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TitreTextes grecs et latins sur la peinture ancienne. Recueil Milliet
AuteursReinach, Adolph (éd.)
Date de rédaction1921
Date de publication originale1985
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Phryné, au milieu de la fête des Éleusinies et de celle des Poseidonies, sous les yeux de tous les Grecs réunis, défit son manteau, délia sa chevelure, et entra dans les flots : ce fut là pour Apelle le modèle de l’Aphrodite Anadyomène

, "La Fortune d’Alexandre", 2, 2 (Reinach 457)

Le peintre Apelle et le sculpteur Lysippe ont été aussi contemporains d’Alexandre ; le premier a peint Alexandre porteur de la foudre avec tant de vie et de perfection, que l’on a pu dire que des deux Alexandre l’un, le fils de Philippe, fut invincible, l’autre, celui d’Apelle, est inimitable.

, Vie d'Alexandre, 4

Apelle, quand il peignit Alexandre tenant en main la foudre, ne représenta pas son teint naturel ; il le fit plus brun et plus sombre qu’il n’était ; car on dit qu’Alexandre avait le teint blanc, et que cette blancheur se teintait de rose surtout sur sa poitrine et sur son visage.

, Reinach 404

Ce n’est pas par un simple effet de sa faveur que le grand Alexandre voulait être, de préférence, peint par Apelle et sculpté par Lysippe, mais parce qu’il pensait que leur art ne serait pas une moindre cause de gloire pour lui que pour eux.

((Reinach 405))

Ce même grand roi interdit par un édit que nul ne le peignît excepté Apelle ou qu’un autre que Lysippe ne fondît les bronzes qui reproduisaient les traits du vaillant Alexandre.

(XII), 34 (Reinach 411)

Apelle était épris de la concubine d’Alexandre, nommée Pankaspé, et orginaire de Larissa. Elle avait été, dit-on, la première maîtresse d’Alexandre.

, De l'envie, 22-23 (Reinach 421) (numéro LXXVIII)

Hélas ! N’as-tu jamais entendu l’histoire de ce peintre habile qui, ayant exposé un cheval, peinture admirable et d’une rare exactitude, ordonna, dit-on, à son garçon de rester auprès à observer les visiteurs et de se graver dans la mémoire pour les lui rapporter les critiques ou les éloges qu’ils formuleraient ? Or, voici les uns pour la tête, les autres pour les cuisses, d’autres encore pour les jambes, de dire que, si on les avait fait de telle ou telle façon, ce serait beaucoup mieux. Son garçon ayant rapporté cela au peintre, celui-ci exécuta un autre tableau en se conformant aux opinions et aux réflexions émises et ordonna de l’exposer à côté du premier. Il était complètement différent : autant le premier était exact, autant le second était affreux et ridicule, ressemblant à tout plutôt qu’à un cheval.

, "L'éducation des enfants", 9 (numéro Reinach 420)

Un mauvais peintre, dit-on, montrant ses tableaux à Apelle, lui dit : « Je viens de le peindre aujourd’hui ». Lui de répondre : « Je vois bien qu’il a été peint vite, et tu n’as pas besoin de me le dire : ce qui m’étonne, c’est que tu n’en aies pas peint un plus grand nombre ».

Apelle le peintre, ayant vu un de ses élèves peindre une Hélène couverte d’or, lui dit : « Jeune homme, ne sachant pas la faire belle, tu l’as faite riche ».

(II, 15, 32), Reinach 430

D’Antipatros de Sidon. Celle qui vient d’émerger du sein maternel des flots, c’est Kypris, l’œuvre laborieuse du pinceau d’Apelle. Voyez comment, saisissant sa chevelure toute imprégnée d’eau, elle exprime l’écume de ses boucles humides ! D’elles-mêmes, Athéna et Héra diront maintenant : « Nous n’entrons plus en conflit avec toi pour ta beauté. »

(n°431)

De Démokritos. Lorsque Kypris, les cheveux dégouttant d’écume marine, émergea nue des flots de pourpre, c’est ainsi qu’elle dut prendre dans ses mains, le long de ses joues blanches, les boucles de sa chevelure et qu’elle en exprima l’onde salée de l’Égée, ne montrant que sa poitrine seule, qu’il est permis de voir. Si elle est aussi belle, pardonnons la passion violente d’Ényalios.

