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Type de textesource
TitreLa Rhétorique ou l’art de parler
AuteursLamy, Bernard
Date de rédaction
Date de publication originale1675
Titre traduit
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Date de reprint

, « Règles pour le style sublime » (numéro IV, 9) , p. 349-350

Apelle pour faire le portrait de son ami Antigonus, qui avait perdu l’œil gauche à l’armée, le peignit de profil, faisant seulement paraître la partie du visage de ce prince qui était sans difformité. Il faut imiter cet artifice. Quelque noble que soit le sujet dont on veut donner une haute idée, on ne peut réussir qu’en le faisant voir par la plus belle de ses faces. Les plus belles choses ont leurs imperfections ; cependant la moindre tache qu’on découvre dans ce qu’on estimait auparavant est capable de faire perdre toute l’estime qu’on en avait conçue. Après avoir dit mille belles choses ; si l’on ajoute quelque chose de bas, il se trouvera des esprits assez malins pour ne faire attention qu’à cette bassesse, et oublier tout le reste. On ne doit rien dire qui démente ce que l’on a dit, et qui détruise la première idée qu’on a donnée. Longin reprend Hésiode de ce que dans le poème qu’il a intitulé : Le Bouclier, après avoir dit ce qu’il pouvait pour faire une peinture terrible de la déesse des Ténèbres, il gâte ce qu’il avait dit en ajoutant ces mots :

Une puante humeur lui coulait des narines. [[1:Il, XV, 624]]

Cette circonstance ne rend pas cette déesse terrible, qui était le dessein d’Hésiode, mais odieuse et dégoûtante. Il faut donc cacher les défauts, ou pour mieux parler, puisque la vérité doit toujours paraître, il faut s’attacher à tourner les choses dont on veut donner une grande idée, de manière qu’elles apparaissent par leur bel endroit. [[4:suite : Zeuxis Hélène]]

Dans :Apelle, le portrait d’Antigone(Lien)

, « Règles que l’on doit suivre dans la distribution des ornements artificiels » (numéro IV, 20) , p. 380

[[7:voir le reste dans grotesques]] Il y a des personnes à qui tout est égal, qui habillent tout le monde magnifiquement ; c’est-à-dire, qu’ils parlent d’un même ton des grandes et des petites choses, et prodiguent partout les ornements de l’élocution. D’où vient cela ? C’est qu’il est aisé d’employer de riches couleurs, et qu’il est difficile de tirer les traits propres d’un objet qu’on veut peindre. C’est ce qu’Apelle disait à un jeune peintre : n’ayant pu faire Hélène aussi belle qu’elle est, vous l’avez faite riche.

Dans :Apelle : Hélène belle et Hélène riche(Lien)

, « La fin et la perfection de l’art de parler consistent à représenter avec jugement ce tableau qu’on a formé dans son esprit » (numéro I, 3) , p. 117

Car enfin l’illusion ne dure pas toujours. Chaque auteur l’expérimente dans ses propres ouvrages. Dans la chaleur de la composition qui n’est pas content de soi-même ? L’imagination est-elle refroidie, on est chagrin, parce qu’alors on juge mieux, et qu’on s’aperçoit de son illusion. C’est pour cela qu’on ne doit pas se hâter de publier un ouvrage : il faut le revoir cent et cent fois ; car je ne puis trop dire, la difficulté de ne rien dire contre le bon sens est inconcevable à tous ceux qui ne l’ont pas expérimentée. C’est ce qui nous oblige de consulter nos amis. Nous avons beau être éclairés par nous-mêmes : les yeux d’autrui voient toujours plus loin que nous dans nos défauts, et un esprit médiocre fera quelquefois apercevoir le plus habile homme d’une méprise qu’il ne voyait pas. Aussi ces excellents peintres que l’Antiquité a admirés, les Apelles, les Polyclètes, selon la remarque de Pline, mettaient des inscriptions à leurs ouvrages qui marquaient qu’ils n’étaient point encore achevés, et que si la mort ne les surprenait, ils effaceraient et corrigeraient ce qu’on y trouverait de défectueux. Pline appelle ces inscriptions : Pendentes titulos, comme celle-ci : Appeles faciebat aut Polycletus : tanquam inchoata semper arte et imperfecta, ut contra judiciorum varietates superesset artifici regressus ad veniam, velut emendaturo quidquid desideraretur, si non esset interceptus.

Dans :« Apelles faciebat » : signatures à l’imparfait(Lien)

, p. 114

Or l’idée que nous avons de l’ordre, c’est que les choses ne sont bien ordonnées que lorsqu’elles ont un rapport à leur tout, et qu’elles conspirent pour atteindre leur fin. Quand cela arrive, les choses deviennent agréables quoiqu’elles ne le soient pas d’elles-mêmes ; ce qui marque que nous sommes portés par une inclination naturelle à aimer l’ordre. La peinture le fait voir : il y a des tableaux qui ne représentent que des objets pour lesquels on a de l’aversion. Cependant la fin de cet art est de représenter les choses au naturel, si chaque trait qu’on aperçoit exprime la pensée du peintre, et que tout corresponde à son dessein, son ouvrage charme. Ce qui plaît n’est pas la vue d’un serpent qui est peint ; on frémit quand on en voit un, mais ce qui fait plaisir c’est l’esprit du peintre qui a su atteindre la fin de son art. Aussi n’en prend-on qu’à mesure que se déclare cette adresse.

