Milly, 29 septembre 1808.
Encore sept ou huit jours, et je t'embrasse à Bienassis ; j'en suis heureux depuis quinze jours. Je vais donc enfin revoir mes deux meilleurs amis, entendre conter toutes leurs aventures depuis huit mois, leur raconter les miennes et nous jurer de nouveau une amitié éternelle. J'ai été bien sensible à la bonté de la mère qui nous réserve deux bouteilles de vin de l'Hermitage. Je ne peux cependant pas lui promettre de n'avoir pour elle aucun respect. Cette condition est trop sévère ; elle me paraît impossible avant que j'aie l'honneur de la connaître : que sera-ce quand j'aurai vu par moi-même les vertus dont j'ai entendu le récit de ta bouche même? Tu n'aimes pas les festins somptueux, ni moi non plus, je t'assure. Tu me cites Horace, je te le cite aussi, écoute :
Lis la suite de cette épître et dis avec moi :
Je ne veux aller ni chez M. de Veysseire, ni chez Mme de Beauvais, ni chez MM. de Vernat, je veux rester à Bienassis à causer, à rire et à nous divertir comme des fous; je n'y vais que pour vous voir tous, et non pour aller faire des saluts symétriques chez les élégantes du voisinage.
Je vois d'après ce que tu me dis de la fête qui a eu lieu chez toi que tu passes pour un jeune homme fort réservé, fort sage, et je t'en fais mon compliment. J'ai ici une réputation assez bonne aussi; cependant on ne me mettrait pas, je crois, avec autant de sécurité au milieu d'une pareille bergerie. Pour mon malheur je n'ai rien de semblable à appréhender. Je viens de recevoir une lettre de Virieu qui ne me parle point du projet d'aller chez loi. Quant à moi, j'irai frapper à ta porte le premier ou le second jour d'octobre, et je passerai par Lyon, grâce à tes conseils, car mon premier projet était d'aller à cheval par Bourg et Ambérieux. Mais, tout bien considéré, ce n'est pas un bien grand malheur que de passer par une grande ville où on trouve des connaissances, des amis et de bons spectacles. Je tâcherai de trouver une méchante patache pour aller jusqu'à Crémieu. Je vais aller tout à l'heure faire mes adieux à mon oncle et à d'autres personnes qui me félicitent fort de mon plaisir futur.
Adieu : mon coursier est dans la cour, qui fait grand bruit parce que les mouches le piquent. Je vais le monter et aller dîner. Je t'embrasse et suis pour la vie le plus tendre et le plus fidèle de tes amis.
ALPH. DE LAMARTINE.