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Type de textesource
TitreDes peintres anciens et de leurs manières
AuteursGermain
Date de rédaction
Date de publication originale1681
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Date de reprint

, p. 104

Antiphile, autre peintre célebre et très ancien, mit pareillement au jour plusieurs excellens ouvrages, et par dessus tout, un Enfant dépeint dans l’obscurité, le corps courbé, et la bouche appliquée sur un petit feu, qu’il sembloit exciter peu à peu par son souffle, en sorte que tout le lieu en paroissoit de fois à autre à demi éclairé, comme si les ténebres s’y dissipant tout-à-coup, fussent revenues en un moment [[3:Note de Cochin, 1760 : Description fausse. Un tableau ne change point de fois à autre ; c’est l’imagination du panégyriste qui y voit ce qui n’y est pas. Ces louanges rendent les auteurs qui les donnent, suspects d’être peu versés dans les beautés de l’art.]]. [[4:suite : Antiphilos Gryllos]]

Dans :Antiphilos, L’Enfant au brasero(Lien)

, p. 104

Ce peintre étoit natif d’Egypte, et eut pour maître Ctésidémus. Pline dit qu’il ne se plaisoit qu’à peindre des grotesques, et autres figures ridicules et bouffonnes, dont on le sait le premier inventeur, et dans lesquelles il faisoit merveilles, et beaucoup mieux que dans les sujets sérieux ; ce qui n’empêche pas qu’il ne se soit rendu illustre dans son art, jusques-là que Lucien le met en parallèle avec Appelles, en quoi il n’est pas suivi des autres auteurs.

Dans :Antiphilos et le Gryllos ; Calatès, Calliclès et les tableaux comiques(Lien)

, p. 109-110

Dioclès, disciples d’Apelles, est celui que l’on fait le premier inventeur du portrait en profil ; car on dit qu’ayant entrepris avec deux autres disciples du même maître, Polygnotus et Scopas, de faire le portrait du roi Antigonus qui avoit perdu un œil à la guerre, Polygnotus le tira fort bien au vif, mais avec son œil crevé, voulant suivre en tout l’art de la peinture. Scopas le peignit en l’âge qu’il avoit avant ce malheureux accident, et pensoit avoir fort bien rencontré. Mais Diocles plus adroit, prit le milieu de l’art, et le peignit en profil ; de sorte qu’il n’y avoit que le côté du bon œil qui parût. C’est pourquoi il remporta le prix, non seulement pour ce qui touche son art, mais encore pour ce qui regarde la prudence[[3:Note de Cochin, 1760 : Ce n’est point une invention, mais seulement une idée heureuse dans le cas dont il est question. Ce qui empêche de traiter les portraits de profil, c’est qu’ils sont plus agréables vus de face.]] .

Dans :Apelle, le portrait d’Antigone(Lien)

, p. 122-123

On sçait la rencontre que ce peintre eut à Rhodes avec Appelles sur ces deux lignes[[3:Note de Cochin, 1760 : Cette histoire n’est intelligible qu’en supposant que ces traits représentassent quelque chose, comme seroit une tête de profil. Alors on peut reconnoître à la certitude des formes la science du dessein.]] qu’ils tirerent en l’absence l’un de l’autre sur une même toile, et sur la délicatesse desquelles tous deux alternativement se confesserent vaincus. Le même Pline la décrit assez au long dans le 35e livre de son Histoire, c. 9.

Dans :Apelle et Protogène : le concours de la ligne(Lien)

, p. 98

Aussi se vantoit-il d’accompagner tous ses ouvrages d’une grace toute particuliere et inimitable, qui ne se rencontroit point dans ceux de tous les autres, qui y laissoient toujours à desirer une certaine Vénus, que les Grecs appelloient Charis, c’est-à-dire, Grace, en laquelle il les surpassoit tous. [[4:suite : Apelle irreprésentable]]

Dans :Apelle supérieur par la grâce(Lien)