(III, 202, 32), (Reinach 444)

de Julien d’Égypte. Elle vient de sortir du sein des flots, la déesse de Paphos, mise au jour par la main d’Apelle ; mais éloigne-toi promptement de la peinture si tu ne veux être mouillé par l’écume qui dégoutte de ses cheveux pressés. Si telle était Kypris quand elle s’est mise nue pour mériter la pomme, c’est injustement que Pallas a ravagé Troie.

(I, 164, 41), Reinach 429

De Léonidas de Tarente. La voici qui vient de sortir du sein de sa mère, toute bruissante encore d’écume, Kypris à la couche aimable, telle que la vit Apelle quand il a exprimé sa beauté merveilleuse non en peinture, mais vivante. Avec quelle grâce elle presse du bout des doigts sa chevelure, avec quelle grâce de ses yeux rayonne un désir apaisé, comme son sein, annonçant la force de la jeunesse, se gonfle en pomme savoureuse. Athéna elle-même et l’épouse de Zeus vont s’écrier : « O Zeus, nous sommes vaincus au concours ! »

Pour moi, comme, si Apelle avait vu sa Vénus ou Protogène son Ialysos couvers de boue, ils en auraient conçu, je crois, une bien vive douleur, de même je n’ai pas vu sans une vive douleur défiguré soudainement celui que j’avais peint.

Des couleurs versées au hasard sur un tableau peuvent reproduire des traits d’un visage. Mais crois-tu qu’une beauté comme celle de la Vénus de Cos puisse être reproduite en versant au hasard ?

Dans son tableau de Vénus, Apelle se place au sommet de l’art.

( (Reinach 439))

Si Apelle, le peintre de Cos, n’avait nulle part représenté Vénus, elle resterait cachée, plongée au fond des mers.

(592-597), p. 39-40

Bien plus, des œuvres grecques, tableaux, statues, nous ont souvent tenus en contemplation: ici c\'est la déesse de Paphos avec sa chevelure qu\'Amphitrite, sa mère, asperge de ses embruns; là c\'est la Colchidienne aux regards farouches avec ses petits enfants jouant à ses pieds; aileurs des assistants éplorés autour de l\'autel où vient se placer une biche, un père se couvrant le visage d\'un voile; ailleurs encore, ce bronze vivant, gloire de Myron: bref, mille travaux d\'artistes, avec des foules de visiteurs, nous retiennent devant eux.

(Reinach 443), p.106

Telle qu’elle vient d’émerger des ondes natives, vois Cypris, le chef-d’oeuvre d’Apelle : saisissant de ses deux mains ses cheveux trempés d’eau salée elle fait tomber l’écume de sa chevelure humide. Désormais, lui disent Junon et la chaste Pallas, désormais, Cypris, nous te cédons et nous te décernons le prix de la beauté.

, « Vers Rhodes », (Reinach 445)

Ἡ δὲ τὸν ἐκείνης λόγον ὑποφαίνει τῇ θέᾳ· ποιεῖ γὰρ σχήματα θαλάσσης, καὶ εἴποις ἄν τῇ γραφῇ κινεῖσθαι τὰ κύματα. Ἐκ μέσου δὲ ταύτης ἀνάγει τὴν Ἀφροδίτην ἀμήχανόν τε κάλλος καὶ οἷον ἔπρεπεν Ἀφροδίτῃ κεκτῆσθαι. Ἄγεται δὲ Τριτώνων ὀχήματι· ἄνθρωποι δὲ οὗτοι ἄνωθεν, λαγόνας  ἰχθύων φύσιν τὸ ἐντεῦθεν κληρουμένοι. Νηρεΐδων τε περὶ ταύτην χορός. Τοὺς δὲ δελφῖνας ἴδοις ἂν τούτους ὑφ’ ἡδονῆς νῦν μὲν δυομένους  τοῖς ὕδασι, νῦν δὲ τῶν κυμάτων ἀνίσχοντας. Τοιαῦτα μὲν τὴν Οὐρανίαν Ἀφροδίτην δημιουργοῦσιν αἱ τέχναι.

Dans :Apelle, Vénus anadyomène (Lien)

Ce que la poésie décrit, la peinture le montre. Elle rend les différents aspects de la mer, et l’on jurerait que l’écume remue sur le tableau. Du milieu de cette écume la peinture fait sortir Aphrodite, d’une indicible beauté, comme il convenait à Aphrodite. Elle s’avance sur un char conduit par des Tritons qui sont des hommes par la tête et le buste, mais dont la nature a fait des poissons par leurs flancs et le reste de leur corps. Le chœur des Néréides l’entoure. Et l’on peut voir les dauphins tantôt plonger en se jouant, tantôt émerger de l’écume : voilà comment Aphrodite Ourania est représentée par les artistes.