Dans :Cadavres et bêtes sauvages, ou le plaisir de la représentation(Lien)

, « Règles que l’on doit suivre dans la distribution des ornements artificiels » (numéro IV, 20) , p. 379-380

Les ornements sont raisonnables lorsque la vérité n’est point choquée, c’est-à-dire, que toutes les expressions dont on se sert, ne donnent que des idées véritables. Ceux qui veulent éblouir, ne parlent jamais naturellement : leurs paroles font paraître si extraordinaire tout ce qu’ils disent, qu’il n’y a point de vraisemblance. Pour rendre ce défaut sensible, je rapporterai ici un passage de Vitruve, qui est admirable pour cela. Ce judicieux architecte se plaint de ce que dans la peinture l’on ne prenait plus pour modèle les choses comme elles sont dans la vérité. On met, dit-il, pour colonnes des roseaux : on peint des chandeliers qui portent de petits châteaux, desquels, comme si c’étaient des racines, il s’élève quantité de branches délicates, où l’on voit des figures assises, et sortir de leurs fleurs des demi-figures, les unes avec des visages d’hommes, les autres avec des têtes d’animaux, qiu sont des choses qui ne sont point, et qui ne peuvent être, comme elles n’ont jamais été. Les nouvelles fantaisies prévalent de telle sorte, qu’il ne se trouve presque personne qui soit capable de découvrir ce qu’il y a de bon dans les arts, et qui en puisse juger. Car quelle apparence y a-t-il que des roseaux soutiennent un toit ; qu’un chandelier porte des châteaux ; que de faibles branches portent les figures qui y sont comme à cheval, et que d’une fleur il puisse naître des moitiés de figures ? Pour moi (dit Vitruve) je crois qu’on ne doit point estimer la peinture si elle ne représente la vérité. Ce n’est pas assez que les choses soient bien peintes, il faut aussi que le dessein soit raisonnable, et qu’il n’ait rien qui choque le bon sens. Il faut appliquer à l’éloquence ce que Vitruve dit ici de la peinture. Quand on parle, il faut prendre la vérité pour modèle, et il ne faut pas pour donner plus d’éclat aux choses, les représenter autres qu’elles ne sont.

C’est à quoi il faut travailler, que les choses paraissent ce qu’elles sont ; simples, si elles sont simples. Philostrate louant un tableau où étaient représentés les chevaux d’Amphiaraüs, dit que le peintre les avait représentés baignés de leur sueur, et couverts d’une poussière qui les rendait moins agréables, mais plus resemblants à ce qu’ils étaient ; Deformiores, sed veriores. Il y a des personnes à qui tout est égal, qui habillent tout le monde magnifiquement ; c’est-à-dire, qu’ils parlent d’un même ton des grandes et des petites choses, et prodiguent partout les ornements de l’élocution. D’où vient cela ? C’est qu’il est aisé d’employer de riches couleurs, et qu’il est difficile de tirer les traits propres d’un objet qu’on veut peindre. C’est ce qu’Apelle disait à un jeune peintre : n’ayant pu faire Hélène aussi belle qu’elle est, vous l’avez faite riche. [[8:voir aussi Hélène belle et Hélène riche]]

Dans :Grotesques(Lien)

, « La parole est un tableau de nos pensées. Avant que de parler il faut former dans son esprit le dessein de ce tableau » (numéro I, 2) , p. 113

Cette brièveté si nécessaire pour rendre un ouvrage net et fort, ne consiste pas dans le seul retranchement de tout ce qui est inutile ; mais dans le choix de certaines circonstances qui tiennent lieu de plusieurs choses que l’on ne dit pas. À peu près comme fit Timanthe ce fameux peintre de l’Antiquité, pour représenter dans une petite table la grandeur prodigieuse d’un géant. Il le peignit couché par terre, dormant au milieu d’une troupe de satyres, qui se jouaient autour de lui. L’un mesurait sa tête, un autre appliquait un thyrse à son pouce, faisant connaître par cette invention ingénieuse quelle était la grandeur de ce corps, dont les plus petites parties étaient mesurées avec le thyrse d’un satyre. Ces inventions demandent de l’esprit et de l’application. C’est pourquoi un auteur fort célèbre[[6:Pascal, Provinciales, seizième lettre : « Je n’ai fait celle-ci plus longue que parce que je n’ai pas eu le loisir de la faire plus courte. »]] qui avait cette adresse de renfermer beaucoup de choses en peu de paroles, s’excuse agréablement de ce que l’une de ses lettres est trop longue, sur ce qu’il n’avait pas eu le loisir de la faire plus courte.

Dans :Timanthe, Le Sacrifice d’Iphigénie et Le Cyclope (Lien)

, « Règles pour le style sublime » (numéro IV, 9) , p. 350

[[4:suit Apelle Antigone]] Il faut donc cacher les défauts, ou pour mieux parler, puisque la vérité doit toujours paraître, il faut s’attacher à tourner les choses dont on veut donner une grande idée, de manière qu’elles apparaissent par leur bel endroit. Zeuxis, pour représenter Hélène aussi belle que les poètes grecs la font dans leurs vers, étudia les traits naturels des plus belles personnes de la ville où il faisait cet ouvrage, et donna à son Hélène toutes les grâces que la nature avait partagées entre un grand nombre de femmes bien faites. Lorsqu’on est maître de son sujet, on peut ajouter ou retrancher.

Dans :Zeuxis, Hélène et les cinq vierges de Crotone(Lien)