les talens de cette artiste, justement applaudis, engagèrent les Grecs à lui élever une statue, qui est parvenue jusqu’à nos jours[[3:On la voit à Rome dans le Palais Justiniani.]].

Lala demeura toujours vierge, et ne voulut jamais se marier : elle disoit, pour excuser sa conduite, que le trouble des passions, et que les embarras d’un ménage, causoient des distractions qui pouvoient éteindre le feu du génie.

Dans :Femmes peintres(Lien)

, p. 234

MARTIA, dame romaine, fleurissoit vers l’an 3920. Cette fille du célèbre et savant Marcus Varron, se distingua dans la carrière des beaux-arts. Elle conserva soigneusement sa virginité, afin de s’adonner plus tranquillement à la peinture. Ses mœurs étoient si pures, que, quoique son pinceau eût pu rendre de grands sujets, elle ne voulut jamais peindre des hommes, parce que l’usage de son temps étoit de représenter le corps humain sans aucune draperie.[[3:Choix des Mercures, tom. 5.]]

Dans :Femmes peintres(Lien)

, t. III , p. 16

Myron. On sait les louanges qui ont été justement prodiguées à la vache admirable jetée en bronze par cet excellent artiste : la représentation en était si vraie, que les bœufs, trompés par l’apparence, venaient souvent se ranger autour, et que ceux qui voulaient les en chasser avaient peine à reconnaître l’ouvrage de l’art, d’avec les animaux naturels.

Dans :Myron, la Vache(Lien)

(t. I), p. 16

Les Grecs donnèrent, par un décret solennel, le premier rang à la peinture entre les arts libéraux ; ils voulurent qu’elle fût la première leçon que reçussent les enfants de naissance noble ; qu’il n’y eût que les personnes libres qui pussent l’exercer, et ils en interdirent absolument l’usage aux esclaves.

Plusieurs républiques de la Grèce poussèrent même l’estime qu’elles avoient pour les excellents peintres, jusqu’à leur donner des villes entières.

Un tableau de Parrhasius, fait pour Ephèse, sa patrie, lui valut de la part de ses concitoyens une robe de pourpre et une couronne d’or.

Le même Parrhasius, ayant fait le portrait de Thésée ; et Silanion, la statue de ce héros, méritèrent que les Athéniens leur sacrifiassent un bélier tous les ans[[3: On verra que le Thésée de Parrhasius pouvoit moins valoir que celui du peintre Euphranor. V. aux peintres anciens, l\'article de cet artiste.]]

Dans :Pamphile et la peinture comme art libéral(Lien)

, t. I, p. 201

Cet artiste joignit les sciences à la peinture, et disoit qu’un peintre qui ne possédoit point parfaitement les mathématiques, ne pouvoit jamais être habile dans sa profession.

Pamphile se fit un plaisir d’enseigner son art ; mais afin de ne donner ses leçons qu’à des jeunes gens de bonnes familles, il ne prenoit aucun élève qu’à raison de dix talens[[3:S’il s’agissoit ici du talent attique, ce serait 48000 livres, argent de France : somme qui paroît furieusement exagérée, ainsi que la plûpart de celles dont nous ferons mention dans l’article des peintres grecs.]], et pour dix années d’apprentissage. Ce ne fut qu’à ces conditions qu’Apelle obtint d’être placé au rang de ses disciples. Par les soins de Pamphile, la peinture, beaucoup plus honorée qu’elle ne l’étoit avant lui, fut mise à la tête des arts libéraux ; et il fit rendre un édit formel qui l’interdisoit absolument aux domestiques et aux esclaves, et qui n’en permettoit la pratique qu’aux nobles seulement.

Dans :Pamphile et la peinture comme art libéral(Lien)

, t. I, p. 192-194

On peut dire que la vanité de Parrhasius surpassa de beaucoup celle de Zeuxis. Il se donnoit hardiment à lui-même les épithètes les plus flatteuses et les sur-noms les plus relevés ; par exemple, ceux de tendre, de moëlleux, de magnifique, de délicat, de consommateur de l’art, sorti originairement d’Appollon, et né pour peindre les Dieux. Il assuroit qu’Hercule lui apparoissoit souvent ; et que, s’il avoit si bien représenté ce demi-dieu, c’est qu’il l’avoit copié d’après nature. Il osoit encore ajouter qu’il étoit le Dieu de la peinture. Non content de se donner toutes ces louanges, il s’habilloit de pourpre, portoit une couronne d’or, avoit toujours à la main une canne fort riche, et il n’y avoit pas jusqu’aux attaches de ses souliers qui ne fussent d’or.