Apelle, ayant exécuté avec un art exquis la tête et le haut du buste de son Aphrodite, laissa inachevé le reste de son corps.

Posidonius écrit dans une lettre que P. Rutilius avait coutume de dire qu’aucun peintre ne s’était senti capable de terminer la partie de la Vénus de Cos qu’Apelle avait laissée inachevée ­– car la beauté du visage décourageait l’espoir de représenter le reste du corps – de même, ce que Panétius n’avait pas traité ou laissé inachevé, personne n’avait voulu le terminer à cause du caractère exceptionnel de ce qu’il avait réalisé.

(Reinach 265)

Le peintre Parrhasios d’Éphèse, à l’occasion de l’aventure dont nous venons de parler, l’échec subi par Ajax quand il s’agit de décerner les armes d’Achille, trouva une repartie ingénieuse. À Samos, dit-on, il avait représenté Ajax, en concurrence avec un artiste inférieur à lui, qui cependant l’emporta ; ses amis lui apportant leurs condoléances : « Je m’en soucie peu, dit-il, pour mon compte ; mais je suis navré pour Ajax, qui vient de subir une seconde défaite ».

, Épigrammes 58-68

58. Bucula sum, caelo genitoris facta Myronis

aerea, nec factam me puto, sed genitam

sic me Taurus init, six proxuma bucula mugit,

sic uitulus sitiens ubera nostra petit.

miraris, quod fallo gregem ? Gregis ipse magister

inter pascentes me numerare solet.

59. Vbera quid pulsas frigentia matris ahenae,

o uitule, et sucum laetis ab aere petis ?

hunc quoque praestarem, si me pro parte parasset

exteriore Myron, interiore deus.

60. Daedale, cur uana consumis in arte laborem ?

me potius claudae subiice Pasiphae.

Illicebras uerae si uis dare, Daedale, uaccae,

uiua tibi species uacca Myronis erit.

61. Errasti, attendens haec ilia nostra, iuuence,

non manus artificis lac dedit uberibus.

62. Pasce greges procul hinc, quaeso, bubulce, Myronis

aes, ueluti spirans, cum bubus exagites.

63. Me uitulus cernens immugiet, irruet in me

taurus amans, pastor cum grege mittet agens.

64. Aerea mugitum poterat dare uacca Myronis,

sed timet artificis deterere ingenium.

Fingere nam similem uiuae, quam uiuere, plus est,

Nec sunt facta dei mira, sed artificis.

65. Aerea bos steteram ; mactata est uacca Minervae,

sed dea proflatam transtulit hac animam.

et modo sum duplex, pars aerea, pars animata,

haec manus artificis dicitur, illa deae.

66. Quid me, taure, paras, specie deceptus, inire ?

non sum ego Minoae machina Pasiphaae.

67. Nec dum caduco sole iam sub uespere,

ageret iuuencas dum domum pastor suas,

suam relinquens, me minabat, ut suam.

68. Vnam iuuencam pastor forte amiserat ;

numerumque iussus reddere,

me defuisse conquerabatur, sequi

quae noluissem caeteras.

Dans :Myron, la Vache(Lien)

Je suis une génisse, faite en bronze par le ciseau

de mon père Myron ; je ne me crois pas créée mais née.

C’est ainsi que le taureau m’aborde, que la vache voisine mugit,

que le veau assoiffé cherche mes mamelles.

Tu t’étonnes que j’abuse le troupeau ? Son maître lui-même

me compte d’habitude au nombre des bêtes au pré.

Pourquoi presser les mamelles froides d’une mère de bronze,

petit veau, et réclamer le liquide lacté à l’airain ?

Je te le fournirais, si Myron m’avait faite

à l’extérieur, et un dieu à l’intérieur.

Dédale, pourquoi épuiser ton travail en un art si vain ?

Soumets-moi plutôt à la prison de Pasiphaé.

Si tu veux, Dédale, donner de la cervelle à une vraie vache,

la vache de Myron te servira de modèle vivant.

Tu t’es trompé, bouvillon, dans tes espérances à notre égard ;

les mains de l’artiste n’ont pas donné de lait à nos mamelles.

Fais paître tes troupeaux loin d’ici, bouvier, s’il te plaît, tu risques

de mener le bronze de Myron avec tes bœufs, comme une bête vivante.

