Type de texte | source |
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Titre | Le Voyage du jeune Anacharsis en Grèce, dans le milieu du quatrième siècle avant l’ère vulgaire |
Auteurs | Barthélémy, Jean-Jacques |
Date de rédaction | |
Date de publication originale | 1788 |
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, « Lettres sur les affaires générales de la Grèce, adressées à Anacharsis et à Philotas, pendant leur voyage en Égypte et en Perse » (numéro Seconde partie, Section troisième, ch. LXI, vol. 3) , p. 337-339
Mon cher Anacharsis, quand on dit qu’un siècle est éclairé, cela signifie qu’on trouve plus de lumières dans certaines villes que dans d’autres ; et que dans les premières, la principale classe des citoyens est plus instruite qu’elle ne l’étoit autrefois. La multitude, je n’en excepte pas celle d’Athènes, tient d’autant plus à ses superstitions, qu’on fait plus d’efforts pour l’en arracher. Pendant les dernières fêtes d’Éleusis, la jeune et charmante Phryné, s’étant dépouillée de ses habits, et laissant tomber ses beaux cheveux sur ses épaules, entra dans la mer, et se joua long-temps au milieu des flots. Un nombre infini de spectateurs couvroit le rivage ; quand elle sortit, ils s’écrièrent tous : c’est Vénus qui sort des eaux. Le peuple l’auroit prise pour la déesse, si elle n’étoit pas si connue, et peut-être même, si les gens éclairés avoient voulu favoriser une pareille illusion.
N’en doutez pas, les hommes ont deux passions favorites, que la philosophie ne détruira jamais ; celle de l’erreur, et celle de l’esclavage. Mais laissons la philosophie, et revenons à Phryné. La scène qu’elle nous donna et qui fut trop applaudie pour ne pas se réitérer, tournera sans doute à l’avantage des arts. Le peintre Apelle, et le sculpteur Praxitèle étoient sur le rivage. L’un et l’autre ont résolu de représenter la naissance de Vénus, d’après le modèle qu’ils avoient sous les yeux[[3:Athen. lib. 12, p. 590.]].
Vous la verrez à votre retour, cette Phryné, et vous conviendrez qu’aucune des beautés de l’Asie n’a offert à vos yeux tant de grâces à-la-fois. Praxitèle en est éperdument amoureux. Il se connoît en beauté ; il avoue qu’il n’a jamais rien trouvé de si parfait. Elle vouloit avoir le plus bel ouvrage de cet artiste. Je vous le donne avec plaisir, lui dit-il, à condition que vous le choisirez vous-même. Mais comment se déterminer au milieu de tant de chefs-d’œuvre ? Pendant qu’elle hésitoit, un esclave secrètement gagné, vint en courant annoncer à son maître, que le feu avait pris à l’atelier, que la plupart des statues étaient détruites, que les autres étoient sur le point de l’être. Ah ! C’en est fait de moi, s’écrie Praxitèle, si l’on ne sauve pas l’Amour et le Satyre ! Rassurez-vous, lui dit Phryné en riant ; j’ai voulu, par cette fausse nouvelle, vous forcer à m’éclairer sur mon choix. Elle prit la figure de l’amour, et son projet est d’en enrichir la ville de Thespies, lieu de sa naissance[[3:Pausan. lib. I, cap. 20, p. 46.]]. On dit aussi que cette ville veut lui consacrer une statue dans l’enceinte du temple de Delphes, et la placer à côté de celle de Philippe[[3:Athen. lib. 12, p. 590.]]. Il convient en effet qu’une courtisane soit auprès d’un conquérant.
Dans :
Apelle, Praxitèle et Phryné(Lien)
, « Réflexions sur le siècle de Périclès » (numéro Seconde partie, Section troisième, Siècle de Périclès) , vol. 1, p. 232
A ces deux artistes succédèrent Timanthe, dont les ouvrages faisant plus entendre qu’ils n’expriment, décèlent le grand artiste, et encore plus l’homme d’esprit[[3:Plin. ibid. p. 694.]] ; Pamphile, qui s’acquit tant d’autorité par son mérite, qu’il fit établir dans plusieurs villes de la Grèce, des écoles de dessin, interdites aux esclaves[[3:Id. ibid.]] ; Euphranor, qui, toujours égal à lui-même, se distingua dans toutes les parties de la peinture[[3:Id. ibid. cap. 11, p. 703.]]. J’ai connu quelques-uns de ces artistes, et j’ai appris depuis, qu’un élève que j’avois vu chez Pamphile, et qui se nomme Apelle, les avoit tous surpassés.