Il est vrai que Parrhasius avoit reçu de ses concitoyens la robe de pourpre et la couronne d’or qu’il portoit ordinairement, et qu’il étoit excusable, en quelque sorte, de se plaire à montrer aux Grecs la marque glorieuse de l’estime que sa patrie lui avoit témoigné.

Il accompagnoit encore ses tableaux d’inscriptions orgueilleuses, telles qu’un artiste modeste auroit à peine pu les souffrir d’une main étrangère.

L’amour-propre de Parrhasius éclatoit jusque dans les motifs des mortifications qu’il éprouvoit quelquefois. Ayant été surpassé par Timanthe, dans la composition d’un tableau qu’il avoit fait au concours, il fut assez présomptueux pour se consoler par le sujet même qui avoit été la matière du combat. C’était un Ajax, outré de colère contre les Grecs de ce qu’ils avoient accordé à Ulysse les armes d’Achille. « Contemplez mon héros, dit Parrhasius à toute l’assemblée ; son sort me touche encore plus que le mien. Voyez comme il paroît outré de l’arrêt injuste qui le déshonore une seconde fois ».

Tout somptueux qu’étoit Parrhasius, et quoiqu’il poussât la vanité jusqu’à faire consister le vrai mérite dans la magnificence des meubles et des habits, il vouloit cependant être mis au rang des sages ; il écrivoit souvent au bas de ses tableaux : l’honnête et vertueux Parrhasius a peint ceci.

Qu’on juge de quel amour de la sagesse il étoit animé. Il s’amusoit à représenter en petit les sujets les plus obscènes. De pareilles peintures n’étoient, disoit-il, qu’un jeu, qu’un délassement de son esprit. On remarque, ainsi que nous l’avons dit ailleurs, qu’un de ses tableaux licencieux étant passé à Rome, et ayant été légué à l’Empereur Tibère, avec cette clause, que, s’il étoit choqué de l’indécence du sujet, il recevroit, au lieu du tableau, un million de sesterces (environ 75000 livres) ; Tibère le préféra à cette somme, quoique son avarice fût excessive.

Dans :Parrhasios : orgueil(Lien)

, t. I, p. 239

Le Giotto eut sa bonne part de la vanité qui anime trop souvent la plupart des artistes : à l’exemple de Parrhasius, il écrivoit au bas de ses ouvrages son nom en lettres d’or.

Dans :Parrhasios : orgueil(Lien)

, t. I, p. 193 

[[4:suit Parrhasius orgueil]] Parrhasius acheta un prisonnier, qui avoit été longtemps esclave du roi Philippe, et l’ayant conduit à Athènes, il le fit mourir dans les tourments, afin qu’il pût lui servir de modèle pour un Prométhée, qu’il peignoit attaché sur un rocher, dans l’instant que le vautour, envoyé par Jupiter, lui dévore le foie. On assûre que Parrhasius eut la barbarie de prolonger le supplice du malheureux esclave, et de l’exciter à souffrir courageusement. — « Bon, lui crioit-il ; voilà une attitude excellente ; la douleur est bien marquée. Déchirez-le, ajoutait-il à ceux qui le tourmentoient, déchirez-le, il me faut de nouveaux traits de douleur. » Enfin, l’esclave expira dans des souffrances inouïes[[3:Cette histoire, qui fait frémir, est rapportée par plusieurs auteurs anciens. Voir aussi Choix des Mercures, tome 5.]].

Quand on sut le crime de Parrhasius, on cessa d’admirer son tableau. On cita l’artiste devant l’Aréopage, où les orateurs, qui florissoient alors dans Athènes, déployèrent toute leur éloquence contre le coupable, qui trouva pourtant un habile défenseur, auquel il fut redevable d’être préservé du supplice. Mais Parrhasius est à jamais déshonoré, par ce trait affreux de barbarie, s’il est possible qu’il soit véritable[[3:Cette histoire n’aurait-elle pas donné l’idée de celle qu’on a débitée sur Michel-Ange ? Voyez l’article de ce grand-homme, aux peintres italiens, année 1474.]].

Dans :Parrhasios, Prométhée(Lien)

, t. I, p. 308-309

Selon quelques auteurs, Michel-Ange voulant mettre tout son art dans la représentation d’un Christ, engagea un homme du peuple à lui servir de modèle, et à se laisser attacher sur une croix. Lorsqu’il l’eut fortement lié, comme dans le seul dessein de lui faire prendre une attitude convenable, il perça, dit-on, le côté de ce malheureux, qui rendit bientôt sa vie avec tout son sang. S’il en faut croire les inventeurs de cette histoire, l’artiste commit une pareille cruauté, afin de mieux saisir l’air et les traits d’un homme mourant. Mais il est probable que cette fable n’a été inventée et n’a eu cours parmi le peuple, que par l’extrême vérité qu’on remarque dans le Christ de Michel-Ange, qui paroît peint d’après nature.