En me voyant, un veau mugira, le taureau en rut

se précipitera, le pâtre m’enverra avec son troupeau.

La vache de bronze de Myron pourrait pousser des mugissements,

mais elle craint de détruire le génie de l’artiste.

Car modeler un animal semblable au vivant, c’est plus que vivre,

et ce ne sont plus les merveilles de Dieu, mais de l’artiste.

Je me dressais, vache de bronze ; la vache de Minerve fut tuée,

mais la déesse fit passer ici l’âme en soufflant.

Je suis maintenant double, partie en bronze, partie animée,

une part due à la main de l’artiste, et l’autre à la déesse.

Pourquoi, taureau, viens-tu m’aborder, trompé par l’apparence ?

Je ne suis pas la machine de Pasiphaé femme de Minos.

Non, tandis que vers le soir, sous le soleil déjà déclinant,

le pasteur menait ses génisses à la maison,

laissant la sienne, il me menaçait, comme une des siennes.

Un berger avait perdu jadis une génisse ;

devant rendre le nombre,

il se plaignait que je manquais, moi

qui ne voulais pas suivre les autres.

(Reinach 522)

On raconte que Néalkès, peignant un cheval, avait réussi à rendre selon son goût toutes les formes et toutes les couleurs, sauf pour l’effervescence de l’écume autour du mors et l’haleine sortant en même temps de la bouche ; en cela, il échouait, s’y reprenait à plusieurs reprises, effaçait ce qu’il avait fait, jusqu’à ce qu’enfin de colère il jeta contre le tableau son éponge, pleine de couleurs comme elle était ; l’éponge, en l’imbibant par son contact, fit admirablement ce qu’il fallait.

(Papyrus du IIe siècle (Reinach, 82))

Col. VI, 14 : Σήμων Ἀθηναῖος· οὗτος 

εὗρε πρῶτος γραμμ[ήν,

τὸν τύ]πον (?) ἵππου ἐν λευκῶι

πίνα]κ[ι ἀ]λ[είψας τὴν 

σκιὰν· ] Ζεῦξις ὁ Ἡρακ-

λέω]της τὰ με. το…

Dans :Les origines de la peinture(Lien)

Sémon d’Athènes : il a le premier inventé le dessin, en noircissant le contour de l’ombre d’un cheval projeté sur un fond blanc.

La peinture est une image qui rend l’apparence d’un objet – qui dit peindre dit feindre. Toute image est fiction, non réalité […] Peu à peu l’art sortit de son chaos ; il découvrit la lumière et les ombres et les différences des couleurs. C’est pourquoi, aujourd’hui encore, les peintres tracent d’abord certaines ombres et lignes de l’image future, puis les remplissent de couleurs, observant les règles d’un art perfectionné.

Entrant un jour dans l’atelier du peintre Parrhasios et s’entretenant avec lui : « Dis-moi, Parrhasios, dit-il, la peinture n’est-elle pas une représentation des objets visibles ? Ainsi les enfoncements et les saillies, le clair et l’obscur, la dureté et la noblesse, la rudesse et le poli, la fraîcheur de l’âge et sa décrépitude, vous les imitez à l’aide de couleurs ? — Tu dis vrai. — Et si vous voulez représenter des formes parfaitement belles, comme il n’est pas facile de trouver un homme qui n’ait aucune imperfection, vous rassemblez plusieurs modèles, vous prenez à chacun ce qu’il a de plus beau, et vous composez ainsi un ensemble d’une beauté parfaite ? — C’est ainsi que nous faisons. — Mais quoi ! ce qu’il y a de plus attrayant, de plus séduisant, de plus aimable, de plus désirable, de plus adorable, l’expression morale de l’âme, vous ne l’imitez point ? Ou bien est-elle inimitable ? — Mais le moyen, Socrate, de l’imiter ? Elle n’a ni proportion, ni couleur, ni aucune des qualités dont tu viens de parler ; en un mot elle n’est pas visible. — Eh ! Ne voit-on pas chez l’homme les regards exprimer tantôt l’affection, tantôt la haine ? — Je le crois. — Ne faut-il donc pas rendre ces expressions des yeux ? — Il le faut. — Quand des amis sont heureux ou malheureux, la physionomie est-elle la même chez ceux qui s’y intéressent et chez les indifférents ? — Non, pardieu ! Dans le bonheur c’est la joie, dans le malheur la tristesse qui et peinte sur les visages. — On peut donc aussi représenter ces sentiments. — Oui, certes. — Il en est de même de la magnanimité comme de la franchise, de l’humilité comme de la bassesse, de la tempérance comme de la raison, de l’insolence comme de la grossièreté ; c’est par la physionomie et par l’attitude des hommes, debout ou en mouvement, que ces sentiments s’extériorisent. — Tu dis vrai. — Il faut donc les imiter. — D’accord. — Et qui crois-tu donc qui agrée le plus à voir, ou les hommes qui manifestent des sentiments beaux, honnêtes, aimables, ou ceux qui n’en font voir que de honteux, pervers et haïssables ? — Pardieu ! Il y a bien de la différence, ô Socrate !