, p. 98

On lui donne la gloire d’avoir trouvé l’invention de faire cacher à la peinture les défauts naturels, et de peindre ce que le pinceau ne sçauroit bien exprimer, comme sont les foudres et les tempêtes[[3:[1] Note de Cochin, 1760 : On n’apperçoit pas bien pourquoi le pinceau ne pourroit pas imiter les tempêtes, les foudres, etc. Il est vrai qu’il faut une imagination forte pour se bien représenter ces instans qu’on ne peut peindre que de mémoire : mais il est certain que dans nos siecles, où nous n’osons nous comparer à Appelles, ces choses ne passeroient pas pour merveilleuses par elles-mêmes, et qu’elles n’auroient d’estime qu’autant que l’imitation en seroit portée au plus haut degré de perfection.]], Pinxit Apelles, quae pingi non possunt ; tonitrua, fulgetra, fulguraque, etc. Pline l. 35, c. 10. Il semble que l’on voyoit dans ses tableaux, ou plutôt que l’on s’imaginoit entendre le bruit des tonnerres, et le choc éclatant des nuées toutes tranchées d’éclairs.

Dans :Apelle et l’irreprésentable(Lien)

, p. 121

[[4:suit Protogène Ialysos]] Appelles l’ayant vu, ne put se défendre de l’admirer, et de reconnoître publiquement, malgré sa vanité, et l’estime qu’il avoit de soi-même, par-dessus tout autre peintre, que Protogenes l’égaloit en plusieurs points, et particulièrement en ce dernier chef-d’œuvre de sa main. Mais que cependant lui-même le surpassoit en deux choses ; la premiere, en ce que ses peintures avoient je ne sçais quelle grace que celles de Protogenes n’avoient pas ; et la seconde, en ce qu’il sçavoit interrompre facilement son travail, ce que cet autre ne faisoit qu’avec peine.[[3:Note de Cochin, 1760 : Ce n’est point le sens du mot d’Appelles. Il signifie que Protogenes s’obstinant à un fini extrême, ne sçavoit point dire, c’est assez.]]

Dans :Apelle et la nimia diligentia(Lien)

, p. 101-102

La seconde[[5:pièce.]], fut (dit-on) le tableau d’une Vénus endormie, mais représentée tellement au naturel, qu’en s’approchant pour la voir, il sembloit qu’on dût craindre de l’éveiller. Aussi ajoute-t-on, qu’il avoit mis au pied de ce portrait quatre vers grecs, qui disoient à peu près ainsi :

Admire le docte pinceau

Qui m’a sçu dépeindre si belle,

Et reconnois dans ce tableau

L’industrieuse main d’Appelle.

Regarde s’il est rien dans la terre et les cieux,

Parmi les hommes et les dieux,

Qui soit égal aux graces sans pareilles

Qui me font à tes yeux briller ;

Mais en me regardant laisse-moi sommeiller,

Ou je fuirai, si tu t’éveilles.

La troisième enfin, fut un portrait de la même Vénus, que cet admirable ouvrier dépeignit sortant de la mer, et qu’il tira, ou sur Campaspé, la plus chérie des maîtresses d’Alexandre, et la plus belle des femmes de son temps, comme assure Pline, ou selon Athénée livre 13, à la ressemblance de la belle Phryné, fameuse courtisane d’Athenes. Cet ouvrage fut estimé pour le plus grand chef d’œuvre de la peinture, et après lequel on ne croyoit pas qu’il fût possible de rien faire de beau ni de parfait. Aussi faisoit-il l’admiration de tout le monde, et la riche matiere des éloges des poëtes grecs et latins de ce temps-là. [[4:suite : Apelle Vénus inachevée]]

Dans :Apelle, Vénus anadyomène (Lien)

, p. 102-103

Cependant ce qui releve d’autant plus le mérite de cet ouvrage, et la gloire de son auteur, c’est qu’il n’étoit seulement qu’ébauché, la mort l’ayant surpris lorsqu’il étoit sur le point de l’achever ; et que tout imparfait qu’il étoit, il ne laissa pas de mettre tous les peintres tellement à bout, qu’il ne s’en trouva aucun assez hardi pour entreprendre de l’achever, ou de suivre seulement le profil et les traits qu’Appelles y avoit commencés ; ce qui lui acquit le titre non seulement du plus habile de tous les peintres qui l’avoient précédé ; mais encore, dit Pline, de ceux qui devoient venir après lui dans tous les siècles suivants : Omnes prius genitos, futurosque postea superavit Appelles ; eo usque in pictura provectus est, ut plura solus prope, quam caeteri omnes contulerit.