Dans :Parrhasios, Prométhée(Lien)

, t. I, p. 198

Mais c’est à l’amour que Pausias dut toute son habileté et sa plus grande réputation. La belle Glycère, bouquetière d’Athènes, eut la gloire de le charmer. Sans cesse auprès de sa maîtresse, il s’amusoit quelquefois à copier les fleurs dont elle formoit des guirlandes et des couronnes ; et devint en ce genre le plus fameux peintre de la Grèce. Inspiré, conduit par l’amour, il peignit Glycère, et saisit l’un de ces instants heureux où la belle, laissant tomber des fleurs qu’elle assortissoit avec art, exprimoit dans ses yeux pleins de langueur toute l’ivresse du sentiment. Ce tableau fut si généralement admiré, que Lucullus, aussi célèbre à Rome par son luxe que par ses exploits militaires, en paya la seule copie 9400 livres[[3:Deux talens.]]. Qu’auroit-il donc donné de l’original ?

Dans :Pausias et la bouquetière Glycère(Lien)

, t. I, p. 7-8

On fut longtemps à dessiner sans aucune couleur, et à l’employer que du charbon, ou quelque autre matière noire. L’art de peindre consistoit alors à former les figures d’un seul trait, ou d’une simple ligne ; et comme la représentation étoit très informe, les premiers artistes imaginèrent d’écrire au bas du tableau le nom de la chose qu’ils avoient voulu peindre. Cet usage s’observait surtout pour les figures des animaux, dont quelques-unes se ressemblaient entre elles.

Un ancien auteur français[[6:Étienne Binet.]], voulant louer Apelle, dit à ce sujet : « Il ne faisoit pas comme ces badauds, qui étoient si niais, que, pour peindre un cheval, ils faisoient un âne ou un bœuf, et encore si mal fagoté, qu’il falloit écrire en gros caractères, Messieurs, ceci est un buffle, ceci est un âne ; encore mentaient-ils ; car ils étoient deux : lui, le beau premier, et puis celui encore qu’il avoit peint ; et encore, ne sais qui étoit le plus âne ».

Dans :Peintres archaïques : « ceci est un bœuf »(Lien)

, « PHIDIAS » (numéro t. III) , p. 24

On raconte quelques traits singuliers qui prouvent la profonde connaissance qu\'avait Phidias de l\'optique et de la géométrie. Un jour on lui montra l\'ongle d\'un lion, et il jugea à la seule inspection, de quelle grandeur était cet animal.

Alcamène et lui furent chargés de faire chacun une statue de Minerve, afin que l’on pût choisir la plus belle des deux, que l’on voulait placer sur une colonne fort élevée. Les deux statues étant finies, on les exposa aux yeux du public. La Minerve d’Alcamène, vue de près, parut admirable et eut tous les suffrages. Celle de Phidias, au contraire, fut trouvée hideuse, et l’on se moqua de Phidias et de sa statue. Cet artiste, sans s’étonner de ce mauvais succès, dit au peuple d’Athènes : « Mettez ces statues où elles doivent être, et vous les jugerez ensuite ». On les plaça l’une après l’autre sur la colonne : alors la Minerve d’Alcamène perdit tout son mérite, au lieu que celle de Phidias frappait par un air de grandeur et de majesté qu’on ne pouvait se lasser d’admirer. On rendit à Phidias l’approbation que son rival lui avait surprise ; et Alcamène se retira couvert de confusion ; non qu’il ne fût un habile sculpteur, mais il ignorait les règles de l’optique[[3:Mem. De l’Acad. Des B. Lettr. T. IX, p. 192, Parall. Des Anc. et des Modernes, par Perrault, T. I, p. 153. Fables de la Motte, édit. In-4°, p. 48.]]. [[4:suite : Phidias Jupiter]]

Dans :Phidias et Alcamène, le concours pour Athéna(Lien)

, « PHIDIAS », t. III, p. 24-26

[[4: suit Phidias et Alcamène]] Phidias excellait sur-tout à bien représenter les dieux. « Phidias, dit Cicéron, lorsqu’il avait dessein de faire produire à son ciseau un Jupiter ou une Minerve, ne contemplait aucun objet matériel ; il avait recours à son propre esprit ; il y étudiait les idées qu’il s’était formées de la beauté, de la dignité ; et d’après ces images qui étaient parfaites en son âme, il semblait donner au marbre la vie et le mouvement. »

« Si Phidias forme l’image de Jupiter, s’écrie Sénèque, il semble que ce dieu va lancer la foudre. S’il représente Minerve, on dirait qu’elle va parler pour instruire ceux qui la considèrent, et que cette sage déesse ne garde le silence que par modestie. »

Les expressions de Quintillien (sic)[[3:Lib. 12, cap. 10.]] ont encore plus de force : « Ceux qui voyaient, dit-il, sa fameuse statue de Jupiter Olympien, saisis d’étonnement, demandaient si le dieu était descendu du ciel en terre pour se faire voir à Phidias ; ou si Phidias avait été transporté au ciel pour contempler le dieu. » Ailleurs il ajoute : « La beauté des chefs-d’œuvre de Phidias semble ajouter quelque chose à la vénération que la Religion inspire, tant la majesté de l’ouvrage approche de celle de Dieu même ». « On adore Phidias dans ses ouvrages, observe Lucien, il partage notre encens avec les dieux qu’il a faits ».