((Reinach 263))

Les Anciens furent tellement avides de plaisirs, au point de se laisser entraîner dans de coûteuses dépenses somptuaires, que même le grand Éphésien Parrhasios en vint à se vêtir de pourpre et à porter une couronne d’or sur la tête : Cléarchos le note dans ses Vies. Souvent, ses penchants effrénés pour le luxe lui faisait perdre le sens commun, si bien que son art dériva vers le mauvais goût. Toutefois, quand il parlait de lui, il se croyait investi d’une mission de vertu et, sur ses tableaux, il se permettait souvent d’inscrire le vers suivant : « C’est un homme délicat, honorant la vertu, qui a écrit ces mots. » Mais un homme, peu convaincu par cette profession de foi, composa le pastiche que voici :

« C’est un homme qui vit comme le barbouilleur qu’il est ! »

Parrhasios est l’auteur d’autres inscriptions parmi lesquelles :

« C’est Parrhasios d’Éphèse, sa patrie glorieuse, un être délicat, honorant la vertu, qui écrit ces mots. Je n’ai pas oublié mon père Évenor qui m’engendra, moi son fils, dans le but d’être sur les cimes de l’art grec. »

Il fit preuve également d’un orgueil démesuré dans les vers suivants, bien qu’il n’ait point encouru la colère divine :

« J’ai beau m’adresser à des êtres qui m’entendent, mais ne veulent pas me prendre au sérieux, je dirai néanmoins ceci : j’ai l’intime conviction que cet art est à son apogée grâce à mes soins. Les limites que j’ai dépassées sont désormais insurmontables. Pourtant, rien de ce que font les mortels ne se réalise sans aléas. »

Une fois, à Samos, il était en compétition avec un artiste inférieur à lui pour peindre une fresque où figurait Ajax : il fut battu. Comme ses amis compatissaient sur sa défaite, il leur répondit que la chose lui importait peu : par contre, il plaignait Ajax pour avoir été battu une seconde fois.

Par penchant pour le luxe, il aimait s’afficher calfeutré dans un riche manteau de pourpre, un bandeau sur la tête ; il s’appuyait sur un bâton magnifique, sculpté de spirales dorées ; quant aux courroies de ses sandales, il les attachait avec des fermoirs d’or. Cependant, son art était loin d’être celui d’un dilettante, et il le prenait très au sérieux : il était doué d’une facilité déconcertante, au point qu’il pouvait chanter tout en peignant, comme Théophraste le souligne dans son Traité sur le Bonheur. Avec une conviction sans faille, il avait coutume d’affirmer que, lorsqu’il peignit son Héraclès à Lindos, le dieu lui-même lui était apparu en songe, et qu’il avait pris la pose appropriée. D’où les vers que notre peintre grava sur le tableau :

« Voyez-le, tel qu’il m’apparut la nuit, car il visitait souvent Parrhasios dans son sommeil. »

((Reinach 264))

Parrhasius, ce peintre qui aimait la volupté plus qu’il ne convenait à son art, et qui voulut tirer de ses pinceaux et de ses encaustères, l’honneur et la gloire qui n’est que le partage des gens bien nés et distingués par leurs qualités, rendit cependant hommage à la vertu : en effet voici ce qu’il écrivit sur tous ceux de ses ouvrages qui étaient à Linde.