Dans :Apelle, Vénus inachevée(Lien)

, p. 106

Il[[5:Aristides.]] se rendit encore illustre pour avoir sçu exprimer ingénieusement dans ses portraits les inclinations et les humeurs des personnes qu’il représentoit. L’on compte entre ses plus beaux ouvrages, la représentation de la derniere bataille et de la célebre victoire d’Alexandre le Grand contre Darius ; un tableau de Bacchus et d’Ariane, qui fut vendu dix mille sesterces ; et par-dessus tous, celui d’une mere mourante, ayant son enfant attaché à ses mammelles, mais représentée si naïvement, qu’on eût dit qu’elle vouloit empêcher qu’il ne tettât, de peur qu’en suçant son lait, il ne suçât en même temps le sang qui sortoit à gros bouillons de la plaie qu’un coup de fleche empoisonnée lui venoit de faire dans le sein.

Dans :Aristide de Thèbes : la mère mourante, le malade(Lien)

, p. 111-112

Martia, dame romaine, mise au nombre des illustres pour le pinceau, florissoit vers l’an 3920. Elle fut fille de Marc Varron. On lui donne cette louange d’avoir religieusement conservé le précieux trésor de sa virginité, qu’elle garda toute sa vie ; mais si pure et si entiere, que sçachant parfaitement l’art de peindre en portrait, elle ne voulut jamais s’en servir pour peindre aucun homme, parce que la coutume étoit de son temps de ne point représenter les corps humains autrement que nus : pernicieuse coutume, qu’un poëte, tout payen et tout libertin qu’il étoit, n’a pu s’empêcher de décrier par ces vers :

Quae manus obscoenas depinxit prima tabellas,

Et posuit casta turpia visa domo :

Illa puellarum ingenuos corrupit ocellos,

Nequitiaeque suae noluit esse rudes.

Dans :Femmes peintres(Lien)

, p. 113-114

Pamphile, Macédonien, commença de florir dans la 105e Olympiade. Il étoit si jaloux de son sçavoir, qu’il ne vouloit recevoir aucun disciple pour lui apprendre son art, qu’il ne lui donnât annuellement un talent de salaire, et ne s’engageât sous sa discipline pour dix ans ; et ce ne fut qu’à ce prix et à cette condition qu’il reçut en son école Appelles et Mélanthus. Pline le fait universel dans toutes sortes de sciences, et particulièrement dans l’arithmétique et la géométrie ; et rapporte de lui qu’il tenoit pour maxime, que celui qui veut être bon peintre, ne doit rien ignorer ; et que quoique la géométrie lui soit surtout nécessaire pour bien entendre la perspective, il se doit encore munir de plusieurs autres sciences, afin d’observer parfaitement dans la pratique de son art, les raisons et les proportions, avec le naturel de chaque chose pour la représenter telle qu’elle est en effet. Omnibus literis eruditus, praecipue arithmetice et geometrice, sine quibus negabat artem perfici posse, etc. Plin. l. 33 (sic), c. 10. Ce fut par son conseil, et en partie de son autorité, qu’à Sicyone, et ensuite dans toute la Grece, les enfans des nobles s’adonnerent à la peinture, dont on leur faisoit faire l’apprentissage ; et ce fut aussi par son crédit que cet art fut admis au nombre des arts libéraux, avec défenses à ceux qui n’étaient pas de condition libre, de l’exercer, en sorte qu’il n’y avoit proprement que les personnes nobles qui s’y adonnassent. C’est ce qu’assure Alexander ab Alexandro, dans ses Jours Géniaux.

Dans :Pamphile et la peinture comme art libéral(Lien)

, p. 118

Parrhasius n’étoit pas moins superbe et glorieux, que cruel ; car on le voyoit souvent paroître dans les fêtes publiques, vêtu d’un manteau de pourpre, et portant avec une posture extrêmement fastueuse, la couronne d’or sur la tête. Cependant il ne laissoit pas d’affecter de passer pour un homme rempli de sagesse et de vertu, comme le témoignent quelques vers grecs qu’on dit qu’il avoit coutume de mettre au-dessous de ses plus beaux ouvrages, qui se lisent dans Athénée, et qu’on peut voir traduits en latin par Casaubon.