Cet artiste interrogé où il avait pris l’idée sublime de son Jupiter Olympien, ne fit d’autre réponse que de citer les trois beaux vers d’Homère, où ce poéte représente la majesté du dieu en termes magnifiques : Phidias voulut faire entendre par-là que c’était le génie d’Homère qui l’avait inspiré.

Paul Emile se trouvant à Olympie, n’eut pas plus tôt jeté les yeux sur ce chef-d’œuvre à jamais célèbre, qu’il en fut ému et touché comme s’il avait vu le dieu lui-même, et il s’écria, dans les transports de son admiration : « Le Jupiter de Phidias est le véritable Jupiter d’Homère[[3:Hist. Anc. de Rollin, t. IX, p. 169, éd. de 1745.]] ».

Dans :Phidias, Zeus et Athéna(Lien)

, t. I, p. 185

Pauson étoit habile, et vécut toujours dans l’indigence : son extrême misère donna lieu au proverbe, Pausone mendicior (plus gueux que Pauson). C’est peut-être là l’origine de notre proverbe françois, qui n’est certainement applicable qu’aux mauvais artistes ; gueux comme un peintre. Quelqu’un chargea Pauson de lui peindre un cheval se roulant sur la poussière ; mais il le représenta dans l’attitude d’un cheval fougueux, qui semblait galopper avec rapidité. Celui qui avoit commandé le tableau, se fâchant de ce que ses intentions n’avoient point été suivies, et refusant de payer le peintre, Pauson ne fit que renverser le tableau ; alors le cheval parut couché à terre et comme on l’avoit souhaité.

Dans :Polygnote, Dionysos et Pauson : portraits pires, semblables, meilleurs(Lien)

, t. II, p. 134

Mignard n’aimoit point à faire des portraits de femmes, quoiqu’il en ait peint un grand nombre. « La plupart des femmes, disait-il quelquefois, ne savent ce que c’est que de se faire peindre telles qu’elles sont ; elles désirent de ressembler à l’idée qu’elles se sont formée de la beauté : c’est leur idée qu’elles veulent qu’on copie, et non pas leur visage. »

Dans :Le portrait ressemblant et plus beau(Lien)

, t. II, p. 199-200

Quoique Rigaud eût naturellement l’esprit très galant, il n’a jamais aimé à peindre les femmes : « si je les représente telles qu’elles sont, disoit-il, elles ne se trouveront pas assez belles ; si je les flatte trop, elle ne seront point ressemblantes. »

Dans :Le portrait ressemblant et plus beau(Lien)

, t. I, p. 222

Protogène avoit son atelier à l’extrémité d’un des faubourgs de Rhodes, lorsque Démétrius, fils d’Antigone, vint former le siège de cette ville ; la présence des ennemis, au milieu desquels il se trouvoit, et le bruit des armes qui retentissoit à ses oreilles, ne lui firent point quitter sa demeure, ni interrompre son travail. Démétrius apprit avec étonnement la sécurité de ce peintre, le fit venir, et lui demanda pourquoi il travailloit avec tant d’assurance dans les dehors d’une ville assiégée : « Je sais, répondit Protogène, s’armant d’une noble fermeté, je sais que Démétrius fait la guerre aux Rhodiens, et non pas aux arts. » Démétrius, charmé de cette réponse, fit placer une garde autour de l’atelier de Protogène, afin que l’artiste, au milieu même du camp ennemi, fût en repos ou du moins en sûreté : ce prince alloit souvent le voir travailler, et ne se lassait point d’admirer son application à l’ouvrage, et son extrême habileté.

Démétrius, zélé protecteur des arts, disoit que, plutôt que de souffrir que ses troupes gâtassent les tableaux de Protogène, il aimeroit mieux brûler les portraits de ses ancêtres, et même ceux de son père. Comme Protogène travailla au milieu de l’armée ennemie à son fameux tableau du Yalise, on disait, qu’il l’avait peint sous l’épée, c’est-à-dire parmi les traits et les armes.