« Parrhasius, homme livré à une vie très voluptueuse, mais honorant la vertu, a peint ceci. »

Un homme ingénieux et honnête, à ce qu’il me semble, se fâchant de ce que Parrhasius ternissait ainsi le nom de la vertu, si beau, si respectable, en le joignant grossièrement à celui d’un art qui n’a été appris aux hommes que pour servir à la volupté, écrivit à côté rhabdodiaitatos, « qui ne mérite de vivre qu’à coups de verges[[6:Reinach traduit : « homme qui vit du pinceau ».]]. »

Le peintre Parrhasius portait des habits de pourpre et une couronne d’or. C’est un fait attesté par différents écrivains, et par les inscriptions mêmes de ses tableaux. S’étant un jour présenté pour disputer le prix, dans l’île de Samos, il rencontra un concurrent qui ne lui était pas inférieur, et qui l’emporta sur lui. Le tableau de Parrhasius représentait le combat d’Ajax et d’Ulysse, se disputant les armes d’Achille. Comme un de ses amis lui témoignait la part qu’il prenait à son malheur : « Je suis, répondit Parrhasius, peu touché de ma défaite ; mais je plains le sort du fils de Télamon, qui se trouve vaincu pour la seconde fois en combattant pour les mêmes armes. » Parrhasius portait un bâton orné de filets d’or, qui l’entouraient en serpentant : des cordons du même métal serraient les oreilles de sa chaussure autour de ses pieds. Au reste, l’exercice de son art n’avait rien de triste ni de fatigant pour lui : comme il le cultivait par goût, il s’y livrait avec plaisir. Souvent même il égayait son travail, en chantant ou en répétant quelque air à demi-voix. C’est de Théophraste que nous tenons ces détails.

(n°270)

Il faut que Parrhasios ait vu aussi le héros de Trachis, riche en douleurs, pour peindre ce Philoctète. Au fond de ses yeux desséchés habite une larme muette, et il est possédé du mal qui le consume. O très cher, tu es maître dans l’art de peindre la vie ; mais il était bien temps de laisser cet infortuné se reposer de ses maux.

(n°271)

En voyant Philoctète, je suis sûr que pour tous sa souffrance est manifeste, même pour ceux qui regardent de loin. Il a le port hirsute comme celui d’une bête fauve ; vois ici, sur sa tête, ses cheveux hérissés, brûlés et desséchés par le soleil. La peau a l’apparence dure et ridée ; et je pense qu’au toucher elle serait sèche. Sous ses paupières arides, des larmes se sont figées, témoignage d’un tourment qui ne connaît pas le sommeil.

La peinture, à ses débuts, quand elle était encore pour ainsi dire à la mamelle et en bas âge, donnait des êtres vivants une représentation si fruste que les peintres y ajoutaient cette inscription : « Ceci est un bœuf, ceci est un cheval, ou bien : un arbre ».

Polygnote de Thasos et Denys de Colophon étaient peintres. Le premier traitait tous ses sujets en grand : il ne présentait, pour disputer le prix, que des tableaux dont les personnages étaient peints avec les proportions de la plus belle nature. Les tableaux de Denys étaient beaucoup plus petits : en cela seul il différait de Polygnote, auquel il n\'était point inférieur dans l’expression des caractères et des passions, dans la position de ses figures, dans la délicatesse des draperies, et autres parties de l’art.

Combien les œuvres de Pauson sont-elles plus nombreuses que celles de Zeuxis ou celles d’Apelle ? Qui donc ne fait passer un seul petit tableau de ces deux maîtres avant toute l’oeuvre de Pauson à la fois ?

Le roi Démétrius, surnommé le preneur de villes, ne mit pas le feu à Rhodes, de peur de brûler in tableau de Protogène, qui était placé du côté du rempart où il attaquait.

(n°494)

Les Rhodiens se défendaient avec tant de courage que le siège n’avançait point ; néanmoins Démétrius s’opiniâtrait à le continuer, irrité qu’il était contre les Rhodiens, parce qu’ils avaient pris un vaisseau qui portait des lettres, des tapisseries et des vêtements que Phila, sa femme, lui faisait passer, et l’avaient envoyé à Ptolémée avec toute sa charge, n’imitant point en cela l’honnêteté des Athéniens, qui, ayant arrêté les courriers de Philippe, avec qui ils étaient en guerre, ouvrirent toutes les lettres qu’ils portaient, mais ne touchèrent point à celles d’Olympias, qu’ils renvoyèrent sans les avoir décachetées. Toutefois, Démétrius, malgré son ressentiment, ne saisit point, pour se venger des Rhodiens, une occasion qu’ils lui fournirent bientôt eux-mêmes. Protogène le Caunien peignait alors un trait de l’histoire d’Ialysus. L’ouvrage était sur le point d’être achevé, lorsque Démétrius se rendit maître du faubourg où travaillait Protogène, et emporta le tableau. Les Rhodiens lui envoyèrent sur-le-champ un héraut pour le supplier d’épargner un si bel ouvrage, et de ne point souffrir qu’il fût gâté. « Je brûlerais plutôt tous les portraits de mon père, répondit Démétrius, que de détruire ce chef-d’œuvre de l’art. » On dit que Protogène employa sept ans à faire ce tableau, et qu’Apelles fut tellement frappé, lorsqu’il le vit pour la première fois, qu’il demeura longtemps sans mot dire ; qu’enfin, revenu de son étonnement, il s’écria : « Le beau travail ! l’admirable ouvrage ! il y manque pourtant cette grâce qui seule pourrait élever les tableaux de Protogène jusqu’aux cieux. » Ce tableau, porté depuis à Rome avec un grand nombre d’autres, périt dans un incendie.