Dans :Pamphile et la peinture comme art libéral(Lien)
, Siècle de Périclès, « Réflexions sur le siècle de Périclès » (numéro Seconde partie, Section troisième) , p. 236
Le goût des arts commençoit à s’introduire parmi un petit nombre de citoyens ; celui des tableaux et des statues, chez les gens riches. La multitude juge de la force d’un état, par la magnificence qu’il étale. Delà cette considération pour les artistes qui se distinguoient par d’heureuses hardiesses. On en vit qui travaillèrent gratuitement pour la république, et on leur décerna des honneurs[[3:Plin. l. 35, c. 9, p. 691. Suid. et Harpocr. in Πολίγν.]] ; d’autres qui s’enrichirent, soit en formant des élèves[[3:Plin. ibid. p. 694.]], soit en exigeant un tribut de ceux qui venoient dans leur atelier admirer les chefs-d’œuvre sortis de leurs mains[[3:Ælian. var. hist. lib. 4, cap. 12.]]. Quelques-uns enorgueillis de l’approbation générale, trouvèrent une récompense plus flatteuse encore dans le sentiment de leur supériorité, et dans l’hommage qu’ils rendoient à leurs propres talens : ils ne rougissoient pas d’inscrire sur leurs tableaux : « il sera plus aisé de le censurer, que de l’imiter. » Zeuxis parvint à une si grande opulence, que sur la fin de ses jours, il faisoit présent de ses tableaux, sous prétexte que personne n’étoit en état de les payer[[3:Plin. ibid. p. 691.]]. Parrhasius avoit une telle opinion de lui-même, qu’il se donnoit une origine céleste[[3:Id. ibid. p. 694.]]. A l’ivresse de leur orgueil se joignoit celle de l’admiration publique.
Dans :Parrhasios : orgueil(Lien)
, Siècle de Périclès, ch. LXXIII, « Les îles de Rhodes, de Crète et de Cos », vol. 4 (numéro Seconde partie, Section troisième) , p. 119
Au bourg de Linde, le temple de Minerve est remarquable, non seulement par sa haute antiquité, et par les offrandes des rois[[3:Herodot. lib. 2, cap. 182. Note de M. Larcher, t. 2, p. 519. Meurs. in Rhod. lib. I, cap. 6.]], mais encore par deux objets qui fixèrent notre attention. Nous y vîmes, tracée en lettres d’or, cette ode de Pindare, que Stratonicus nous avait fait entendre[[3:Gorg. ap. Schol. Pind. olymp. 7, p. 76. Alter schol. p. 88.]]. Non loin de là se trouve le portrait d’Hercule ; il est de Parrhasius, qui, dans une inscription placée au bas du tableau, atteste qu’il avoit représenté le dieu tel qu’il l’avoit vu plus d’une fois en songe.
Dans :Parrhasios : orgueil(Lien)
, Siècle de Périclès, chapitre XII, « Description d’Athènes » (numéro Seconde partie, Section troisième) , vol. 1, p. 417
Là-bas, auprès de cette colline, un autre édifice où le rival de Zeuxis a fait un de ces essais qui décèlent le génie. Parrhasius, persuadé que, soit par l’expression du visage, soit par l’attitude et le mouvement des figures, son art pouvoit rendre sensibles aux yeux les qualités de l’esprit et du cœur[[3:Xenoph. memor. lib. 3, p. 781.]], entreprit, en faisant le portrait du peuple d’Athènes, de tracer le caractère ou plutôt les différens caractères de ce peuple violent, injuste, doux, compatissant, glorieux, rampant, fier et timide. Mais comment a-t-il exécuté cet ingénieux projet ? Je ne veux pas vous ôter le plaisir de la surprise ; vous en jugerez vous-même.