Démétrius se vit réduit à brûler le quartier de Rhodes, dans lequel était l’Yalise, ce chef-d’œuvre de Protogène. Le fils d’Antigone aurait bien voulu n’en pas venir à cette cruelle extrémité, afin de se procurer un tableau dont il connoissoit tout le prix ; mais, contraint par la nécessité, et sachant, d’ailleurs, que l’endroit qu’il avait en vue était le plus foible, il alloit donner l’ordre d’attaquer la ville de ce côté-là, lorsque des députés vinrent le trouver de la part des Rhodiens. « À quoi vous amusez-vous, grand prince, lui dirent-ils, de vouloir détruire ce quartier avec le tableau estimé de la Grèce entière ? Qu’y gagnerez-vous, quand vous aurez tout réduit en cendres ? Vous trouverez encore des murs de l’autre côté, aussi redoutables que ceux des dehors de notre place. Ne seroit-il pas plus digne de vous, de nous attaquer par un autre endroit, et de conserver ce chef-d’œuvre de notre peintre, ou pour vous ou pour nous ? Si vous l’emportez par la voie qui vous est indiquée, nous serons tous à votre discrétion, et vous triompherez noblement, à la face de l’univers, et de nous et de notre Yalyse ; au lieu que, si vous vous obstinez à brûler le quartier où est le tableau, et que vous ayez le malheur d’échouer contre le reste, prenez garde qu’on ne dise dans le monde, que, n’ayant osé attaquer les Rhodiens d’une manière noble et généreuse, vous vous êtes amusé à faire la guerre à un peintre et à un tableau ». Ce discours, qui paroîtroit fort singulier dans le siècle où nous sommes, fit une grande impression sur Démétrius, et lui fournit une belle occasion de faire éclater sa grandeur d’ame. Pressé par Antigone, qui le rappeloit, et craignant d’échouer dans son entreprise, il feignit habilement de tout sacrifier aux arts, et peut-être même fut enchanté de montrer l’amour qu’il leur portoit : il leva le siège, et se retira[[3:V. l’Histoire ancienne, par Rollin.]].

Dans :Protogène et Démétrios(Lien)

, t. I, p. 220-221

Protogène fut sept ans à faire un tableau représentant le chasseur Ialise, fondateur d’une ville dans l’Ile de Rhodes. Pendant qu’il travailloit à cet ouvrage, ne pouvant rendre à son gré l’écume qui sortoit de la gueule d’un chien haletant, il jeta de dépit contre l’ouvrage son éponge imbibée des couleurs qu’il avoit essuyées de ses pinceaux ; il arriva que le hasard en fit plus que tous ses efforts : l’éponge alla directement frapper contre la gueule du chien, et les couleurs qui en rejaillirent formèrent une écume admirable, que l’art n’auroit jamais pu imiter aussi parfaitement.

La première fois qu’Apelle vit cet excellent tableau, il fut si surpris et si transporté d’admiration, que la voix lui manqua tout à coup ; enfin revenu à lui-même, il s’écria : « Travail qui surpasse l’effort humain, chef-d’œuvre de l’art ! Il ne te manque que ce je ne sais quoi, ces grâces, que je donne à tous mes ouvrages ». Protogène voulant assurer à son tableau du Yalyse une durée qui surpassât celle de tous les ouvrages de peinture, le couvrit de quatre couches différentes, afin qu’à mesure que le temps effaceroit une couleur, il en parût une autre aussi fraîche que l’ancienne.

Pendant les sept années qu’il travailla à cet ouvrage, il ne vécut que de pommes de terre bouillies dans l’eau, qui appaisoient en même temps la faim et la soif : il craignoit qu’une nourriture plus succulente ne troublât la vivacité de ses idées, et ne le détournât de son application.

Dans :Protogène, L’Ialysos (la bave du chien faite par hasard)(Lien)

, t. I, p. 199

Cet artiste[[5:Timomaque. Nougaret confond Théon et Timomaque.]], qui doit avoir joué un grand rôle dans la Grèce, représenta un homme armé de pied-en-cap, accourant à une irruption de l’ennemi. Il sembloit voler au combat ; la fureur étoit peinte dans ses yeux, il levoit le bras pour frapper, et l’on auroit dit qu’il étoit sur le point de n’épargner personne. Mais Timomaque s’avisa d’un singulier moyen pour faire sentir davantage le mérite de ce tableau. Avant que de l’exposer à la vue du peuple, selon la coutume de son temps, il fit sonner l’alarme, et jouer des fanfares guerrières à plusieurs musiciens, qu’il avoit rassemblés pour cet effet. Après avoir rempli l’imagination du spectateur, des dangers et des horreurs d’une attaque imprévue, il tira le voile, qui avoir jusqu’alors couvert son tableau, et le fit voir à tout le peuple, qui en conçut beaucoup mieux les beautés, et qui crut apercevoir réellement un soldat voler au combat.