Pendant le siège de Rhodes, Démétrios s’empara dans un faubourg du tableau où le peintre Protogène avait représenté Ialysos. Les Rhodiens lui ayant envoyé un héraut pour le prier d’épargner le tableau, il répondit qu’il laisserait plutôt détruire les images de son père qu’une pareille peinture.

Démétrius, un des plus illustres capitaines de son siècle, assiégeait la capitale de la fameuse île de Rhodes, ville très belle, très riche en chefs-d’œuvre de l’art. L’habileté et l’expérience de ce général dans l’art des sièges, et l’invention de plusieurs machines savantes, lui avaient fait donner le surnom de Poliorcète. Durant le siège, il avait formé le projet d’attaquer, de saccager et de livrer aux flammes quelques édifices publics situés hors des murs et qui n’avaient qu’une faible garnison. Un de ces édifices renfermait le fameux tableau de l’Ialysus, dû au pinceau du célèbre Protogène ; ce chef-d’œuvre excitait l’envie et la colère de Démétrius. Les Rhodiens lui envoient des députés chargés de lui dire : « Quel motif te porte à ensevelir ce tableau sous des ruines fumantes ? Si tu triomphes de nous toute la ville est à toi, et avec elle le tableau intact ; mais si tes efforts sont inutiles, prends garde qu’on ne dise, à ta honte, que n’ayant pu vaincre les Rhodiens, tu as fait la guerre aux mânes de Protogène. » Dès qu’il eut entendu ce discours, Démétrius leva le siège, épargnant à la fois et la ville et le tableau.

Un heureux succès que le peintre Apelle dut à la Fortune, mérite d’être cité. On conte qu’il peignait un cheval, non point un cheval de labour, mais un coursier de combat. [...] L’effigie, en tout, était d’une vérité parfaite, mais la couleur de l’écume était manquée, de cette écume que produit le mélange continuel du sang et de la bave, le souffle chassant au dehors par la bouche l’humeur du corps, la respiration haletante produisant de l’écume et l’effort violent du frein, qui blesse l’animal, y mêlant des files de sang. Apelle ne savait comment rendre cette écume d’un cheval épuisé au combat ; de plus en plus en peine, il en vint, de colère, à lancer son éponge sur le tableau à l’endroit du mors ; il se trouva que les nombreuses couleurs dont elle était imprégnée, donnant la ressemblance de l’écume sanglante, rendirent sur la peinture la couleur désirée. Apelle, à cette vue, se réjouit que l’œuvre du hasard suppléât si bien à l’impuissance de l’art, et que l’achèvement de son tableau fût dû, non à l’art, mais à la Fortune.

Le peintre Protogène mit sept ans, dit-on, à achever son Ialysos.

Puisses-tu, en ajoutant à cette ébauche le vernis de tes corrections, lui lancer le coup d’éponge qui achève l’image imparfaite du cheval dont l’écume mousse mal.

, vb. 504 (Reinach 501)

Εἰ δὲ χρὴ τῆν νῆσον ταύτην οὐ μόνον τῷ μεγίστῳ κολοσσῷ σεμνῦναι, ἀλλὰ καὶ σμικροτάτῳ τινὶ ἐπᾶραι ἀναθήματι. Ἐκεῖ γὰρ καὶ ὁ καλὸς πέρδιξ ἦν, τὸ τοῦ Πρωτογένους ὑμνούμενον πάρεργον.

Dans :Protogène, Satyre et parergia(Lien)

, vb. 504 (Reinach 501)

Cette île doit être non seulement vantée pour son immense colosse, mais louée encore pour un monument tout petit. C’est là, en effet, que se trouvait la belle perdrix, l’accessoire tant célébré du tableau de Protogène.