Dans :Parrhasios : orgueil(Lien)

, p. 117-118

On le taxe d’avoir été fort cruel ; car on dit que Philippe de Macédoine ayant mis en vente, comme esclaves, les Olynthiens, dont il avoit ruiné la ville, ce peintre en acheta un fort vieux, et le mena à Athenes, où l’ayant attaché à une muraille, il lui fendit l’estomac, et lui rendit le foie tel que les poëtes ont feint que l’oiseau de Jupiter avoit rendu celui de Prométhée enchaîné sur le Mont Caucase ; et soudain l’ayant tiré au vif de cette posture, il en dédia le tableau au Temple de Minerve, comme une piece rare et très précieuse. Ce qui pensa pourtant lui coûter la vie ; car quand on sçut sa perfidie, il fut cité devant les Juges de l’Aréopage, où l’éloquence de son avocat eut bien de la peine à fléchir ce sage Sénat en sa faveur, et à le garantir du supplice que son crime méritoit. On accuse Michel-Ange d’avoir imité cette cruauté sur un jeune paysan, afin de peindre plus naïvement un Crucifix mourant. [[4:suite : Parrhasios orgueil]]

Dans :Parrhasios, Prométhée(Lien)

, p. 119

Pausias, ou Pausanias, Sicyonien, disciple de Pamphile de Macédoine, se rendit célebre par plusieurs ouvrages qu’il donna au public ; entr’autres par le tableau de Glycera, fameuse bouquetiere d’Athenes, de laquelle ce peintre étoit passionnément amoureux, et qu’il représenta si artistement ornée de guirlandes et de chapeaux de fleurs, que l’art sembloit avoir surpassé la nature de beaucoup dans cette pièce. Elle fut si estimée, que Lucullus l’acheta une somme immense ; et l’ayant portée à Rome, il l’y fit placer au lieu le plus éminent de son palais.

Dans :Pausias et la bouquetière Glycère(Lien)

, p. 106

Ardicès, natif de Corinthe, qui étoit en vogue en Grece avant la guerre de Perse, fut le premier qui inventa le dessein, ou la maniere de profiler et de contretirer avec le crayon et le simple trait, sans mêlange de couleurs ; ce qui n’étoit à la vérité qu’un ouvrage très imparfait, puisqu’il falloit mettre au bas le nom de la personne représentée, pour la donner à connoître. Ideo et quos pingeret, dit Pline, adscribere institutum.

Dans :Peintres archaïques : « ceci est un bœuf »(Lien)

, p. 121-122

Ce tableau étoit en si grande estime, que Démétrius ayant assiégé Rhodes, et trouvé dans une maison publique d’un des fauxbourgs de la ville, cette admirable piece, que les Rhodiens, par je ne sçais quelle négligence avoient oublié de renfermer dans l’enceinte de leurs murailles, ceux-ci apprenant avec beaucoup de regret qu’elle étoit tombée entre les mains de ce conquérant, lui députerent aussitôt quelques-uns des plus considérables d’entr’eux, pour le supplier d’avoir quelque considération pour un si digne ouvrage, et de ne le point condamner au feu, comme il faisoit tout le reste des dépouilles qu’il prenoit sur eux. À quoi ce sage prince répondit : Se citius patris imagines, quam eam picturam aboliturum. Plutarch. in Demetr.

Qu’il n’étoit pas assez barbare

Pour souffrir qu’une image, et si riche, et si rare,

Servît aux flammes d’aliment ;

Et que dans son estime il la tenoit si chere,

Qu’il souffriroit plutôt qu’on fît ce traitement

À toutes celles de son pere.

Pline dit que par succession de temps ce tableau fut porté à Rome, et mis au Temple de la Paix.