Dans :Parrhasios, Le Peuple d’Athènes(Lien)
, « Description d’Athènes » (numéro Section troisième, Siècle de Périclès, chapitre XII) , vol. 1, p. 412-413
Tout le long de la face extérieure de la nef, règne une frise, où l’on a représenté une procession en l’honneur de Minerve[[3:Chandl. trav. in Greece, p. 51.]]. Ces bas-reliefs ont accru la gloire de ceux qui les exécutèrent. Dans le temple est cette statue célèbre par sa grandeur, par la richesse de la matière et la beauté du travail. A la majesté sublime qui brille dans les traits et dans toute la figure de Minerve, on reconnoît aisément la main de Phidias. Les idées de cet artiste avoient un si grand caractère, qu’il a encore mieux réussi à représenter les dieux que les hommes[[3:Quinctil. lib. 12, cap. 10, p. 744.]]. On eût dit qu’il voyait les seconds de trop haut, et les premiers de fort près. La hauteur de la figure est de 26 coudées. Elle est debout, couverte de l’égide et d’une longue tunique[[3:Pausan. lib. I, cap. 24, p. 57 et 58. Plin. lib. 36, cap. 5, t. 2, p. 726. Max. Tyr. diss. 14, p. 156. Arrian. in Epict. lib. 2, cap. 8, p. 208.]]. Elle tient d’une main la lance, et de l’autre une victoire haute de près de 4 coudées[[3:La coudée parmi les Grecs étant d’un de leurs pieds et d\'un demi-pied en sus, la hauteur de la figure était de 36 de nos pieds, et 10 pouces en sus ; et celle de la Victoire, de cinq de nos pieds et 8 pouces.]]. Son casque surmonté d’un sphinx, est orné, dans les parties latérales, de deux griffons. Sur la face extérieure du bouclier posé aux pieds de la déesse, Phidias a représenté le combat des Amazones ; sur l’intérieure, celui des dieux et des géants ; sur la chaussure, celui des Lapithes et des Centaures ; sur le piédestal, la naissance de Pandore, et quantité d’autres sujets. Les parties apparentes du corps sont en ivoire, excepté les yeux, où l’iris est figuré par une pierre particulière[[3:Plat. In Hipp. t. 3, p. 290. Plin. lib. 37, p. 787 et 788.]]. Cet habile artiste mit dans l’exécution une recherche infinie, et montra que son génie conservait sa supériorité jusque dans les plus petits détails[[3:Plin. lib. 36, cap. 5, t. 2, p. 726.]]. Avant que de commencer cet ouvrage, il fut obligé de s’expliquer dans l’assemblée du peuple, sur la matière qu’on emploierait. Il préférait le marbre, parce que son éclat subsiste plus longtemps. On l’écoutait avec attention : mais quand il ajouta qu’il en coûterait moins, on lui ordonna de se taire ; et il fut décidé que la statue serait en or et en ivoire[[3:Val. Max. lib. I, cap. I, §7.]]. On choisit l’or le plus pur ; il en fallut une masse du poids de 40 talens[[3:La proportion de l’or à l’argent étoit alors de 1 à 13 ; ainsi 40 talents d\'or faisoient 520 talents d\'argent, c\'est-à-dire deux millions huit cent huit mille de nos livres. Voyez à la fin du volume, la note sur la quantité de l’or appliqué à la statue.]]. Phidias, suivant le conseil de Périclès, l’appliqua de telle manière, qu’on pouvoit aisément le détacher.
Dans :Phidias, Zeus et Athéna(Lien)
, « Suite des mœurs des Athéniens » (numéro ch. XXVIII) , p. 396-398
Le temple est divisé par des colonnes en trois nefs[[3:Pausan. lib. 5, cap. 10, p. 400.]]. On y trouve, de même que dans le vestibule, quantité d’offrandes que la piété et la reconnoissance ont consacrées au dieu[[3:Id. ibid. p. 405. Strab. lib. 8, p. 353.]] ; mais loin de se fixer sur ces objets, les regards se portent rapidement sur la statue et sur le trône de Jupiter. Ce chef-d’œuvre de Phidias et de la sculpture fait au premier aspect une impression que l’examen ne sert qu’à rendre plus profonde.
La figure de Jupiter est en or et en ivoire ; et quoique assise, elle s’élève presque jusqu’au plafond du temple[[3:Strab. ibid.]]. De la main droite, elle tient une Victoire également d’or et d’ivoire ; de la gauche, un sceptre travaillé avec goût, enrichi de diverses espèces de métaux, et surmonté d’un aigle[[3:Pausan. ibid. cap. 11, p. 400. Plin. lib. 34, cap. 8, t. 2, p. 648.]]. La chaussure est en or, ainsi que le manteau sur lequel on a gravé des animaux, des fleurs, et surtout des lis[[3:Pausan. ibid. p. 401.]].