(Reinach 517)

Description du peintre Théon. Voici un tableau qui, entre beaucoup d’autres, atteste particulièrement la valeur de l’exécution dans la peinture de Théon. C’est un hoplite en train de faire une sortie pour repousser une invasion soudaine des ennemis qui pillent et ravagent le pays. Ce jeune soldat a évidemment l’air de s’élancer plein d’ardeur au combat. Et l’on dirait qu’il est en proie à un transport furieux, comme inspiré par Arès. Ses yeux ont un regard terrible ; saisissant ses armes, il a l’air de s’élancer à toutes jambes sur les ennemis. Il commence déjà à s’abriter derrière son bouclier ; il brandit son épée d’un air sanguinaire et avec un regard meurtrier ; toute son attitude menaçante annonce qu’il n’épargnera personne. Théon n’a pas pris la peine de représenter autre chose, – soldat, taxiarque, lochage, cavalier ou archer, – mais il lui a suffi de ce seul hoplite pour remplir les exigences du tableau. L’artiste ne découvrit son œuvre, et ne la montra au public assemblé pour la voir qu’après avoir placé à côté un trompette, en lui recommandant de jouer la charge, avec une sonorité aussi perçante que possible, comme un appel aux armes. Au moment où l’air faisait entendre ses accents rudes et menaçants, comme pour une sortie d’hoplites accourant promptement à l’aide du chant de la trompette, le tableau fut découvert, et on vit le soldat, pendant que l’air ajoutait encore à l’illusion d’une sortie guerrière.

Homère ne trouvant pas le moyen d’attribuer au vieux Priam l’excès de chagrin qui eût convenu, il le couvre d’un voile, et le représente non seulement silencieux, mais ne voyant plus rien. À son exemple, dit-on, le peintre Timanthe, de Sicyone, représentant le sacrifice d’Iphigénie, a couvert d’un voile Agamemnon.

(Reinach 185)

Toutefois, on raconte qu’Agatharcos le peintre se vantait de la rapidité et de la facilité avec laquelle il faisait les animaux ; Zeuxis, l’ayant entendu, dit : « Pour moi, par contre, il me faut beaucoup de temps. » Une exécution si aisée et si rapide ne suppose ni ce travail approfondi qui fait durer une œuvre, ni ce souci d’exactitude que comporte la beauté parfaite. Le temps employé dans l’élaboration minutieuse d’une œuvre se retrouve dans la durée assurée à sa conservation.

Entrant un jour dans l’atelier du peintre Parrhasios et s’entretenant avec lui : « Dis-moi, Parrhasios, dit-il, la peinture n’est-elle pas une représentation des objets visibles ? Ainsi les enfoncements et les saillies, le clair et l’obscur, la dureté et la noblesse, la rudesse et le poli, la fraîcheur de l’âge et sa décrépitude, vous les imitez à l’aide de couleurs ? — Tu dis vrai. — Et si vous voulez représenter des formes parfaitement belles, comme il n’est pas facile de trouver un homme qui n’ait aucune imperfection, vous rassemblez plusieurs modèles, vous prenez à chacun ce qu’il a de plus beau, et vous composez ainsi un ensemble d’une beauté parfaite ? — C’est ainsi que nous faisons.

Pictor Zeuxis risui mortuus, dum ridet effuse pictam a se anum, γραῦν.

Dans :Zeuxis mort de rire(Lien)

Le peintre Zeuxis mourut du fou rire que lui donna son tableau La vieille.

Zeuxis d’Héraclée avait fait un tableau d’Hélène, qui lui valut beaucoup dargent. Bien loin de le montrer gratis, il ne permettait de le voir qu’autant qu’on payait d’avance une certaine somme qu’il avait fixée. Le trafic que Zeuxis fit ainsi de son Hélène, donna lieu aux Grecs d’alors de la nommer la Prostituée.

(408)

On raconte qu’Alexandre se donna lui-même en objet de concours aux artistes d’autrefois, puisque Lysippe et Apelle se divisèrent le privilège de reproduire ses traits, celui-ci représentant le roi en couleurs, celui-là en bronze. Est-ce que le discours, qui dépasse le corps et s’adresse à la beauté et aux dons de l’âme, ne peut être jugé aussi peu mensonger que la peinture ?

(II, 183), Reinach 432

 D’Archias. Apelle a vu Kypris en personne sortant nue du sein nourricier de la mer, et il l’a représentée telle qu’il l’avait vue, pressant encore de ses tendres mains sa chevelure imprégnée de l’écume des flots.