Dans :Théon de Samos, l’Hoplite(Lien)

, t. I, p. 196-197

Ce peintre, dans son tableau du Sacrifice d’Iphigénie, s’efforça de rendre les passions qui devoient agiter les différents personnages présens à cette action, si célèbre dans l’Antiquité ; mais, désespérant de pouvoir exprimer toute la douleur dont Agamemnon étoit pénétré, à la vue de sa fille immolée sous ses yeux, par son ordre et pour le salut de la Grèce, il prit le parti de lui couvrir le visage d’un voile, laissant ainsi à deviner, par ce trait ingénieux, les sentimens qui ont dû se peindre sur le visage de ce père au désespoir, et que le peintre craignoit de représenter trop foiblement[[3:[1] On pourroit soupçonner que le poëte Euripide a fourni à Timanthe cette idée, qui fit tant d’honneur au peintre. Qu’il nous suffise de rapporter ce passage de son Iphigénie : « Lorsqu’Agamemnon vit sa fille, qu’on menoit dans le bois pour être sacrifiée, il gémit ; et, détournant la tête, versa des larmes, et se couvrit les yeux de sa robe ». Homère représente aussi le vieux Priam, qui se couvre le visage d’un voile, afin de cacher son extrême douleur. Iliade liv. 24. V la Dissertation de M. Cocquart, Mercure, 1740, Juin. Ce qui pourroit encore ôter à Timanthe une partie de sa gloire, c’est que dans les cérémonies funéraires, il étoit d’usage que les Grecs se couvrissent le visage. M. Guys, dans son excellent Voyage littéraire de la Grèce, observe même que ces peuples ont toujours porté, et portent encore une espèce d’écharpe, attachée au bout de leur robe, afin de s’en voiler la tête, dans certaines circonstances. V. la lettre 7, pag. 77, tom. I. Nous avons dit ailleurs que les peintres persans voilent le visage d’Ali, craignant de ne pouvoir en rendre la beauté.]].

Une autre fois Thimanthe eut recours à un expédient, peut-être plus ingénieux. Voulant faire concevoir la grandeur énorme d’un Cyclope endormi, qu’il avoit représenté en petit, il s’avisa de placer auprès de ce Cyclope une foule de Satyres, qui lui mesuroient le pouce avec une longue perche.

Dans :Timanthe, Le Sacrifice d’Iphigénie et Le Cyclope (Lien)

, t. I, p. 187

[[4:suit Zeuxis richesse]] Une foule d’autres traits servent encore à prouver l’excessive vanité de Zeuxis. Il mit au bas d’un de ses tableaux, représentant un athlète, ce vers grec, qu’on a traduit de la sorte en vers françois :

À l’aspect du Lutteur, dans lequel je m’admire,

En vain tous mes rivaux voudront se tourmenter:

Ils pourront peut-être en médire,

Sans pouvoir jamais l’imiter.[[3:Le vers grec se trouve dans Plutarque : mais il est appliqué au peintre Apollodore. En voici le sens en françois : « On le critiquera plus facilement qu’on ne l’égalera. »]]

Dans :Zeuxis, l’Athlète(Lien)

(t. I ), p. 187

Il ne se piquoit pas d’achever promptement ses ouvrages : comme on lui reprochait sa lenteur, il répondit qu’à la vérité il était longtemps à peindre, mais qu’il peignoit pour l’immortalité.

Dans :Zeuxis et Agatharcos(Lien)

, t. I, p. 188

Zeuxis rendit si parfaitement la nature, que les oiseaux vinrent plusieurs fois becqueter des raisins qu’il avoit peints dans une corbeille.

Parrhasius ôsa seul défier cet artiste, aussi habile qu’orgueilleux. Zeuxis produisit la représentation des raisins qui avoit trompé les oiseaux. Parrhasius ayant montré son ouvrage, Zeuxis impatient s’écria : tirez donc ce rideau ! C’était ce rideau même qui faisoit le sujet du tableau. Zeuxis alors s’avoua vaincu, puisqu’il n’avoit trompé que des oiseaux, au lieu que Parrhasius l’avoit séduit lui-même.

Quelque temps après, Zeuxis peignit un jeune garçon, qui portoit sur la tête un panier rempli de raisins. Il s’aperçut encore que les oiseaux, attirés par la ressemblance du fruit, s’approchoient pour le becqueter ; mais loin de s’en applaudir, il en conclut que son ouvrage avoit des défauts. Voici comment il raisonna : « Si les raisins ne sont pas mal, puisque les oiseaux y ont été trompés, il faut convenir que le jeune homme qui les porte, n’est guère bien, puisqu’ils n’en sont point effrayés ».