Le trône porte sur quatre pieds, ainsi que sur des colonnes intermédiaires de même hauteur que les pieds. Les matières les plus riches, les arts les plus nobles, concoururent à l’embellir. Il est tout brillant d’or, d’ivoire, d’ébène et de pierres précieuses, par-tout décoré de peintures et de bas-reliefs.
Quatre de ces bas-reliefs sont appliqués sur la face antérieure de chacun des pieds de devant. Le plus haut représente quatre Victoires dans l’attitude de danseuses ; le second, des Sphinx qui enlèvent les enfants des Thébains ; le troisième, Apollon et Diane perçant de leurs traits les enfants de Niobé ; le dernier enfin, deux autres Victoires.
Phidias profita des moindres espaces pour multiplier les ornemens. Sur les quatre traverses qui lient les pieds du trône, je comptai trente-sept figures, les unes représentant des lutteurs, les autres le combat d’Hercule contre les Amazones[[3:Note fin de volume : On pourroit présumer que ces trente-sept figures étoient en ronde-bosse, et avoient été placées sur les traverses du trône. On pourroit aussi disposer autrement que je ne l’ai fait les sujets représentés sur chacun des pieds. La description de Pausanias est très succincte et très vague. En cherchant à l\'éclaircir, on court le risque de s’égarer ; en se bornant à la traduire littéralement celui de ne pas se faire entendre.]]. Au dessus de la tête de Jupiter, dans la partie supérieure du trône, on voit d’un côté les trois grâces qu’il eut d’Eurynome, et les trois saisons qu’il eut de Thémis[[3:Pausan. lib. 5, cap. 11, p. 402. Hesiod. deor. gener. V. 900.]]. On distingue quantité d’autres bas-reliefs, tant sur le marchepied que sur la base ou l’estrade qui soutient cette masse énorme, la plupart exécutés en or, et représentant les divinités de l’Olympe. Aux pieds de Jupiter on lit cette inscription[[3:Pausan. ibid. cap. 10, p. 397.]] : Je suis l’ouvrage de Phidias, Athénien, fils de Charmidès. Outre son nom, l’artiste, pour éterniser la mémoire et la beauté d’un jeune homme de ses amis appelé Pantarcès[[3:Clem. Alex. cohort. p. 47.]], grava son nom sur un des doigts de Jupiter[[3:Telle étoit cette inscription : Pantarcès est beau. Si l\'on en eût fait un crime à Phidias, il eût pu se justifier en disant que l\'éloge s\'adressoit à Jupiter, le mot Pantarcès pouvant signifier celui qui suffit à tout.]].
On ne peut approcher du trône autant qu’on le desireroit ; à une certaine distance on est arrêté par une balustrade qui règne tout autour[[3:Pausan. ibid. cap. 11, p. 401.]], et qui est ornée de peintures excellentes de la main de Panénus, élève et parent de Phidias. C’est le même qui, conjointement avec Colotès, autre disciple de ce grand homme, fut chargé des principaux détails de cet ouvrage surprenant[[3:Id. ibid. p. 402. Strab. lib. 8, p. 354. Plin. lib. 34, cap. 8, t. 2, p. 657 ; lib. 35, cap. 8, p. 689.]]. On dit qu’après l’avoir achevé, Phidias ôta le voile dont il l’avait couvert, consulta le goût du public, et se réforma lui-même d’après les avis de la multitude[[3:Lucian. pro imag. cap. 14, t. 2, p. 492.]].
On est frappé de la grandeur de l’entreprise, de la richesse de la matière, de l’excellence du travail, de l’heureux accord de toutes les parties ; mais on l’est bien plus encore de l’expression sublime que l’artiste a su donner à la tête de Jupiter. La divinité même y paroît empreinte avec tout l’éclat de la puissance, toute la profondeur de la sagesse, toute la douceur de la bonté. Auparavant les artistes ne représentoient le maître des dieux qu’avec des traits communs, sans noblesse et sans caractère distinctif ; Phidias fut le premier qui atteignit, pour ainsi dire, la majesté divine, et sut ajouter un nouveau motif au respect des peuples, en leur rendant sensible ce qu’ils avoient adoré[[3:Quintil. inst. orat. lib. 12, cap. 10, p. 744. Liv. lib. 45, cap. 28.]]. Dans quelle source avoit-il donc puisé ces hautes idées ? Des poètes diroient qu’il étoit monté dans le ciel, ou que le dieu étoit descendu sur la terre[[3:Anthol. lib. 4, cap. 6, p. 301.]] ; mais il répondit d’une manière plus simple et plus noble, à ceux qui lui faisoient la même question[[3:Strab. lib. 8, p. 354. Plut. in Æmil. t. I, p. 270. Valer. Max. lib. 3, cap. 7.]] : il cita les vers d’Homère, où ce poète dit qu’un regard de Jupiter suffit pour ébranler l’Olympe. Ces vers, en réveillant dans l’âme de Phidias l’image du vrai beau, de ce beau qui n’est aperçu que par l’homme de génie[[3:Homer. iliad. lib. I, v. 530.]], produisirent le Jupiter d’Olympie ; et quel que soit le sort de la religion qui domine dans la Grèce, le Jupiter d’Olympie servira toujours de modèle aux artistes qui voudront représenter dignement l’Être suprême.