Dans :Protogène et Démétrios(Lien)

, p. 120-121

Protogenès, natif de Caune, ville de Carie, peintre des plus renommés de l’antiquité, étoit contemporain d’Appelles. Elian, l. 12, Hist. C. 4, et Plutarque dans la vie de Démétrius, disent qu’il fut sept années[[3:Note de Cochin, 1760 : Il est impossible de concevoir qu’on ait pu employer sept années à peindre une figure, si ce n’est qu’on ait rendu jusqu’aux pores de la peau, ainsi qu’il est dit ci-devant d’Appelles : on ne peut s’en former d’autre idée que celle d’un tableau très froid, et fini d’une manière très mesquine.]] à faire le portrait de Ialyse, fondateur d’une ville du même nom, située dans l’Isle de Rhodes. Pendant tout ce temps, pour s’empêcher de voir ses sens hébêtés en le faisant, il garda une si merveilleuse abstinence, qu’il ne mangeoit que des lupins, qui est une espece de légumes, et ne buvoit que de l’eau. Il donna à ce tableau quatre charges de couleurs, afin que quand le temps en auroit consumé une, l’autre se trouvât toute fraîche et entiere dessous. Bref, il y employa tant d’industrie, que bien qu’il ne fût pas encore achevé, Appelles l’ayant vu, ne put se défendre de l’admirer, et de reconnoître publiquement, malgré sa vanité, et l’estime qu’il avoit de soi-même, par-dessus tout autre peintre, que Protogenes l’égaloit en plusieurs points, et particulièrement en ce dernier chef-d’œuvre de sa main. [[4:suite : Apelle nimia diligentia]]

Dans :Protogène, L’Ialysos (la bave du chien faite par hasard)(Lien)

, p. 123

Théon, natif de l’Isle de Samos, peintre des plus renommés, étoit en vogue du temps de Philippe de Macédoine. Elian rapporte, qu’ayant dépeint un gendarme à cheval qui sortoit à l’impourvu de la ville, et qui s’alloit jetter tout furieux sur l’ennemi, il ne voulut point l’exposer à la vue du monde, qu’il n’eût fait auparavant sonner par un trompette, d’un ton éclatant, le bouteselle[[3:Note de Cochin, 1760 : Voilà bien de la charlatanerie : si le tableau étoit bon, il n’avoit pas besoin de ce secours.]]. Puis quand il vit que les esprits des assistans étoient émus de son guerrier, pour lors il leur montra tout à coup son gendarme, afin qu’ils remarquassent plus efficacement combien il étoit habile en son art.

Dans :Théon de Samos, l’Hoplite(Lien)

, p. 123-124

Timante, peintre illustre, florissoit vers l’an du monde 3600. Quintilien, L. 11, c. 13, et Pline, l. 35, lui donnent la louange d’avoir fait connoître et imaginer dans ses peintures beaucoup plus de choses qu’il n’en représentoit en effet. In omnibus eius operibus, intelligitur plus semper quam pingitur. Témoin le Cyclope dormant qu’il représenta sur une piece de cuivre de la largeur de l’ongle[[3:Note de Cochin, 1760 : C’est un trait de jugement, mais un tableau grand comme l’ongle, difficilement mérite de passer à la postérité.]], étendu de son long, et entouré de satyres, qui lui mesuroient le pouce avec une gaule, afin de sçavoir les dimensions de sa stature gigantesque ; témoin encore cette piece si célebre dans les histoires du sacrifice d’Iphigénie, et qu’il entreprit par un défi contre Colothen, qu’il surmonta, tant par la délicatesse de ses traits, que par l’industrie de son art ; car on dit qu’après y avoir représenté de la maniere du monde la plus touchante, tous les illustres parens de cette infortunée princesse dans une désoléation extrême à la vue du triste appareil du sacrifice et de la mort de cette innocente victime, quand il vint à dépeindre Agamemnon son pere, il lui couvrit le visage d’une partie de son manteau, pour insinuer par cet ingénieux artifice dans l’esprit des spectateurs une idée de la douleur et du désespoir de ce pere affligé, beaucoup plus grande et plus persuasive, que s’il la leur avoit tracée avec le pinceau. Et videntibus, dit Valere Maxime, l. 8, c. 11, cogitandum relinqueret summum illum luctum, quem penicillo non posset imitari.

