1827-10-22, de Félicité de Lamennais à Pierre Antoine Berryer.

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Vous avez voulu, à tout prix, en finir de celte triste affaire et me rendre ma tranquillité; je vous en remercie : mieux vaut, en effet, se laisser dépouiller par des misérables, que de subir les angoisses d'une discussion odieuse et dégoûtante. Croyez, cher, que jamais je n'oublierai ce que je vous dois, tous les soins, tous les ennuis, toutes les fatigues auxquels s'est dévouée votre si bonne et si tendre amitié depuis trois ans. Où en serais-je, sans vous? Toutes ces bêtes de proie m'auraient dévoré jusqu'aux os. Il m'est arrivé avec elles le contraire de Joseph. Ses frères ne rapportèrent que sa robe, et moi je n'ai perdu que la mienne. Puisse le compte qui reste à régler l'être promptement, et sans qu'il en résulte des difficultés nouvelles et un nouveau procès.

On avait dit ici que M de Villèle ullait révoquer l'ordonnance de censure, et sacrifier M. de Peyronnet aux répugnances des magistrats. Je n'ai cru ni l'un ni l'autre, et j'ai bien fait, à ce qu'il paraît. La Bretagne a possédé deux ou trois semaines M. de Corbière. Je suis fâché de dire qu'elle n'a pas ressenti un si grand bonheur comme elle le devait. Les cœurs se desséchent tous les jours; on ne peut plus compter sur la reconnaissance. J'en admire d'autant plus le dévouement des hommes publics. Il faut que ces gens là aient l'âme tout à fait romaine. Peut-être est-ce pour cela que de tant de côtés on crie à M. de Corbière : Tu dors, Brutus!! Il paraît que l'Europe ne dort pas, bien que tout ce que nous voyons ne ressemble pas mal à un rêve. On veut, et puis on ne veut pas; on menace d'agir, et on reste en repos. Les trois Puissances alliées en faveur des Grecs jouent au plus fin entre elles et avec l'Autriche. Je crois voir le **, le *** et le ****,1 avec des intérêts divers, cherchant à s'entendre pour me dépouiller, et se dépouiller aussi mutuellement, s'il l'avaient pu. Du petit au grand, le monde n'est que cela, et, un peu plus tôt ou un peu plus tard, la Grèce et la Turquie s'en tireront comme moi, ce qui me sera d'une grande consolation, comme vous pensez.

Je vous prie de faire mes très-humbles compliments à M. de Damas ; son rôle est brillant et digne de lui. Je ne lui connais qu'un rival, — l'immortel Brunet.

Adieu, cher ; aimez-moi toujours comme je vous aime, et si vous voulez me rendre heureux, écrivez-moi le plus que vous pourrez.