Dans :Phidias, Zeus et Athéna(Lien)
, « De l’éducation des Athéniens » (numéro Seconde partie, Section troisième, Siècle de Périclès, chapitre XXVI) , vol. 2, p. 155-156
Appliquons ce principe. L’imitation que les arts ont pour objet, nous affecte de diverses manières ; tel est son premier effet. Il en existe quelquefois un second plus essentiel, souvent ignoré du spectateur et de l’artiste lui-même : elle modifie l’ame[[3:Arist. de rep. lib. 8, t. 2, p. 455.]] au point de la plier insensiblement à des habitudes qui l’embellissent ou la défigurent. Si vous n’avez jamais réfléchi sur l’immense pouvoir de l’imitation, considérez jusqu’à quelle profondeur deux de nos sens, l’ouïe et la vue, transmettent à notre âme les impressions qu’ils reçoivent ; avec quelle facilité un enfant entouré d’esclaves copie leurs discours et leurs gestes, s’approprie leurs inclinations et leur bassesse[[3:Plat. de rep. lib. 3, t. 2, p. 305.]].
Quoique la peinture n’ait pas, à beaucoup près, la même force que la réalité, il n’en est pas moins vrai que ses tableaux sont des scènes où j’assiste, ses images des exemples qui s’offrent à mes yeux. La plupart des spectateurs n’y cherchent que la fidélité de l’imitation, et l’attrait d’une sensation passagère ; mais les philosophes y découvrent souvent, à travers les prestiges de l’art, le germe d’un poison caché. Il semble à les entendre que nos vertus sont si pures ou si foibles, que le moindre souffle de la contagion peut les flétrir ou les détruire. Aussi en permettant aux jeunes gens de contempler à loisir les tableaux de Denys, les exhortent-ils à ne pas arrêter leurs regards sur ceux de Pauson, à les ramener fréquemment sur ceux de Polygnote[[3:Arist. de rep. lib. 8, cap. 5, p. 455. Id. de poet. cap. 2, t. 2, p. 653.]]. Le premier a peint les hommes tels que nous les voyons ; son imitation est fidèle, agréable à la vue, sans danger, sans utilité pour les mœurs. Le second, en donnant à ses personnages des caractères et des fonctions ignobles, a dégradé l’homme ; il l’a peint plus petit qu’il n’est : ses images ôtent à l’héroïsme son éclat, à la vertu sa dignité. Polygnote, en représentant les hommes plus grands et plus vertueux que nature, élève nos pensées et nos sentiments vers des modèles sublimes, et laisse fortement empreinte dans nos ames l’idée de la beauté morale, avec l’amour de la décence et de l’ordre.
Les impressions de la musique sont plus immédiates, plus profondes et plus durables que celles de la peinture[[3:Id. de rep. ibid.]] ; mais ses imitations, rarement d’accord avec nos vrais besoins, ne sont presque plus instructives. Et en effet, quelle leçon me donne ce joueur de flûte, lorsqu’il contrefait sur le théâtre le chant du rossignol[[3:Aristoph. in av. v. 223.]], et dans nos jeux le sifflement du serpent[[3:Strab. lib. 9, p. 421.]] ; lorsque dans un morceau d’exécution il vient heurter mon oreille d’une multitude de sons, rapidement accumulés l’un sur l’autre[[3:Plat. de leg. lib. 2, t. 2, p. 669.]] ? J’ai vu Platon demander ce que ce bruit signifiait, et pendant que la plupart des spectateurs applaudissaient avec transport aux hardiesses du musicien[[3:Aristot. ibid. cap. 6, t. 2, p. 457.]], le taxer d’ignorance et d’ostentation ; de l’une, parce qu’il n’avait aucune notion de la vraie beauté ; de l’autre, parce qu’il n’ambitionnait que la vaine gloire de vaincre une difficulté.