Dans :Timanthe, Le Sacrifice d’Iphigénie et Le Cyclope (Lien)

, p. 125

Timomachus, Byzantin, florissoit du temps de César le dictateur, auquel on dit qu’il fit deux excellents tableaux, l’un d’Ajax, et l’autre de Médée, que César acheta vingt talens, et les dédia dans le Temple de Vénus. Pline liv. 35, c. 11. D’autres ajoutent que le dernier étoit si admirablement bien travaillé, que Médée, toute en fureur qu’elle y paroissoit contre son propre sang, tenant le poignard d’une main, et empoignant de l’autre les deux enfans qu’elle avoit eus de Jason, poussée d’un côté de rage et de haine contre l’ingratitude de leur pere, et émue de l’autre de compassion et tendresse pour les misérables restes de son infidele amant, paroissoit avoir la derniere horreur de leur plonger le fer dans le sein, et ne le faire qu’à regret, et comme y étant forcée par une furieuse passion dont elle ne pouvoit plus être la maîtresse ; de maniere que dans ce trouble affreux où l’on la voyoit réduite, on eût dit que son visage étoit doux et cruel, et ses yeux pitoyables et furieux tout ensemble. D’où vient qu’on veut que ces vers furent depuis écrits au pied de ce tableau.

Quos natos feritura ferox Medæa moratur ;

Præstitit hoc magni dextera Timomachi.

Tardat amor facinus ; strictum dolor incitat ensem ;

Vult, non vult natos perdere et ipsa suos.

Dans :Timomaque, Ajax et Médée(Lien)

, p. 126

Les Agrigentins en eurent Alcmene, Archelaüs, un dieu Pan, et quelques autres; un athlete sortant du combat, qui étoit peint avec tant de naïveté, qu’on eût dit qu’il suait véritablement. Aussi en fit-il tant d’éclat, qu’il osa bien mettre au-dessous un vers grec, portant qu’il seroit plus facile aux peintres de l’envier, que de l’imiter. Culpaberis facilius hoc, quam imitaberis.

Dans :Zeuxis, l’Athlète(Lien)

, p. 127-128

Ce peintre eut la gloire de surmonter par l’industrie de son art le fameux Parrhasius, qu’il sçut adroitement tromper[[3:On répete partout ce trait historique comme une merveille : cependant il est maintenant connu de tout le monde combien il est facile de faire illusion dans de pareilles bagatelles.]], tout habile maître qu’il étoit, par la représentation d’un rideau, lorsque celui-ci ne sçut tromper que des oiseaux par la peinture de ses raisins. Tout le monde en sçait l’histoire. [[4:suite : Zeuxis mort de rire]]

Dans :Zeuxis et Parrhasios : les raisins et le rideau(Lien)

, p. 127

On dit que son chef d’œuvre fut le portrait d’une Hélene, dont l’Orateur romain a pris plaisir de décrire l’excellence sous les plus riches termes de sa rhétorique dans le commencement de son second livre De inventione. On dit qu’il tira cette rare piece, qui fut estimée le miracle de la peinture, sur cinq des plus belles filles de la ville de Crotone, qu’il choisit sur un plus grand nombre que ces peuples lui avoient présentées à ce dessein, prenant de chacune ce qu’il y trouva de plus charmant pour le donner à son Hélene, qu’il trouva ensuite si belle et si accomplie, qu’il mit au-dessous de ce distique.

Haud turpe est Teucros, fulgentesque aere Pelasgos,

Conjuge pro tali diuturnos ferre labores.

Dans :Zeuxis, Hélène et les cinq vierges de Crotone(Lien)

, p. 128

Au reste, on dit que ce peintre mourut à force de rire, considérant avec trop d’attention le portrait d’une vieille, qu’il avoit représentée d’une posture si grotesque, qu’elle étoit capable d’exciter le ris aux plus sérieux.

Dans :Zeuxis mort de rire(Lien)

, p. 126

On dit de lui que s’il ne cédoit guere à Appelles, ni à Protogenes pour l’excellence de son art, il les surpassoit l’un et l’autre en vanité; car les auteurs rapportent, qu’ayant amassé beaucoup de richesses par son travail, il étoit assez vain pour en faire parade, et pour paroître aux Jeux Olympiques revêtu d’un manteau de pourpre, où son nom étoit broché en lettres d’or. D’abord il vendit ses tableaux un prix excessif; mais quand il se vit fort opulent, il commença à en faire des présens, disant qu’on ne les pouvoit assez payer. Nullo satis digno pretio permutari posse dicebat. Plin. Les Agrigentins en eurent Alcmene, Archelaüs, un dieu Pan, et quelques autres; un athlete sortant du combat [[4:suite: Zeuxis Athlète]]

Dans :Zeuxis et la richesse(Lien)