Dans :Zeuxis et Parrhasios : les raisins et le rideau(Lien)

, t. II, p. 150-151

Le Brun ayant achevé un tableau sur le devant duquel il avoit peint un grand chardon, représenté d’après nature, on mit ce tableau dans la cour de la maison où demeuroit Le Brun, afin de le faire sécher. Une bonne femme et son âne passèrent dans la rue ; l’âne n’eut pas plutôt apperçu le chardon du tableau, qu’il entre brusquement dans la cour, renverse la femme qui tâchoit de le retenir par son licou, et, sans deux garçons vigoureux qui, à force de coups de bâton, l’obligèrent à se retirer, il auroit mangé le chardon ; on peut dire qu’il l’auroit mangé, parce que le tableau étant nouvellement fait, il en auroit emporté toute la peinture avec sa langue[[3:Perrault, Parallèle des Anciens et des Modernes.]].

Dans :Zeuxis et Parrhasios : les raisins et le rideau(Lien)

, t. I, p. 189-190

Les habitans de Crotone[[3:Ancienne ville d’Italie, qui subsiste encore, dans le royaume de Naples.]] formèrent le dessein d’enrichir de belles peintures un de leurs plus superbes temples. Pour cet effet, ils firent à grands frais venir dans leur ville le célèbre Zeuxis, qui avoit la réputation d’être le premier de son art. Zeuxis voulant mériter le choix qu’on avoit fait de lui, dit au peuple de Crotone : « Afin de vous laisser le modèle d’une beauté parfaite, je me propose de peindre pour vous une Hélène. » L’offre fut acceptée avec la plus grande joie, les Crotoniates ne pouvant ignorer que Zeuxis excelloit surtout à peindre des femmes. Leur espérance ne fut pas trompée. « Où sont vos plus belles jeunes filles ? » leur demanda-t-il. Alors les Crotoniates le menèrent à l’Académie, où les jeunes gens, tout nuds, étoient occupés à se former dans leurs exercices ; comme il considéroit attentivement les proportions et les corps de cette jeunesse robuste, et ne pouvoit se lasser d’en faire l’éloge : « Courage ! lui dirent-ils ; nous avons les sœurs de ces beaux garçons, et vous pouvez juger des unes par les autres. » « Eh bien, dit le peintre, faites m’en voir quelques-unes des plus belles, pour me donner l’idée de l’Hélène que je vous ai promise. » Aussitôt les Crotoniates s’assemblèrent ; et, par un décret public, ils firent venir en un même lieu toutes leurs filles, en accordant à Zeuxis la liberté de prendre celles qu’il trouveroit dignes de lui servir de modèles. Il en choisit cinq, qu’on doit regarder comme des beautés parfaites, puisqu’elles furent jugées telles, par l’homme qui avoit la plus grande idée des perfections de la nature ; mais il la surpassa, lorsqu’il réunit dans un tout idéal les charmes des cinq belles personnes qu’il eut longtemps sous les yeux[[3:Ce morceau est tiré de Cicéron, De invent. Lib. 2, cap. I. Plusieurs auteurs disent que ce furent des filles d’Agrigente qui servirent de modèles à Zeuxis.]].

Denys d’Halicarnasse dit simplement que, Zeuxis travaillant à une Hélène, qu’il peignoit sans draperies, les Crotoniates, qui estimoient beaucoup son pinceau, lui envoyèrent les plus belles filles qu’ils purent trouver dans la ville, afin qu’il fît passer dans son tableau les grâces qui l’auroient le plus frappé.

Quoi qu’il en soit, les Crotoniates, enchantés de la belle Hélène, que le pinceau de Zeuxis avoit fait naître parmi eux, ne la montrèrent d’abord que difficilement, et encore pour de l’argent ; ce qui donna lieu d’appeler cet excellent tableau, Hélène la courtisane[[3:Des auteurs prétendent que Zeuxis ne peignit point Hélène pour les habitants de Crotone, mais Vénus ; et Juste-Lipse soutient que ce fut Junon. Bayle, Carlo Dati, et la plupart des auteurs sont pour une Hélène.]].

Un de ces hommes froids, et incapables d’éprouver la moindre émotion à l’aspect du beau, remarquoit des défauts dans ce fameux ouvrage : que ne pouvez-vous le voir avec mes yeux ! s’écria le peintre Callimaque. Le même Callimaque ne pouvoit se lasser d’admirer ce chef-d’oeuvre, et passoit régulièrement une heure ou deux à le considérer.

