Paris 12 mai 1839.
Mon cher ex-associé, j'ai vu hier M. Marquiset ; quand il m'a parlé de ses affaires, je lui ai conté les miennes, et lui ai offert une imprimerie. Il est résolu à vendre, quoi qu'il en coûte. Il va placer Dantiné, et il écrit encore à Besançon pour que personne ne conserve d'espérance sur lui. Les ateliers sont déserts. A Paris, la crise dure toujours. On commence à maudire les coalisés, on s'aperçoit que hommes et systèmes ne valent pas mieux que ceux du passé. Les ex-passés-ministres sont fort peu de chose, et les ex-futurs ministres ne sont pas davantage, voilà ce qu'on dit dans le monde. Aussi Paris est tranquille, parce que personne n'y est séduit, et que l'illusion d'optique qui arrive dans l'éloignement des objets n'y a pas lieu, tandis que dans les provinces on est fort effrayé et qu'on nous croit sur un volcan. Jamais une telle impuissance et une si grande immoralité ne se sont vues. Tout le monde en est dégoûté. C'est le temps de Louis XV.
Louis-Philippe seul ne perd pas la tête, mais, quoiqu'on ne lui reproche aucun vice, il n'en est pas moins un homme immoral. Peu lui importe la vertu ou le vice, pourvu que les volontés lui cèdent. C'est un être qui fait abstraction de tout, hormis de son pouvoir. La France lui doit peu de reconnaissance, car il ne travaille que pour lui; mais enfin, il résulte de sa ténacité et de son adresse, que nous ne sommes pas encore en pleine dissolution.
Je vous souhaite le bonjour.
P.-J. PROUDHON.