Dans :Polygnote, Dionysos et Pauson : portraits pires, semblables, meilleurs(Lien)
, « Réflexions sur le siècle de Périclès » (numéro Seconde partie, Section troisième, Siècle de Périclès, vol. 1) , p. 232
A ces deux artistes succédèrent Timanthe, dont les ouvrages faisant plus entendre qu’ils n’expriment, décèlent le grand artiste, et encore plus l’homme d’esprit[[3:Plin. ibid. p. 694.]] ; Pamphile, qui s’acquit tant d’autorité par son mérite, qu’il fit établir dans plusieurs villes de la Grèce, des écoles de dessin, interdites aux esclaves[[3:Id. ibid.]] ; Euphranor, qui, toujours égal à lui-même, se distingua dans toutes les parties de la peinture[[3:Id. ibid. cap. 11, p. 703.]]. J’ai connu quelques-uns de ces artistes, et j’ai appris depuis, qu’un élève que j’avois vu chez Pamphile, et qui se nomme Apelle, les avoit tous surpassés.
Dans :Timanthe, Le Sacrifice d’Iphigénie et Le Cyclope (Lien)
, Siècle de Périclès, « Réflexions sur le siècle de Périclès » (numéro Seconde partie, Section troisième, vol. 1) , p. 236
Le goût des arts commençoit à s’introduire parmi un petit nombre de citoyens ; celui des tableaux et des statues, chez les gens riches. La multitude juge de la force d’un état, par la magnificence qu’il étale. Delà cette considération pour les artistes qui se distinguoient par d’heureuses hardiesses. On en vit qui travaillèrent gratuitement pour la république, et on leur décerna des honneurs[[3:Plin. l. 35, c. 9, p. 691. Suid. et Harpocr. in Πολίγν.]] ; d’autres qui s’enrichirent, soit en formant des élèves[[3:Plin. ibid. p. 694.]], soit en exigeant un tribut de ceux qui venoient dans leur atelier admirer les chefs-d’œuvre sortis de leurs mains[[3:Ælian. var. hist. lib. 4, cap. 12.]]. Quelques-uns enorgueillis de l’approbation générale, trouvèrent une récompense plus flatteuse encore dans le sentiment de leur supériorité, et dans l’hommage qu’ils rendoient à leurs propres talens : ils ne rougissoient pas d’inscrire sur leurs tableaux : « il sera plus aisé de le censurer, que de l’imiter[[3:Plin. ibid. cap. 9, p. 691. Plut. de glor. Athen. t. 2, p. 346.]]. » Zeuxis parvint à une si grande opulence, que sur la fin de ses jours, il faisait présent de ses tableaux, sous prétexte que personne n’étoit en état de les payer[[3:Plin. ibid. p. 691.]]. Parrhasius avoit une telle opinion de lui-même, qu’il se donnoit une origine céleste[[3:Id. ibid. p. 694.]]. A l’ivresse de leur orgueil se joignoit celle de l’admiration publique.
Dans :Zeuxis, l’Athlète(Lien)
, « Réflexions sur le siècle de Périclès » (numéro Seconde partie, Section troisième, Siècle de Périclès) , vol. 1, p. 231-232
Polygnote fut le premier qui varia les mouvements du visage, et s’écarta de la manière sèche et servile de ses prédécesseurs[[3:Plin. ib. c. 9. Mém. de l’ac. des bell. lettr. t. 35, p. 194 et 271.]] ; le premier encore qui embellit les figures de femmes, et les revêtit de robes brillantes et légères. Ses personnages portent l’empreinte de la beauté morale, dont l’idée étoit profondément gravée dans son ame[[3:Arist. de rep. l. 8, cap. 5, t. 2, p. 455. Id. de poet. cap. 2, t. 2, p. 653.]]. […] Ce dernier[[5:Zeuxis.]] étudioit la nature[[3:Cicer. de invent. lib. 2, cap. I, t. I, p. 75.]], avec le même soin qu’il terminoit ses ouvrages[[3:Plut. in Per. t. I, p. 159.]] : ils étincellent de beautés ; dans son tableau de Pénélope, il semble avoir peint les moeurs et le caractère de cette princesse[[3:Plin. ibid.]] ; mais en général, il a moins réussi dans cette partie, que Polygnote[[3:Arist. de poet. cap. 6, t. 2, p. 657.]].