Dans :Zeuxis, Hélène et les cinq vierges de Crotone(Lien)

, t. I, p. 192

On prétend que Zeuxis ayant représenté une vieille avec un air extrêmement bizarre et grotesque, ce tableau le fit tant rire, qu’il en mourut[[3:On peut douter de ce trait, qui n’est rapporté que par un certain Verrius Flaccus, dont le célèbre grammairien Festus abrégea le livre intitulé : De verborum significatione.]].

Dans :Zeuxis mort de rire(Lien)

, "Estime qu’ont fait de la peinture les plus grands hommes, tant anciens que modernes" (numéro §VI) , t. I, p. 25

Quintilien dit qu’il n’est rien de si noble que la peinture, puisque les productions des autres arts se marchandent, et ont un prix fixe, tandis que la peinture n’en a point.

Dans :Zeuxis et la richesse(Lien)

, p. 187

Zeuxis acquit en peu de temps des richesses immenses. Lorsqu’il vit que la fortune avoit même surpassé tous ses vœux, il refusa de vendre ses tableaux, et les donnoit libéralement aux princes et aux villes qui avoient le plus d’admiration pour ses ouvrages ; « parce, disoit-il, qu’aucun prix ne pouvoit les payer. » Il se plaisoit beaucoup à faire ostentation de son extrême opulence. Il aimoit à paraître vétu magnifiquement, surtout dans les occasions d’éclat : aux jeux olympiques, il se montroit à toute la Grèce, couvert d’une robe de pourpre, avec son chiffre tracé en lettres d’or sur l’étoffe.

Dans :Zeuxis et la richesse(Lien)

, p. 190

Quoi qu’il en soit, les Crotoniates, enchantés de la belle Hélène, que le pinceau de Zeuxis avoit fait naître parmi eux, ne la montrèrent d’abord que difficilement, et encore pour de l’argent ; ce qui donna lieu d’appeler cet excellent tableau, Hélène la courtisane.

Dans :Zeuxis et la richesse(Lien)

, p. 205

Apelle ayant représenté Alexandre sous la forme de Jupiter, et la foudre à la main, il reçut vingt talents de ce généreux prince (96000 livres). Cet argent ne lui fut pas compté ; on couvrit le tableau de pièces d’or, qui se trouvèrent monter à peu près jusqu’à cette somme. Cette manière si peu usitée de récompenser le mérite d’un artiste, donna lieu de dire, en parlant de ce tableau, que le prix n’en fut pas réglé au poids, mais à la mesure.

Dans :Zeuxis et la richesse(Lien)

, "Remarques intéressantes sur l'origine de la sculpture" (numéro "Sculpture", §X) , vol. II, p. 444

[[4: suit Dédale]] Mais c’est trop nous arrêter à des histoires fabuleuses ; faisons connoître l’art par des traits qu’on ne sauroit révoquer en doute. Nous ne répéterons point ici que les Grecs ne sont nullement les premiers peuples qui aient cultivé la sculpture[[3:V. Pausanias, liv. 1.]]. Ils ne l\'ont même pas perfectionnée, s\'il en faut croire un savant auteur moderne.[[3: M. L\'Abbé Comte de Guasco]] \"Micon (sic) de Syracuse, dit-il, précéda de plusieurs années les habiles sculpteurs de la Grèce: c\'est de cet artiste qu\'étoit la genisse dont on a tant loué le travail, et qui étoit si parfaite, qu\'un taureau la prit pour une genisse veritable.\"[[3:De l\'usage des statues, pag. 88. Cependant tous les auteurs que nous avons consultés, disent que cette admirable genisse, tant célébrée dans l\'Anthologie, étoit de Myron, Athénien. V. ce que nous en avons rapporté plus haut, p. 398. D\'ailleurs, il est très-vrai que si les Grecs ne sont point les créateurs des arts, ils ont du moins la gloire de les avoir portés au comble de la perfection.]]

Dans :Myron, la Vache(Lien)

, "Chefs-d'oeuvre de la sculpture, tant anciens que modernes" (numéro vol. II, "Sculpture", §VII)

Tout ce que nous venons de dire dans le paragraphe précédent, ne peut aucunement nuire à un Art qui eut de nombreux admirateurs dans les plus beaux siécles de la Grèce et de Rome, et que les nations policées de l\'Europe s\'empresseront toujours d\'accueillir; on en doit seulement conclure qu\'il n\'est rien de si parfait dans le monde qui ne donne quelque prise à la critique. Tâchons de lui imposer silence, et de réveiller l\'attention du lecteur par le détail intéressant des principaux chefs-d\'oeuvre de la sculpture. La Vache en bronze de Myron, placée sans doute dans la campagne, étoit si parfaite, et d\'une imitation si vraie, qu\'il arrivoit souvent aux animaux de s\'y méprendre, et aux bergers de la compter pour une pièce de leur bétail, quand il venoit paître autour d\'elle.

Dans :Myron, la Vache(Lien)