Dans :Zeuxis et Polygnote : action et caractères(Lien)
, « Description d’Athènes » (numéro Seconde partie, Section troisième, Siècle de Périclès, chapitre XII) , vol. 1, p. 397
Parcourons rapidement ces portiques qui se présentent le long de la rue, et qu’on a singulièrement multipliés dans la ville. Les uns sont isolés ; d’autres, appliqués à des bâtiments auxquels ils servent de vestibules. Les philosophes et les gens oisifs y passent une partie de la journée. On voit dans presque tous, des peintures et des statues d’un travail excellent. Dans celui où l’on vend la farine[[3:Hesych. In Αλφίτ. Aristoph. in eccles. v. 682.]], vous trouverez un tableau d’Hélène, peint par Zeuxis[[3:Eustath. in iliad. Lib. 11, p. 868, lin. 37.]].
Dans :Zeuxis, Hélène et les cinq vierges de Crotone(Lien)
, « Extrait d’un voyage sur les côtes de l’Asie, et dans quelques-unes des îles voisines » (numéro Seconde partie, Section troisième, Siècle de Périclès, ch. LXXII) , vol. 4, p. 107-108
Combien fut plus estimable la candeur de cet Athénien qui se trouva par hasard au portique où l’on conserve la célèbre Hélène de Zeuxis ! Il la considéra pendant quelques instants ; et moins surpris de l’excellence du travail, que des transports d’un peintre placé à ses côtés, il lui dit : mais je ne trouve pas cette femme si belle. C’est que vous n’avez pas mes yeux, répondit l’artiste[[3:Plut. ap. Stob. serm. 61, p. 394. Ælian. var. hist. lib. 14, p. 47.]].
Dans :Zeuxis, Hélène et les cinq vierges de Crotone(Lien)
, « Réflexions sur le siècle de Périclès » (numéro Seconde partie, Section troisième, Siècle de Périclès, vol. 1) , p. 236
Le goût des arts commençoit à s’introduire parmi un petit nombre de citoyens ; celui des tableaux et des statues, chez les gens riches. La multitude juge de la force d’un état, par la magnificence qu’il étale. Delà cette considération pour les artistes qui se distinguoient par d’heureuses hardiesses. On en vit qui travaillèrent gratuitement pour la république, et on leur décerna des honneurs[[3:Plin. l. 35, c. 9, p. 691. Suid. et Harpocr. in Πολίγν.]] ; d’autres qui s’enrichirent, soit en formant des élèves[[3:Plin. ibid. p. 694.]], soit en exigeant un tribut de ceux qui venoient dans leur atelier admirer les chefs-d’œuvre sortis de leurs mains[[3:Ælian. var. hist. lib. 4, cap. 12.]]. Quelques-uns enorgueillis de l’approbation générale, trouvèrent une récompense plus flatteuse encore dans le sentiment de leur supériorité, et dans l’hommage qu’ils rendoient à leurs propres talens : ils ne rougissoient pas d’inscrire sur leurs tableaux : « il sera plus aisé de le censurer, que de l’imiter[[3:Plin. ibid. cap. 9, p. 691. Plut. de glor. Athen. t. 2, p. 346.]]. » Zeuxis parvint à une si grande opulence, que sur la fin de ses jours, il faisoit présent de ses tableaux, sous prétexte que personne n’étoit en état de les payer[[3:Plin. ibid. p. 691.]]. Parrhasius avoit une telle opinion de lui-même, qu’il se donnoit une origine céleste[[3:Id. ibid. p. 694.]]. A l’ivresse de leur orgueil se joignoit celle de l’admiration publique.
Dans :Zeuxis et la richesse(Lien)
, « Voyage de l’Élide. Les jeux Olympiques » (numéro Seconde partie, Section troisième, chapitre XXXVIII) , vol. 2, p. 417
Je vis dans l’enceinte un peintre élève de Zeuxis, qui, à l’exemple de son maître[[3:Plin. lib. 35, cap. 9, t. 2, p. 691.]], se promenoit revêtu d’une superbe robe de pourpre, sur laquelle son nom étoit tracé en lettres d’or. On lui disoit de tous côtés : tu imites la vanité de Zeuxis, mais tu n’es pas Zeuxis.
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